La responsabilité pénale de l’entreprise pour corruption et fraude fiscale s’organise autour de conditions de forme, résultant des textes juridiques établissant la poursuite et la répression de l’infraction, de conditions de fond tenant à la caractérisation même de l’infraction, et au principe d’identification soit la recherche des responsabilités individuelles, une entreprise ne pouvant évidemment agir par elle-même.
I. Etablir la responsabilité pénale de l’entreprise en matière de corruption
Le Serious Fraud Office (SFO), bureau gouvernemental en charge de l’enquête et de la poursuite des infractions de fraude (son équivalent français serait le Parquet National Financier) publia le 30 mars 2011 son guide sur le Bribery Act 2010. Ce texte à valeur contraignante est établi par la direction du SFO et la direction du ministère public (les services du Procureur Général anglais) servant, avec le Guidance on Corporate Prosecutions ayant une portée plus générale, de base textuelle à la poursuite et la répression de l’infraction de corruption.
1. Les conditions de fond
Pour établir la responsabilité pénale d’une société, il est nécessaire de prouver au-delà de tout doute raisonnable :
· -que La société a commis un acte matériel de corruption (actus reus) ; et
· -qu’elle ait eu la volonté d’agir en violation de la loi dans un but déterminé, à savoir provoquer l’accomplissement ou le non-accomplissement par l’agent public d’un acte de sa fonction, soit d’accepter d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte de la fonction de la société. Il s’agit en réalité de l’intention coupable/frauduleuse (mens rea).
Comme en droit français, l’infraction de corruption exige la réunion d’un élément matériel, l’actus reus, et d’un élément moral, la mens rea.
Quant à l’acte même de corruption, le droit anglais en prévoit 3 types différents :
-le délit de corruption d’autrui : le corrupteur verse un pot-de-vin avec l’intention de susciter ou obtenir un comportement inapproprié ou en rupture avec le devoir de probité de la personne qui devient finalement corrompue.
-l’infraction relative au fait d’accepter l’acte de corruption : la personne corrompue accepte le pot-de-vin en connaissance de cause en contrepartie duquel elle devra fournir un comportement inapproprié ou en rupture avec son devoir de probité.
-la corruption d’un agent public étranger : le corrompu doit avoir l'intention d'influencer l'agent public étranger en sa qualité même d'agent public étranger et avoir l’intention d’obtenir ou de conserver une entreprise ou un avantage commercial. Pour ce délit, il n'est pas nécessaire que le comportement soit inapproprié afin d’obtenir une déclaration de culpabilité.
2. Le principe d’identification
En tant que personne morale, l’entreprise ne dispose pas d’une volonté propre. De fait, l’intention est attribuée à ses membres agissant à son nom et/ou pour son compte. Il s’agit dès lors, dans un premier lieu, d’identifier l’individu à l’origine de l’infraction. C’est ce qu’on appelle le principe d’identification. Son application est limitée aux actions des membres du conseil d’administration, du directeur général et des autres cadres supérieurs exerçant des fonctions de direction pour le compte et au nom de la société (Tesco Supermarkets Ltd v Nattrass [1971] UKHL 1).
En effet, cette méthode d’identification de la responsabilité pénale d’une entreprise reconnait l’incarnation de celle-ci dans l’exercice des fonctions des individus précités. Leurs actes sont par conséquent les actes de la société elle-même. Comme en droit français, les infractions commises par ces agents engendreront la responsabilité de l’entreprise mais également leur propre responsabilité pénale à titre individuel (Moore v I Bresler Ltd [1944] 2 All ER 515).
En cherchant à identifier l’esprit dirigeant de l’entreprise, le ministère public (‘prosecution’) examinera en premier lieu la légalité de la constitution de l’entreprise, le statut de la personne à l’origine de l’acte litigieux et la substance même de ce dernier afin de déterminer si les conditions de fond susvisées sont réunies.
Le ministère public procèdera ensuite au Full Code Test qui exige que les procureurs soient convaincus de posséder des preuves suffisantes à l’obtention d’une réponse pénale, que la poursuite ait une chance raisonnable de succès et qu’il en aille de l’intérêt public, le Bribery Act 2010 présentant un intérêt public inhérent aux poursuites pour corruption.
3. L’infraction spécifique de ‘failure to prevent’
L’infraction de ‘failure to prevent’ réprimée par le Bribery Act 2010 vise le fait, pour une entreprise, de ne pas empêcher par des mesures préventives ou concrètes des actes de corruption émanant de ses employés ou administrés.
Cette infraction est par essence spécifique aux types de corruption précédemment évoqués puisqu’elle ne requière pas la mens rea soit l’intention criminelle. La société ne pourra donc exclure sa responsabilité pénale qu’en démontrant avoir pris les mesures adéquates et nécessaires à la prévention de l’infraction de corruption. Ainsi la mise en place de règles internes, régulièrement mises à jour, améliorées, renforcées voire rappelées via des formations, reste le moyen le plus sûr pour minimiser le risque de tels actes pénalement répréhensibles.
Plus encore, la responsabilité au titre de la section 7 du Bribery Act 2010, n'exige pas la condamnation de la personne responsable de la corruption, mais seulement la preuve de la corruption. Ceci est important du point de vue de la preuve.
La 1ere poursuite d’une entreprise en vertu de la section 7 précitée, eut lieu en Décembre 2015. La société plaida coupable pour manquement à la prévention des infractions de corruption par la mise en place de mesures internes. Elle fut condamnée à une amende de £1.4 millions et plus de 95 000 Euros de frais de justice.
II. Etablir la responsabilité pénale de l’entreprise en matière de fraude fiscale
En pratique les organes compétents doivent mettre en œuvre des procédures raisonnablement préventives. Les entreprises sont déjà familières avec cette prévention eu égard les dispositions de la section 7 du Bribery Act 2010 sanctionnant l’absence de prévention de la corruption. Toutefois, les risques de fraude fiscale sont beaucoup plus vastes, très différents dans leur présentation et nécessitent une approche entièrement nouvelle et ainsi qu’une appréhension au cas par cas.
1. L’infraction
Le fait pour une entreprise de manquer à la prévention d’une fraude fiscale est caractérisé lorsque toute personne morale, société à proprement parler ou association à but non lucratif, n’empêche pas une personne qui lui est associé, de procéder à une évasion fiscale. L’infraction suit trois étapes:
-Première étape: une personne physique ou morale commet une fraude fiscale ;
-Deuxième étape: une personne, physique ou morale, associée à la société et, tout en agissant en cette qualité (‘associated persons’), facilite intentionnellement ladite fraude fiscale ;
-Troisième étape: la société ne peut pas se prévaloir d’un moyen de défense, à savoir qu’elle avait mis en place des procédures raisonnables pour empêcher la personne associée de se soustraire à la législation fiscale en vigueur.
Les ‘associated persons’ pouvant mettre en jeu la responsabilité pénale de l’entreprise sont les employés, directeurs, agissant dans le cadre de leur fonction ou toute personne opérant pour le compte et au nom de l’entreprise. Pour déterminer si une personne est l’‘associated person’ d’une société, le tribunal tiendra compte de toutes les circonstances pertinentes et non simplement de la nature du lien juridique existant entre la société et la prétendue personne à l’origine de l’acte litigieux.
2. La sanction
En plus de faire face à une amende au montant illimité, les organisations reconnues coupables pourraient se voir imposer des sanctions supplémentaires. En outre, une condamnation publique aurait des implications évidentes sur la réputation et pourrait nécessiter la divulgation d'informations à des autorités de réglementations professionnelles britanniques voire même étrangères.
Toutefois une entreprise peut être en mesure d'éviter une condamnation en concluant un Deferred Prosecution Agreement avec le procureur.
III. Le Deferred Prosecution Agreement, l’alternative au procès
Un Deferred Prosecution Agreement (DPA) est un accord conclu entre un procureur et une entreprise susceptible d'être poursuivie, sous la supervision d'un juge.
L'accord permet de suspendre une poursuite pour une période définie, à condition que l’entreprise remplisse certaines conditions spécifiées dans ledit accord.
Il est possible de recourir aux DPA pour la fraude, la corruption et tout autre crime économique. Ils s'appliquent aux organisations, jamais aux individus.
Le DPA permet ainsi à une personne morale de réparer intégralement le préjudice engendré par le comportement criminel sans les dommages collatéraux d'une condamnation (par exemple une atteinte à la réputation qui pourraient mettre l'entreprise en faillite et détruire les emplois et les investissements de personnes innocentes).
Elles sont conclues sous le contrôle d’un juge, qui doit être convaincu que le DPA est réalisé «dans l’intérêt de la justice» et que les termes soient «équitables, raisonnables et proportionnés». Ils évitent aussi les procès qui sont très longs et coûteux.
Cette alternative peut toutefois être refusée par le SFO aux termes des circonstances de l’espèce.
IV. Les conséquences de la poursuite pénale
1. La peine d’amende
Dans la pratique judiciaire anglaise, il est d’usage d’imposer une amende au montant très élevé aux entreprises contrevenant à la loi (souvent des centaines de millions de livres), comme sanction à titre principale mais également en vue de prévenir tout comportement infractionnel futur.
En France les amendes sont bien moins élevées. En effet, le Code pénal prévoit en cas de corruption active, une amende maximale de 1 million d’euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. S’agissant des personnes morales, le taux maximum de l’amende applicable est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques, soit 5 millions d’euros.
2. Les autres sanctions
Des sanctions additionnelles à l’amende peuvent être prononcées telles que :
-Confiscation des bénéfices du crime et restitution des gains.
-Interdiction de faire des offres dans le cadre d'appels d'offres publics en Angleterre ou dans d'autres États membres de l'UE.
-La mise en place d’un contrôle judiciaire.
-Paiement des frais résultant de la poursuite.
Des séquelles supplémentaires peuvent résulter de la condamnation d’une entreprise pouvant par ailleurs être plus préjudiciable que des amendes, telles que les actions civiles formées par des actionnaires (les class actions d’actionnaires ne sont pas autorisées en France), des facilités bancaires plus chères ou limitées, les fluctuations des cours des actions ou encore plus simplement l’atteinte à la réputation.
De plus, les directeurs employés peuvent également être déchus de leurs fonctions ou être poursuivis à titre individuel. Bien que les poursuites engagées à l’encontre d’individus aient été rares, au Royaume-Uni, en 2015, un trader a été condamné à 14 ans d’emprisonnement (réduits à 11 ans en appel) étant la plus longue peine prononcée à l’encontre d’un individu pour corruption à ce jour. Au demeurant, le Ministère de la Justice britannique lança un appel à reformer la responsabilité pénale des entreprises pour simplifier les poursuites et la répression. Il est prévu qu’en 2019 le SFO renforce la surveillance des entreprises en matière de corruption et de fraude. En effet le gouvernement britannique a augmenté les fonds affectés à ce contrôle.
Partant dans une telle optique, la mise en place de mesures anti-fraude et corruption au sein de l’entreprise est indispensable
Ces quelques développements de portée générale ne sauraient constituer un conseil juridique. Nous vous invitons à nous consulter sur ces questions pour de plus amples précisions et pour des réponses spécifiquement adaptées à votre situation.
© Miller Rosenfalck LLP, Juin 2019
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