Une interrogation d’autant plus opportune que Luc Ferry a d’ores et déjà menacé de «prendre un avocat» pour poursuivre «les gens qui disent des conneries».
Le contexte de l’affaire Luc Ferry 2
Ce 8 juin, le Canard enchaîné nous apprend que Luc Ferry, professeur à l'Université Paris-Diderot (Paris VII), n'y assurerait aucun enseignement depuis 1997, soit à peine un an après son entrée en fonction à Paris VII.
Outre la période du 7 mai 2002 au 30 mars 2004 où il était détaché et payé comme ministre de l’Education nationale, il aurait longtemps été mis à disposition auprès d’autres administrations et totalement dispensé d'enseignement à l’université Paris VII. A la rentrée 2010, celle-ci aurait refusé de prolonger la mise à disposition de Luc Ferry et lui aurait demandé d'accomplir son service d'enseignement statutaire, ce qu'il n'aurait pas fait ; l'université lui réclamerait donc le remboursement de ses rémunérations.
Cette chronologie des faits semble correspondre à la réalité des choses puisqu’elle n’a pas été démentie par Luc Ferry.
Un tel revirement semble s’expliquer non pas par un complot politico-médiatique à son encontre, mais plutôt par la loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi « LRU », ou loi sur l’autonomie des universités.
Avant l’entrée en vigueur de ce texte, Paris VII n’avait pas son mot à dire puisque c’est le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur qui prenait l’arrêté de mise à disposition. Elle n’avait d’ailleurs pas vraiment intérêt à s’y opposer car les salaires des enseignants étaient gérés par l’administration centrale et la mise à disposition gratuite de Luc Ferry ne lui coûtait donc rien du tout.
Après l’entrée en vigueur de ce texte, les choses ont radicalement changé. C’est maintenant l’université qui gère les détachements et les mises à disposition. Et surtout, c’est elle qui verse les salaires de ses enseignants. En clair, désormais, chaque sou compte. Ce qui explique le revirement de Paris VII.
Dans quels cas y a-t-il emploi fictif?
L’emploi fictif n’est pas défini par le Code pénal. Plus exactement, il ne constitue pas une infraction réprimée par la loi en tant que telle. Il n’est passible de sanction pénale que lorsqu’il constitue un ou plusieurs des délits dûment visés par le Code pénal : abus de bien social, abus de confiance, détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts, faux et usage de faux…
Selon la jurisprudence, il y a emploi fictif dans les cas suivants :
- Le financement de partis politiques
Une personne censée travailler pour un employeur qui la rémunère travaille en réalité pour le compte d’un autre employeur qui ne la rémunère pas et dont l’intérêt social ne coïncide pas avec celui de l’employeur payeur. Cela concerne essentiellement le financement occulte des partis politiques.
L’affaire la plus connue est celle de la mairie de Paris, impliquant notamment Alain Jupé et Jacques Chirac. Ou encore celle de la Jeunesse toulonnaise, également très largement médiatisée, qui a abouti à la condamnation de Jean-Marie Le Chevallier, ex-maire FN de Toulon, et de son épouse, Cendrine Le Chevalier, ex-adjointe au maire de Toulon.
- L’enrichissement personnel
Une personne censée travailler pour un employeur qui la rémunère ne travaille en réalité pour aucun employeur. Autrement dit, elle est payée pour ne rien faire. D’où l’enrichissement personnel.
C’est, par exemple, le cas de l’affaire de la MNEF à l’issue de laquelle Jean-Christophe Cambadélis et Marie-France Lavarini, ex-conseillère de Lionel Jospin, ont été condamnés.
Luc Ferry est-il coupable d’emploi fictif à Paris VII?
Dans le cas d’espèce, s’il n’est pas contesté que Luc Ferry est rémunéré par l’Université Paris-Diderot (Paris VII) alors qu’il travaille pour Matignon via le désormais fameux Conseil d’analyse de la société (CAS), il n’est pas moins établi qu’il a toujours eu affaire, au final, au plus gros employeur de France, c’est-à-dire l’Etat français.
Certes, depuis le 1er octobre 2010, aucun arrêté de mise à disposition n’a été pris, ce qui constitue en soi une infraction à la loi, mais les coupables sont davantage Paris VII et Matignon que Luc Ferry et cela n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec l’emploi fictif.
Pour illustrer mes propos, on peut aisément comparer la situation de Luc Ferry à celle d’un salarié d’un groupe industriel français fiscalement intégré qui, tout en étant affecté à un établissement marseillais doté d’une certaine autonomie administrative et financière, continue à être rémunéré par le siège social parisien, sans qu’une telle affectation soit formalisée comme cela devrait l’être.
Dès lors, on ne peut pas parler d’emploi fictif à Paris VII, sachant notamment que la mise à disposition et le détachement sont des dispositifs de mobilité dûment prévus par la loi et couramment pratiqués dans la fonction publique et qu’en particulier Luc Ferry est rémunéré de la même manière par la même université Paris VII depuis déjà quatorze ans.
Sauf à établir le caractère fictif de la fonction de président du CAS…
Et si on parlait d’emploi fictif au CAS?
Certains n’ont pas hésité à franchir ce pas décisif en affirmant que le poste de président du CAS est un poste de complaisance et qu’il y a donc bel et bien emploi fictif.
Or, une telle affirmation revient à accuser Matignon et Paris VII d’emploi fictif, ce qui lui confère un caractère hautement explosif et peut entraîner des conséquences que les accusateurs hâtifs n’ont probablement pas encore pu mesurer.
En effet, dans ce type d’affaire politico-financière, la justice sanctionne principalement les employeurs et leurs complices et rarement les employés impliqués sauf si l’employé est le détenteur du pouvoir décisionnaire qui a organisé son propre emploi fictif.
Ainsi, dans l’affaire précitée de la Jeunesse toulonnaise, Christian Serretta, le directeur général adjoint de l’association dont l’emploi a été déclaré fictif, s’est même vu attribuer par la justice la coquette somme de 44 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de son emploi fictif.
De telles accusations doivent donc être faites avec la plus grande prudence de telle manière à ce qu’elles soient étayées d’éléments de preuve crédibles susceptibles d’emporter la conviction du juge en cas de procès.
D’autant plus que les premiers éléments de l’enquête menée par la presse font état d’un réel travail de Luc Ferry au sein du CAS, que le caractère fictif de son emploi peut d’ores et déjà être évacué et que le seul débat possible consisterait donc à savoir si la rémunération versée est ou non proportionnée au travail fourni.
Et que, comme Emmanuel Lévy vient de le remarquer sur Marianne2.fr, les «fromages de la République» seraient loin de se limiter au poste de président du CAS de Luc Ferry et qu’ils pourraient comprendre des «postes de fonctionnaires bidons, ambassadeurs farniente, présidences de pseudo administration, parlementaires au sein d’assemblées sans pouvoir», de «petits fromages des petites baronnies» et autres «micro fromages locaux»...
Enfin, je vous propose, en guise de conclusion, un petit sujet de philo à méditer : pourquoi donc tant d’acharnements contre le seul courageux et louable briseur d’omerta au risque d’être traité comme celui qui veut noyer son chien et qui l'accuse de la rage?
Pour en savoir plus, lire également « Luc Ferry doit-il dire qui est le ministre pédophile? ».