L’arrêt de la CJUE du 5 avril 2017 EUIPO c/ Gilbert Szajner constitue le dernier épisode d’un véritable feuilleton judiciaire. Qui aurait pu croire qu’une commune française de 1300 habitants pouvait faire autant parler d’elle ? Cela fait en effet plus de vingt ans que le contentieux impliquant le petit village d’Aveyron occupe l’espace médiatique, tant au niveau français qu’européen.
Le point de départ de ce litige remonte à 1993 lorsque Gilbert Szajner, un entrepreneur totalement étranger à la commune, dépose en France et dans d’autres pays des marques contenant le terme « LAGUIOLE », nom du village aveyronnais associé dans l’esprit du public aux fameux couteaux fabriqués par la forge locale. Ce signe est concédé en licence à de nombreuses entreprises pour commercialiser des produits divers et variés comme des vêtements, des barbecues, mais aussi pour de la coutellerie importée de Chine et du Pakistan.
C’est d’abord le maire de Laguiole qui est monté au créneau, assignant en justice l’entrepreneur et ses licenciés, pour demander notamment la nullité de l’enregistrement des marques litigieuses en raison de son caractère frauduleux et de l’atteinte à l’image et à la renommée de la commune et dénoncer ainsi des pratiques commerciales trompeuses. Malheureusement, les juridictions de premier[1] et second[2] degré avaient débouté la commune de ses demandes, faute de démonstration des moyens invoqués. Mais en 2016[3], la Cour de Cassation faisait finalement droit à ses demandes et renvoyait les parties devant une autre formation de jugement.
En parallèle, la société Forge de Laguiole avait entrepris de défendre son droit antérieur sur sa dénomination sociale et avait demandé l’annulation de la marque de l’Union Européenne « LAGUIOLE » également enregistrée par Gilbert Szajner en 2001 pour neuf classes de produits et services.
La chambre des recours de l’OHMI (ancien EUIPO) avait accédé à sa demande mais par son arrêt du 21 octobre 2014, le Tribunal de l’Union avait limité cette annulation aux produits de coutellerie et aux couverts[4]. Il avait en effet considéré qu’au regard de la nature des produits en cause, de leur destination, de leur utilisation, de la clientèle concernée par ces produits et de leur mode de distribution, la Forge de Laguiole n’exerçait pas d’activités effectives dans des domaines autres que ceux de la coutellerie et des couverts.
Par cet arrêt du 5 avril 2017, la CJUE confirme l’arrêt du Tribunal, précisant que ce dernier avait justement appliqué les règles nationales françaises posées par un arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2012[5] pour apprécier la protection d’une dénomination sociale, laquelle ne vaut que pour les « activités effectivement exercées » par l’entreprise en question.
Ainsi, la victoire de la Forge de Laguiole est limitée puisque marque litigieuse demeure valable pour les produits enregistrés qui ne ressortent pas du secteur de la coutellerie et des couverts tels que le linge de maison ou les briquets.
Ce feuilleton aurait sûrement pu être évité si la commune avait pu invoquer les dispositions de la loi Hamon transposées sous l’article L.712-4 du Code de la Propriété Intellectuelle[6] qui permettent aux collectivités de s’opposer dès l’origine à l’enregistrement de la marque en raison d’une atteinte à leur nom, leur image ou renommée ou si, tout simplement, les couteaux de Laguiole avaient bénéficié du label d’Indication Géographique, dispositif désormais ouvert aux produits manufacturés.
Affaire à suivre …..
Pour en savoir plus : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=189623&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1
[1] Tribunal de grande instance de Paris, Jugement du 13 septembre 2012 (n°10/08800)
[2] Cour d’appel de Paris Pôle 5 Chambre 2, 4 avril 2014 (n°12120559)
[3] Chambre commerciale de la Cour de Cassation, 4 octobre 2016 (n°14-22.245)
[4] Tribunal de l’Union Européenne, Gilbert Szajner c/ OHMI, 21 octobre 2014 (T‑453/11)
[5] Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, « Cœur de Princesse » 10 juillet 2012 (n° 08-12.010)
[6] Le nouveau règlement européen n°2015/2424 permet également aux collectivités de s’opposer à l’enregistrement de marques de l’Union Européenne en vertu de l’article 8 paragraphe 4 bis.