1. Aux termes des dispositions de l'article 885 O ter du code général des impôts, lorsqu’un contribuable exerce son activité professionnelle au sein d’une société dont les parts ou actions constituent un bien professionnel « Seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel » , à ce titre exonéré d’impôt de solidarité sur la fortune.
Cette disposition vise à empêcher que les contribuables ne soient tentés de loger au sein de leur société une partie de leur patrimoine privé dans le but de le faire échapper à l’ISF.
2. Dans une instruction du 12 janvier 2005 (7-S-1-05), l'administration a précisé que « Pour l’application de ce texte, les liquidités et les titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés ».
Elle indique toutefois que « […], s’agissant d’une présomption simple, l’administration peut, dans des cas exceptionnels, démontrer que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social » ; « L'exonération se trouve alors limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social autres que les liquidités et titres de placement ».
3. Mettant en œuvre ces principes, un arrêt de la cour de cassation du 8 février 2005, rendu au terme de la célèbre « Affaire Gandois », confirmait l’arrêt de la cour d’appel ayant conclu qu'un portefeuille de valeurs mobilières n’était pas nécessaire à l’accomplissement de l’objet social de la société en cause, après avoir relevé que :
- le portefeuille litigieux était hors de proportion avec le volume d’activité de la société, les titres de placement représentant six à sept fois le montant du chiffre d’affaires ;
- ce portefeuille n’était pas utilisé pour couvrir des besoins de trésorerie, compte tenu d’un passif exigible à court terme de la société toujours inférieur au montant de ses créances ;
- la nature de l’activité de la société, le conseil en industrie, ne nécessitait aucun investissement, ainsi que le confirmait la faiblesse de l’actif immobilisé.
Le cas de figure frisait la caricature. Aussi n’est-il pas étonnant que la Cour de cassation ait donné raison à l’administration.
4. Cependant, croyant pouvoir généraliser la solution de l'arrêt Gandois, certains services de contrôle de l’ISF instituaient une forme de présomption selon laquelle, dès lors que les liquidités possédées par une société excédaient le montant du passif exigible à court terme, celles-ci étaient nécessairement inutiles à son activité.
Ce faisant, ils réintégrèrent les liquidités considérées comme « excédentaires » dans le patrimoine taxable à l'ISF de leurs dirigeants, lesquels se virent notifier des rappels d’ISF et des pénalités, parfois substantielles.
5. Pourtant, ainsi que l’exposait M. François Zocchetto, sénateur de la Mayenne dans une question écrite au gouvernement en date du 5 juillet 2007, « les entreprises françaises, notamment dans le secteur industriel, sont relativement fragiles par rapport à la concurrence interne et internationale.
Les aides publiques sont aléatoires et les financements bancaires sont incertains et coûteux. Dans ce contexte, il est du devoir des dirigeants des sociétés, lorsque les résultats de celles-ci l'autorisent, de conserver des disponibilités qui leur permettront d'être réactifs au moment où cela sera nécessaire – à court ou à long terme – qu'il s'agisse de financer des investissements, des opérations de croissance externe ou encore de parer à des difficultés conjoncturelles.
Trop d'entreprises sont amenées à déposer leur bilan et à cesser leur activité parce qu'elles n'ont pas pu – ou pas su – constituer des réserves suffisantes en prévision d'un avenir plus difficile.
Il est donc paradoxal que les chefs d'entreprise qui se montrent les plus prévoyants puissent être fiscalement sanctionnés… »
6. Devait-on malgré tout considérer que le caractère professionnel des liquidités et des placements détenus par une société pouvait être remis en cause au-delà d’un certain montant, ou en l'absence de remploi, dans un certain délai, à des fins professionnelles ?
7. Dans sa réponse écrite en date du 13 mars 2008, le Ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique a rappelé que l’instruction précitée du 12 janvier 2005 précisait que « le fait que les valeurs réalisables à court terme ou disponibles d'une société (y compris les titres de placement) excèdent largement son passif exigible à court terme (y compris les comptes courants d'associés) ne constitue qu'un indice de l'existence éventuelle d'actifs ne revêtant pas un caractère professionnel ».
Cet indice, a complété le Ministère du budget, « ne peut constituer à lui seul une preuve de nature à renverser la présomption évoquée, l'établissement d'une telle preuve nécessitant en effet la réunion de différents indices concordants, résultant de l'analyse circonstanciée de l'activité de chaque société et de la composition de ses actifs ».
8. De ce qui précède, il résulte que le caractère professionnel des liquidités et des placements détenus par une société ne peut être remis en cause, que dans l’hypothèse où le service des impôts est en mesure de démontrer, par une analyse concrète de l’activité de la société (ou de l'activité de l'ensemble des sociétés du groupe lorsqu'il s'agit d'une holding) que ces liquidités et placements ne sont pas nécessaires à l’accomplissement de l’objet social ou que la société a définitivement renoncé à en faire un usage professionnel.
9. C’est la position que retenait la cour de cassation dans un arrêt du 18 mai 2005 (Cass. com. 18 mai 2005 n° 03-14.469, Mme Michèle Thiebault, épouse Soalhat), dans lequel elle confirmait que ce n'est que dans des situations exceptionnelles que peut être combattue la présomption selon laquelle les liquidités et titres de placement d'une société constituent des biens professionnels, et refusait de valider la remise en cause de cette présomption par l’administration.
Dans cette affaire, une SNC avait cédé son fonds de commerce et projeté de réinvestir le prix de vente dans une autre activité commerciale ; Mais ce projet ayant échoué, elle avait réinvesti les fonds dans des titres de placement.
L'administration fiscale avait remis en cause l'exonération afférente à ces placements, en soulignant que la volonté de réinvestir dans une activité commerciale n'était pas suffisante.
Ce faisant, elle renversait la charge de la preuve, puisqu'il appartenait au contribuable de prouver le caractère professionnel du placement.
La cour de cassation a invalidé ce raisonnement, en rappelant les termes de la présomption, et en indiquant que l'absence de réinvestissement des sommes dans une autre activité économique, même si elle résultait d'une « volonté insuffisante », ne suffisait pas à renverser la présomption.