(1) Les contrats de transport de marchandises dans l’espace OHADA sont régis par l’Acte Uniforme du 22 Mars 2003 Relatif au Contrats de Transport de Marchandises par Route ( AUCTMR). L’acte uniforme sus évoqué s’applique dès lors que le contrat de transport de marchandises par route implique pour son exécution le territoire d’un Etat membre de l’OHADA, le domicile et la nationalité des parties contractantes étant indifférents.
Noter que le transit de marchandises est exclu du champ d’application de l’acte uniforme car dans ce cas, les lieux de prise en charge et de livraison ne sont situés dans l’espace OHADA[i]
(2) La lettre de voiture est l’écrit qui constate le contrat de transport de marchandise[ii]. Elle est le document qui harmonise les conditions générales de transport et qui consacre les obligations de toutes les parties au contrat ( prise en charge, transport et livraison pour le transporteur, paiement du prix pour l’expéditeur). Même si son absence ou son irrégularité n’affecte ni l’existence, ni la validité du contrat de transport, elle représente l’un des moyens de preuve irréfragable en cette matière, puisqu’elle fait foi, jusqu’à preuve du contraire, des conditions du contrat de transport et de la prise en charge de la marchandise par le transporteur.[iii]
Noter que l’AUCTMR consacre l’institution de la lettre de voiture électronique et ce, par une définition dynamique et actuelle de l’écrit telle qu’elle ressort du libellé de l’article 2 alinéa 1er.[iv]
(3) L’expéditeur a le droit de disposer la marchandise en cours de route[v]. Clairement, il peut, à ses frais, décider de vendre sa cargaison avant la destination convenue, changer la destination initiale et de destinataire sous les conditions prévues par l’article 11.
Le destinataire ne dispose du droit de disposition que si pareille mention y a été faite dès l’établissement de la lettre de voiture.
Noter qu’engage sa responsabilité, envers l’ayant droit à la marchandise, le transporteur qui, sauf impossibilité signalée sans délai au donneur d’ordre, n’a pas exécuté les instructions régulièrement reçues relativement à la disposition de la marchandise, ou qui l’aura fait sans avoir exigé l’original de la lettre de voiture.[vi]
(4) L’AUCTMR établit la responsabilité du transporteur sur 3 axes principaux :
- L’avarie : elle est lié à l’état de la marchandises. Elle peut être comprise comme un dommage matériel portant sur un bien déterminé[vii], y est associée notamment le pourrissement des fruits et légumes, l’arrivée à terme de la date de péremption des boites de conserve mais aussi le dommage porté sur des marchandises solides de sorte qu’ils deviennent inutilisables. Le Tribunal de Niamey a notamment décidé que le transporteur qui n’a pas livré la marchandise en bon état du fait de la mauvaise condition de conservation pendant le transport, engage sa responsabilité de sorte qu’il doit être condamné à payer à son client, le montant des avaries causées[viii]
- La perte totale ou partielle de la marchandise : la marchandise peut être considérée comme totalement ou partiellement perdu lorsqu’elle n’a pas été livrée ou n’a été que partiellement livrée trente jours après l’expiration du délai de livraison convenu ou, s’il n’a pas été convenu de délai de livraison, soixante jours après la prise en charge de la marchandise par le transporteur. La perte en elle-même n’engage pas directement la responsabilité du transporteur, il ainsi été jugé que la responsabilité du transporteur ne saurait être engagée du fait de la perte totale des marchandises en l’absence de pièces justificatives de l’existence du contrat de transport, notamment la lettre de voiture et le reçu de paiement des frais de transport[ix]
- Le retard à la livraison : l’AUCTMR considère qu’il y a retard à la livraison lorsque la marchandise n’a pas été livrée dans le délai convenu ou, à défaut de délai convenu, dans le délai qu’il serait raisonnable d’accorder à un transporteur diligent, compte tenu des circonstances de fait. Le retard survenu du fait du transporteur engage sa responsabilité. Dans une espèce, la Cour d’Appel de Ouagadougou que dans l’hypothèse où ce sont les pannes du camion qui ont entrainé l’avarie d’une partie de la marchandise et le retard de livraison. Le transporteur est tenu de livrer la marchandise à destination. En mettant en route un camion défectueux[x], il y a lieu de lui imputer la responsabilité de la mauvaise exécution du contrat et le condamner à payer à l’expéditeur des dommages-intérêts au titre de la perte éprouvée .
Noter que le transporteur est également responsable des actes de ses préposés ou mandataires agissant dans l’exercice de leurs fonctions et de ceux de toute autre personne aux services desquels il recourt pour l’exécution du contrat de transport, lorsque cette personne agit aux fins de l’exécution du contrat.[xi]
(5) Le transporteur peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant des faits « insurmontables » , des circonstances inévitables et aux conséquences desquelles il ne pouvait remédier, encore un ordre de l’ayant droit ou un vice propre de la marchandise[xii]. La faute de l’ayant droit peut résider dans une mauvaise rédaction d’une lettre de voiture, l’indication d’une adresse inexacte ou encore l’indication erronée du poids de la marchandise .
L’ordre n’est que l’instruction donnée au transporteur, soit sur la lettre de voiture, soit ultérieurement .
Le vice propre de la marchandise peut consister en la maladie d’un animal ou encore en l’état de maturation trop avancé de fruits . [xiii]
Il a ainsi été jugé qu’en application des dispositions des articles 16-1 et 17 de l'AUCTMR, doit être déclaré responsable des pertes et condamné, conformément aux dispositions de l'article 128 du même acte, au paiement de la somme totale représentant la valeur déclarée des marchandises perdues, le transporteur qui n'a pas pu justifier d'une cause d'exonération liée à un cas fortuit ou de force majeure[xiv].
Note : Le destinataire des marchandises qui en prend livraison sans émettre de réserves ne peut fonder une action en responsabilité contre le transporteur sur les conclusions d'une expertise unilatérale qu'il a réalisée unilatéralement ... A défaut de produire des éléments probatoires du retard et des pertes par lui allégués, son action en responsabilité contre le transporteur doit être déclarée non fondée par la juridiction compétente.[xv]
(6) Dans les cas où la responsabilité du transporteur est engagée, l’indemnité pour avarie ou pour perte totale ou partielle de la marchandise n'est pas sans limite. L’article 18.2 de l'Acte Uniforme précise que cette indemnité est calculée en fonction de la valeur de la marchandise et ne peut excéder 5000 francs CFA par kilogrammes de poids brut de la marchandise.
En cas de retard dans la livraison, en plus de l’indemnité prévue ci-haut, si l’ayant-droit prouve un dommage supplémentaire résultant du retard, le transporteur sera tenu de payer une autre indemnité qui ne peut dépasser le prix du transport.
Note : le transporteur perd le droit à cette limitation de responsabilité s’il est prouvé que l’avarie, la perte totale ou partielle des marchandises ou le retard à la livraison résulte d’un acte ou d’une omission qu’il a commis avec l’intention de causer cette perte , cette avarie ou ce retard. La difficulté ici, sera de prouver l’intention de causer le retard, l’avarie ou la perte.
(7) L’article 25 de l’AUCTMR pose le principe de la prescription en matière de transport de marchandises par route sur les 3 points suivants :
- Toute action découlant d’un transport régi par l’AUCTMR se prescrit en 1an, en prenant comme date de départ le jour de la livraison. Dans le cas où la marchandise n’a pas été livrée, la prescription court de la date à laquelle la marchandise aurait dû être livrée.
- L’action n’est recevable que si une réclamation écrite a été préalablement faite au transporteur au plus tard 60 jours après la date de livraison de la marchandise ou, faute de livraison, 6 mois après la prise en charge de la marchandise. A défaut de preuve de la réclamation portée à la connaissance du transporteur des marchandises , c’est la date d’assignation en paiement et en responsabilité civile qui doit être considérée comme date de paiement.[xvi]
- Lorsqu’il est prouvé que le contrat de transport est entaché de dol ou de faute équivalente au dol, la prescription est de 3 ans
Note : Nous estimons que seule l’action en réparation civile est soumise à la réclamation préalable, et par voie de conséquence au délai de 60 jours après livraison pour sa recevabilité. Les autres actions, notamment, en restitution des sommes ou en injonction de restituer en cas de défaut de livraison des marchandises non périssables, ne saurait être concernées par cette disposition, la seule lettre de réclamation ne pouvant transférer la propriété des biens de l’expéditeur au transporteur.
(8) L’AUCTMR ne dit rien sur la juridiction compétente en cas de litige né d’un contrat de transport intra-Etat. Le droit national de chaque Etat-partie devrait ici s’appliquer.
Aussi, pour tout litige né d’un contrat de transport inter-Etats, si les parties n’ont pas attribué, de manière contractuelle, la compétence à une juridiction arbitrale ou étatique déterminée, le demandeur peut saisir les juridictions du pays sur le territoire duquel :
- le défendeur a sa résidence habituelle, son siège principal ou la succursale ou l’agence par l’intermédiaire de laquelle le contrat de transport a été conclu ;
- la prise en charge de la marchandise a eu lieu ou les juridictions du pays sur le territoire duquel la livraison est prévue.
[i] Le contrat de transport de marchandises par route in https://actualitesdroitohada.com
[ii] Art.2 AUCTMR
[iii] Art.4 AUCTMR
[iv] Abouramane OUATTARA, Une innovation technologique dans l’espace OHADA : La lettre de voiture électronique en matière de transport de marchandises par route in Revue Interne de Droit Comparé (1-2008) p.66
Article2 point c/ « écrit » : une suite de lettres, de caractères , de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible et mis sur papier ou sur un support faisant appel aux technologies de l’information.
A moins que les personnes concernées n’en dispose autrement, l’exigence d’un écrit est satisfaite quels que soient le support et les modalités de transmission, pour autant que l’intégrité, la stabilité et la pérennité de l’écrit soient assurés…
[v] Art.11 AUCTMR
[vi] Commentaires art.11,OHADA Traités et actes uniformes commentées et annotés, juriscope, p.1056
[vii] Gerard Cornu, Vocabulaire Juridique, PUF, Paris, p.98
[viii] Tribunal de commerce de Niamey, N°102 du 22/06/2022
[ix] TPI Bafoussam, jug.civ n°9, 1er fevr. 2008, aff. TEGOUM Jules c/ LONGTIO Joseph)
[x] Arrêt n°009, COMPAORE Bibiane c/ SAWADOGO Boukare, CA Ouagadougou du 15/01/2010, voir egalement l’art.17.3 de l’AUCTMR
[xi] Article 16 AUCTMR
[xii] Art. 17.1 de l’AUCTMR
[xiii] Transport des marchandises, Responsabilité du transporteur in actualités du droit ohada,4/08/2015, www.actualitésdudroitohada.com
[xiv] Arret n°24, Aff. Ali Oumarou dit Abani c/ Omar Sidi du 27/04/2006, CA Zinder
[xv] CA du littoral, arr. n°032/C, du 18.02.2011
[xvi] Jug. n°195,14, TGI BOBO, juin 2006