Les mésaventures d’un jeune apprenti créateur
Nous avons reçu, sur notre site, il y a quelque temps déjà, un témoignage d’un enfant mineur non émancipé qui racontait ses déboires de (quasi) créateur d’entreprise.
Ce jeune internaute désirait créer une EURL pour y exercer une activité commerciale. Il raconte s’être heurté au refus catégorique de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) auprès de laquelle il voulait déclarer la création de sa société.
La CCI aurait justifié son refus par l’impossibilité pour un mineur non émancipé d’exercer une activité commerciale.
Je m’étonne de cette histoire et je fais une recherche rapide sur le site de l’Agence pour la création d’entreprise (APCE), que l’internaute avait cité.
Rebelote, le site exclut effectivement les activités commerciales des activités susceptibles d’être exercées par une EURL dirigée par un mineur.
Cela m’enfonce dans mon étonnement d’autant plus que l’APCE a la réputation d’être très pointue sur tout ce qui touche à la création d’entreprise.
Un principe de base du droit des sociétés
Pourtant, d’après ce que je sais, un mineur non émancipé peut tout à fait créer et gérer une EURL pour exercer une activité commerciale
Certes, l’article L 121-2 du code de commerce et l’article 413-8 du code civil réservent aux mineurs émancipés la possibilité d’être commerçant.
Mais cela ne concerne que les mineurs non émancipé qui exercent une activité commerciale en tant que personnes physiques et qui doivent donc solliciter leur inscription, en tant que commerçant en nom propre, au registre du commerce et des sociétés.
Il n’est aucunement question, dans ces dispositions, de l’exercice d’une activité commerciale sous la forme d’une société.
Concernant l’exercice d’une activité commerciale sous la forme sociétaire, justement, plusieurs éléments plaident, sans ambiguïté, en faveur de la thèse que je défends :
1° La loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, qui autorise notamment la création, sous certaines conditions, d’une EURL par un mineur non émancipé, ne contient aucune restriction au niveau des activités éligibles.
2° A aucun moment les débats qui ont précédé le vote de la loi ne mentionnent de restriction relative à l’activité exercée par la société unipersonnelle.
3° Sauf dans certains types de sociétés somme toute peu courants comme les sociétés en nom collectif, ni le ou les associés d’une société (EURL notamment), ni ses dirigeants n’ont la qualité de commerçant.
C’est la société, et elle seule, qui, en tant que personne morale, détient une telle qualité. Il s’agit là d’un principe de base du droit des sociétés résultant de l’article L121-1du Code de commerce aux termes duquel ne sont commerçants que ceux qui font des actes de commerce à titre professionnel et habituel.
Cela s’explique aisément par le fait que la société commerciale dispose d’une personnalité juridique propre distincte de celle de ses membres et de ses dirigeants et que les actes de commerces sont effectués par la société par l’intermédiaire de son ou ses gérants qui la représentent.
Ce principe de base a d’ailleurs été confirmé par de nombreuses décisions des tribunaux, dont notamment trois arrêts de la Cour de cassation :
- chambre sociale, 11 janvier 1989, n° de pourvoi : 86-16267 ;
- chambre commerciale, 17 juillet 1990, n° de pourvoi : 88-11839 ;
- chambre commerciale, 1er octobre 1997, n° de pourvoi : 95-12092.
La valse hésitation de l’administration
La position de l’APCE commence pourtant à m’inquiéter car j’avais écrit sur le site Droitissimo.com qu’un mineur non émancipé pouvait exercer une activité commerciale par l’intermédiaire d’une EURL et cela pourrait laisser perplexes les internautes qui seraient confrontés à des interprétations contradictoires de la loi.
Pour en avoir le cœur net, je laisse un message sur le site de l’APCE qui me répond par un silence assourdissant.
Quelques temps après, sans nouvelle de l’APCE, je décide, dans un éclair (rare) de lucidité, d’interroger directement la Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services (DGCIS) qui est une des directions du ministère de l'économie et des finances et qui est en principe responsable de tout ce qui concerne les PME, dont bien sûr la création d’entreprise.
Après plusieurs échanges de mails, la DGCIS me confirme officiellement ce que je pensais être juste et ce que j’avais écrit : un enfant mineur non émancipé peut tout à fait créer et gérer une EURL pour exercer une activité commerciale!
Bien évidemment, comme la DGCIS a tenu à le rappeler, il doit respecter l’ensemble des conditions par la loi du 15 juin 2010 (voir l’article sur notre site «Un mineur non émancipé peut-il créer une société unipersonnelle ? »).
C’est comme ça, point barre!
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : je reprends contact avec l’APCE pour lui faire part de mes échanges écrits avec DGCIS. Après quelques jours de silence, l’agence me répond enfin en ces termes :
«Nous vous remercions pour votre interpellation (c’est gentil). Votre argumentaire a soulevé un certain nombre d’interrogations (cela me flatte). Toutefois, le Ministère de la Justice nous a confirmé la validation de l’information diffusée sur notre site (ah bon ?) ».
Qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Nulle explication ne m’est donnée. C’est comme ça, point barre ! Et c’est tout.
Comme l’a écrit Edmond ROSTAND dans Cyrano de BERGERAC « Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire... Oh! Dieu!... bien des choses en somme ».
Depuis, j’ai essayé d’avoir des explications plus précises sur les motifs de cette position, qui me semble juridiquement injustifiable, auprès de l’APCE et de la DGCIS qui, embarrassés et confus, renvoient la patate chaude au ministère de la Justice.
Quant à ce dernier, il se garde bien de prendre officiellement position, estimant, je suppose, que comme dans toute bonne série policière américaine « tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous » (je sais, cela fait beaucoup de citations, mais il faut bien meubler).
Mais je persiste et signe : oui, Monsieur, un enfant mineur non émancipé peut créer une EURL pour exercer une activité commerciale !
En tout cas, cela me ferai très plaisir d’apprendre un jour que notre jeune internaute aura réussi à créer son entreprise grâce à Droitissimo.com. Enfin, avant ses 18 ans…
Pour en savoir plus, rendez-vous sur http://www.droitissimo.com.