Les politiques agricoles africaines face au défi de l’intégration régionale

Publié le 17/03/2014 Vu 2 627 fois 0
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L'Union Africaine par le biais du NEPAD (nouveau partenariat économique pour le développement de l'Afrique)initie depuis plusieurs années un programme agricole à l'échelle continentale, et qui est relayé et mis en ouevre dans les différentes sous-régions. L'on peut notamment y entrevoir les prémices d'une politique agricole continentale, mais une telle ambition fusse-t-elle à une échelle plus réduite, doit faire face à l'heure de la mondialisation à de grands obstacles.

L'Union Africaine par le biais du NEPAD (nouveau partenariat économique pour le développement de l'Afrique)i

Les politiques agricoles africaines face au défi de l’intégration régionale

    Le mouvement d’intégration régionale a toujours fait partie intégrante du décor institutionnel des relations internationales africaines. L’Afrique s’est révélée depuis les indépendances et au fil des décennies, un terrain hautement propice aux initiatives d’intégration, qui n’ont eu de cesse de se succéder jusqu’au début du 21e siècle. En effet, on note depuis plus d’une dizaine d’années un statu quo des organisations africaines existantes, un élément favorable pour la  rationalisation souhaitée de ces communautés  africaines.

     L’intégration régionale peut être alors définie comme « le processus par lequel deux ou plusieurs pays réduisent progressivement les obstacles aux échanges entre eux et les disparités entre leurs économies de manière à constituer à terme un espace économique homogène » ; l’entreprise vise notamment à favoriser le développement économique et social des Etats membres, grâce à une harmonisation de leurs législations, à l’unification de leur marchés intérieurs et à la mise en œuvre de politiques sectorielles communes dans les secteurs essentiels de leur économie. L’un des secteurs essentiels des économies africaines c’est bien entendu l’agriculture, dont l’efficacité pour le bien être économique et social repose avant tout sur un réelle politique publique.

    « La politique agricole se définit idéalement comme l’ensemble des mesures d’intervention publique stables dans  le temps, dotées de moyens inscrits dans la durée, articulées entre elles, et qui sont mises en œuvre dans le secteur agricole afin d’atteindre des objectifs conformes aux préférences collectives d’une nation ou d’une région ». Une telle politique n’existe que très imparfaitement en Afrique et particulièrement en Afrique subsaharienne, et ce alors qu’environ 90% de la population active vit des activités agricoles. Mais le secteur agricole en Afrique est désormais confronté à d’énormes contraintes, une population agricole en forte régression au profit d’une urbanisation progressive et accentuée, une situation d’insécurité alimentaire de plus en plus grave dans les tranches de populations les plus défavorisées. Il y a donc une ouverture certaine pour les pays africains d’y faire face à long terme, par des initiatives d’ordre régional ou sous-régional.

    La question qui en découle est donc celle de savoir, existe-t-il sur le continent africain des politiques ou à tout le moins, des initiatives ou des actions  régionales et même sous-régionales en matière agricole ?

    Il est alors important de constater que depuis les indépendances, si les objectifs de développement de l’Afrique n’ont pratiquement pas changé, les actions elles se sont succédées, même dans le secteur agricole et toutes aussi ingénieuses les unes que les autres. C’est la raison pour laquelle par souci de clarté, de cohérence, de précision et de concision, le champ de notre étude a été circonscris aux initiatives agricoles africaines en liaison directe avec le processus d’intégration en ce début du 21e siècle.

    Cet article vise alors tout simplement à mettre en évidence les initiatives et actions agricoles existantes en Afrique depuis une dizaine d’années, et cohérentes avec le processus d’intégration à l’échelle régionale et sous-régionale. Il ne prétend toutefois pas les relever toutes, mais plutôt attester avec quelques exemples aussi peu soient-ils, de la réalité d’une cohérence concrète entre certaines initiatives agricoles et l’intégration régionale en Afrique en général, et en Afrique Centrale en particulier.  Nous verrons par conséquent que si ces initiatives sont réelles, elles font néanmoins face pour certaines, à des contraintes non négligeables.

I- LES PREMICES DE « POLITIQUES AGRICOLES » REGIONALE ET SOUS-REGIONALE

   Kwame N’krumah, père du panafricanisme, auteur prolifique et reconnu sur l’intégration ou l’unité de l’Afrique, proposait trois axes pour la réussite de l’unité de l’Afrique : une planification économique globale, une stratégie de défense et militaire, et une diplomatie et une politique étrangère unifiées. C’est notamment sur la voie du premier axe que semble se mettre en place à l’échelle du continent  les bases d’une politique agricole continentale, par le biais du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine du NEPAD (A), ainsi qu’au travers d’une stratégie agricole commune au niveau sous-régional comme le montre l’exemple de la CEMAC (B).

A- Le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine du NEPAD (PDDAA)

1. Présentation du PDDAA

a. Définition

   Le PDDAA est par essence l’entité qui rassemble les différents acteurs du secteur agricole de premier plan –au niveau continental, régional et national- en vue d’améliorer la coordination, de partager les connaissances, les réussites et les échecs, de s’encourager les uns les autres et de favoriser les efforts communs et individuels, visant à atteindre les objectifs visés.

   Le PDDAA est un plan du NEPAD, qui lui est un organe de l’Union Africaine (UA). Créé en 2003 par l’Assemblée de l’UA, le PDDAA porte principalement sur l’amélioration de la sécurité alimentaire, de la nutrition, et l’augmentation des revenus dans les économies africaines  essentiellement basées sur l’agriculture.

   Le PDDAA peut également se définir au travers de ses piliers qui représentent les principaux secteurs d’intervention du programme, pour l’amélioration de l’investissement dans l’agriculture. Ces piliers sont :

  • la gestion durable des terres et des eaux
  •  l’accès aux marchés
  • l’approvisionnement alimentaire et la réduction de la faim
  • la recherche agricole.

    Chaque pilier supervise différents sous-programmes visant à atteindre les objectifs du PDDAA, et de nombreux progrès sont à mettre à leur actif.

    Neuf Etats de l’Afrique Centrale en sont membres : l’Angola, le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao Tomé et Principe, et le Tchad.

    Le programme bénéficie de l’apport de partenaires techniques : le RESAKSS (Regional Strategic Analysis and Knowledge Support System), l’Agence de coordination du NEPAD, l’IFPRI (l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires), la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) ; mais également de l’apport d’autres partenaires parmi lesquels le FARA (Forum Africain pour la Recherche Agricole), et même la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale).

b. Mission, vision et objectifs du PDDAA

   Le  PDDAA a notamment pour mission d’aider les pays africains à atteindre un degré plus élevé de croissance économique grâce à un développement axé sur l’agriculture ; il a aussi pour mission de faire relever la production agricole et augmenter l’investissement public dans l’agriculture.

   Concernant sa vision, le PDDAA par l’intermédiaire du NEPAD répond aux défis posés dans l’ensemble du secteur agricole à l’échelle du continent africain. C’est une initiative sous contrôle africain et menée par l’Afrique, et qui représente la vision collective des dirigeants africains concernant l’agriculture. Cette vision ambitieuse et globale de la réforme agricole sur le continent  s’est donné pour tâche d’atteindre un taux de croissance moyenne annuelle de 6% d’ici 2015. Les dirigeants africains espèrent voir à cette échéance des marchés agricoles dynamiques, des agriculteurs qui participent à l’économie de marchés, qui disposent d’un bon accès au marché, avec en sus une répartition des richesses plus équitable pour les populations rurales, une Afrique acteur stratégique de la science et de la technologie agricole, une production agricole respectueuse de l’environnement, et une plus grande culture de la gestion durable des ressources naturelles.

    Pour ce qui est de son objectif global, le PDDAA envisage d’éradiquer la faim et de réduire la pauvreté grâce à l’agriculture.

2. Financement et mise en œuvre du PDDAA

a. Le financement du PDDAA

   le PDDAA pour son financement bénéficie d’un « Fond d’affectation spéciale multidonnateurs » (FASM), car en effet, depuis 2003 ses partenaires ont travaillé en étroite collaboration pour soutenir son organisation et l’élaboration de ses quatre piliers. Cet effort commun s’est traduit par une harmonisation appréciable  des aides des bailleurs de fond en faveur des activités du PDDAA et des programmes d’investissement.

   Le NEPAD (UA) et les Communautés Economiques Régionales (CERs) ont travaillé en accord avec de nombreux bailleurs de fond et de gouvernements africains pour coordonner d’avantage les aides. Ces efforts ont ainsi permis la création du Fond d’affectation spéciale multidonnateurs, qui est hébergé à la Banque Mondiale et canalisera les soutiens financiers aux opérations et investissements du PDDAA. 

   Le FASM va ainsi permettre de manière prévisionnelle, d’harmoniser les priorités, de permettre les économies d’échelles, d’augmenter l’efficience et l’efficacité des ressources financières, de cibler les lacunes dans les financements, les capacités et les technologies, de faciliter la mise en place des partenariats et coalitions entre les institutions africaines et les bailleurs de fonds, et enfin de compléter les ressources mobilisées autour des piliers du PDDAA et d’autres priorités thématiques.

b. Exécution  des sous-programmes du PDDAA

   Celle-ci passe par la réalisation des quatre piliers susmentionnés.

   Le pilier 1 « gestion des terres et des eaux », vise à étendre les surfaces exploitées dans le respect d’une gestion durable des terres, et bénéficiant de système fiable de maitrise des  eaux. 

  Le pilier 2 « accès aux marchés », vise à renforcer les capacités des entrepreneurs du secteur agricole (producteurs commerciaux et petits agriculteurs), pour répondre aux exigences du marché toujours plus complexes en matière de qualité et de logistique, en privilégiant les denrées agricoles susceptibles d’augmenter les revenus ruraux.

   Le pilier 3 « approvisionnement alimentaire et réduction de la faim », pour sa part, vise à augmenter l’approvisionnement alimentaire et à réduire la faim dans les régions visées, en élevant la productivité des petits exploitants et en améliorant les dispositions prévues en cas d’urgence alimentaire. En outre ce pilier ambitionne de garantir que le PDDAA s’occupe simultanément de la croissance agricole et des Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD) qui permettront de réduire la pauvreté et la faim.

   Le pilier 4 « recherche agricole », dernier pilier, promeut la recherche scientifique et technologique afin d’améliorer les systèmes agricoles. En outre, grâce à une collaboration étroite avec des partenaires tels que « Research Into Use » du Royaume Uni, ce pilier a aussi pour objectif de dynamiser les moyens permettant aux agriculteurs d’adopter de nouvelles technologies.

    Le PDDAA est notamment mis en œuvre à l’échelle de l’Afrique Centrale sous la coupe de la politique agricole commune de la CEEAC (PAC-CEEAC). C’est dans ce sens que fut adopté à Libreville le 10 juillet 2013 le pacte de partenariat pour la mise en œuvre du PDDAA en Afrique Centrale, et que c’est tenu à Douala du 3 au 6 septembre 2013, un atelier de validation du programme régional d’investissement agricole, de sécurité alimentaire et nutritionnelle dans le cadre du PDDAA.

   On le constate donc, le PDDAA du NEPAD (UA)  semble porter à l’échelle du continent africain les fondements d’une véritable « politique agricole », une initiative qui est notamment suivie de façon complémentaire par les CERs (Communautés Economiques Régionales), comme le montre l’exemple de la CEMAC.

B- La stratégie agricole commune des pays membres de la CEMAC

1. Présentation de la stratégie

   L’agriculture est le principal pilier de l’économie des  Etats membres de la CEMAC,  elle couvre les besoins de subsistance et les revenus d’une large partie de la population rurale, elle emploi environ 64% de la force active de la sous-région et contribue à 25% au PIB de la communauté. Malheureusement, en matière de sécurité alimentaire, les pays de la CEMAC n’ont pas pu ces dernières décennies assurer l’augmentation agricole et la disponibilité alimentaire pour leurs populations. La zone CEMAC continue de faire face à des situations de crise alimentaire, et les performances du secteur agricole demeurent insuffisantes pour faire face aux multiples défis auxquels la zone est confrontée.  

   C’est dans ce contexte que les chefs d’Etats de la CEMAC ont à travers l’article 35 de la Convention  portant création de l’UEAC de 1996 et  révisée le 25 juin 2008 à Yaoundé, définis les lignes directrices de la stratégie agricole commune.

   La stratégie agricole commune nait de la volonté des Chefs d’Etats de la CEMAC, elle repose notamment sur plusieurs priorités, dont la mise en œuvre ouvre la perspective à long terme d’une véritable « politique agricole commune ».

   L’une des priorités de la stratégie c’est de coordonner et harmoniser les « politiques agricoles » des pays membres de la CEMAC. En effet, l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC), première institution de la CEMAC, dans le cadre des politiques sectorielles de la communauté et particulièrement dans le secteur agricole, prévoit d’instaurer et de développer une coordination des politiques agricoles et commerciales des Etats membres. Cette coordination repose sur des principes qui doivent aider la communauté à exploiter au maximum les complémentarités des économies des Etats membres dans une perspective d’intégration économique. Cela suppose alors la prise en compte des avantages comparatifs des différentes productions agricoles de la région ainsi que des différentes politiques mises en place dans les Etats.

   La coordination des politiques agricoles telle que présente dans la convention UEAC révisée en 2008, prend en compte :

  • L’interdépendance, car les pays de la CEMAC disposent de potentialités agricoles diversifiées qui doivent stimuler les échanges tout en créant de nouveaux liens économiques ;
  • Le poids dans les négociations internationales, car malgré la taille modeste de la CEMAC (environ 32 millions d’habitants), son marché doit lui assurer une grande place dans les grandes négociations internationales, lui permettant d’établir des partenariats avec d’autres régions ;
  • Une gestion des biens communs régionaux ; car dès sa création, la CEMAC a mis l’accent sur la convergence des politiques financières et monétaires, la surveillance multilatérale, l’établissement des règles juridiques communes, etc.

   Ainsi dans un contexte d’intégration régionale, tous ces aspects doivent donc converger vers un objectif commun, pour permettre à la région de renforcer les capacités de négociation et de bénéficier d’un appui nécessaire à la résolution des problèmes agricoles communs à tous les Etats membres de la communautés.

2. Une stratégie cohérente avec le PDDAA du NEPAD et l’objectif d’intégration  régionale

   Lors de la réunion de Maputo du 12 juillet 2003, les dirigeants africains ont approuvé la mise en œuvre du PDDAA, et ils se sont engagés à allouer au moins de 10% de leurs budgets nationaux pour sa réalisation. Il a été notamment confié aux CERs un rôle spécifique de coordination dans la mise en œuvre du PDDAA,  afin qu’elles soient les piliers de l’intégration agricole et commerciale du continent.

   La stratégie agricole commune des Etats membres de la CEMAC prévoit ainsi en accord avec cette décision des sommets africains, une augmentation des ressources allouées à l’agriculture des pays de la zone.

Les priorités proposées par la stratégie agricole commune sont par conséquent homogènes avec les piliers du PDDAA :

  • Une amélioration de la productivité ;
  • Des investissements dans les espaces clés que sont l’eau, le sol et les infrastructures rurales de communication ;
  • La formation et le renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs du domaine agricole et rural ;
  • Le développement des technologies adaptées ;
  • L’appui à la recherche et à la vulgarisation des résultats ;
  • La promotion des échanges régionaux et extrarégionaux afin d’améliorer la sécurité alimentaire.

La stratégie agricole commune est entre autre un cadre de référence pour plusieurs programmes :

  • Le programme régional de sécurité alimentaire (PRSA) ;
  • Le programme d’appui à la vulgarisation nutritionnelle ;
  • Le programme régional d’harmonisation des règlements des mesures sanitaires et phytosanitaires ;
  • Le programme régional de dissémination des connaissances technologiques agricoles.

   On peut donc le constater, le PDDAA et la stratégie agricole commune de la CEMAC sont des initiatives cohérentes avec l’objectif d’intégration régionale, toutefois, ces actions font face à des réelles pesanteurs, qui ralentissent considérablement leur évolution.

II- LES HYPOTHEQUES A L’AVENEMENT D’UNE POLITIQUE AGRICOLE INTEGREE : CAS SPECIFIQUE DE LA CEMAC

   Lorsqu’on pose le regard sur le décor commercial et agricole de la zone CEMAC, on peut relever de nombreuses faiblesses qui entravent une véritable régionalisation du secteur ; ces entravent sont notamment d’ordre endogène (A) mais également d’ordre  exogène (B).

A- Les hypothèques endogènes

1. Symétrie et complémentarité insuffisantes des économies en zone CEMAC

   Le concept de « potentiel d’intégration » doit ici être mobilisé. Ce concept pose comme condition majeure (mais non exclusive) d’influence sur la nature de l’engagement initial et l’évolution ultérieure du processus d’intégration, la symétrie ou l’égalité des économies des  entités qui veulent s’intégrer. Il importe alors peu selon ce concept qu’il existe des noyaux durs d’intégration pour que les participants prospectifs soient égaux en taille, ce qui compte c’est qu’il existe une relation étroite et indispensable entre le commerce, l’intégration et le niveau de développement.

   Concrètement, la politique agricole commune doit être indissociable de la politique commerciale intra zone, tout en s’appuyant sur un réel équilibre entre les économies des pays membres. C’est donc une compatibilité importante pour le processus d’intégration régionale, mais que l’on ne retrouve pas entre les Etats membres de la CEMAC.

   En outre, lorsque l’on observe le processus d’intégration en Afrique, peu d’Etats sur le continent peuvent obtenir des gains économiques substantiels d’un processus d’intégration régional résultant du mimétisme du genre européen, notamment concernant les bénéfices économiques susceptibles d’être tirés de la diminution, voir de la  suppression des barrières douanières. C’est en effet sur ce dernier cas de figure que s’est développée la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne (PAC-UE), fondée entre autre sur les principes de libre circulation et de préférence communautaire.

   En zone CEMAC, les pays présentent des caractéristiques qui permettent d’établir une classification sur la base de critères pertinents. Parmi ces critères on retrouve notamment celui de la situation alimentaire du pays visé, à savoir si ce dernier est importateur net de produits alimentaires ou non. Des études montrent alors que seuls le Cameroun et le Congo remplissent les mêmes critères de classification, la RCA  et le Tchad ne diffèrent que par la présence du pétrole dans le deuxième. Ces critères disparates influencent largement la structure des économies de chaque pays, et partant leur égalité ou symétrie.

   Par ailleurs, l’ensemble des pays membres de la CEMAC représente un marché de plus de 30 millions de consommateurs, mais les échanges entre les Etats membres ne représentent qu’un très faible pourcentage du total de leur commerce. Plusieurs causes sont à l’origine, et la première et plus importante à trait à l’absence d’une véritable volonté politique de construire une complémentarité des structures de production. En effet, plusieurs pays dans la zone produisent les mêmes biens et de ce fait, l’exportation est avant tout tournée vers les autres régions. C’est le cas par exemple du textile, produit dans plusieurs usines des pays CEMAC, alors que l’unité camerounaise dispose d’une capacité de production permettant de couvrir les besoins de l’ensemble des habitants de la zone et d’exporter ensuite sur des marchés tiers.

   Un regard sur les échanges agricoles intra CEMAC nous montre que le Cameroun est le premier fournisseur des autres pays de la région, puisqu’il représente à lui seul près des trois-quarts des exportations intra régionales. Il exporte en premier lieu vers le Gabon, ensuite vers le Congo et la Guinée Equatoriale et de façon plus modeste vers la RCA et le Tchad. Le Cameroun est suivi du Congo et du Gabon dans ces échanges intra CEMAC, la RCA, le Tchad et la Guinée Equatoriale n’exporte rien vers les autres pays.

   L’économie camerounaise se trouve de ce fait très excédentaire dans les échanges intra régionaux, tandis que tous les autres pays sont déficitaires, soulevant ainsi la question de l’équilibre des gains que tirent les entités impliquées dans le processus d’intégration.

2. Les autres obstacles

a. L’insuffisance de l’intervention publique

   La politique agricole peut être définie comme l’intervention publique dans le secteur agricole. La notion d’intervention est comprise ici au sens large : elle concerne les actions que l’Etat mène, d’une part dans les structures centralisées, d’autre part à tous les échelons décentralisés ; elle concerne également toutes les actions visant à coordonner, orienter le comportement des acteurs privés.

   La place de l’intervention publique dans le secteur agricole a été largement revisitée au cours des deux dernières décennies. Partant d’une situation d’omniprésence des Etats dans le développement agricole, les programmes de libéralisation ont cherché à promouvoir le marché comme dispositif privilégié de coordination, et la « vérité des prix » comme garante de l’efficacité de l’économie. Malgré le bilan mitigé des expériences de libéralisation et de désengagement de l’Etat dans les pays en voie de développement, l’évolution des esprits a été telle en vingt ans que l’intervention publique doit aujourd’hui être justifiée sur la base d’arguments précis. C’est une situation assez désavantageuse pour les Etats de la CEMAC, quand on sait qu’une région comme l’UE a construit sa puissance verte sur un interventionnisme accru en matière agricole, ce qui lui a valu de nombreuses critiques, notamment sous l’ère du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade).

   Il est donc nécessaire pour les pays de la CEMAC aujourd’hui, de mobiliser ce langage économique pour la définition, la justification et l’évaluation  empirique des politiques publiques dans le secteur agricole.

b. La déficience de la libre circulation, des infrastructures de transport, et du respect des règles communautaires

   La libre circulation reste jusqu’à l’heure actuelle l’un des talons d’Achille du processus d’intégration en zone CEMAC. En effet, l’obtention préalable du visa reste malgré le récent accord des Chefs d’Etats membres sur la libre circulation (décision du 14 juin 2013), une condition obligatoire pour l’entrée sur le territoire de la Guinée Equatoriale, qui a refusé d’appliquer cet accord. La continuité de la posture de prudence du Gabon et de la Guinée Equatoriale sur le point de l’exemption de visa vis-à-vis des ressortissants de la communauté reste de mise. On avait déjà  pu bien avant cela remarquer une réelle apathie de ces deux Etats dans la mise en œuvre des opérations de conception, de sécurisation, de production et de mise en service du passeport biométrique. Le statu quo reste donc préservé et garde au calendre grecque l’avènement d’une réelle politique agricole et commerciale intra CEMAC. Sur l’axe routier Bangui-Yaoundé, plusieurs barrières sont érigées, chacune d’entre elles peut retarder le voyage d’environ 30 minutes, certaines ne sont ouvertes qu’aux heures officielles et tout transporteur  ou marchandise qui atteint un contrôle après 16 heures ne peut repartir que le lendemain à 7 heures, soit une interruption de 12 heures dont les conséquences sur les produits périssables sont évidentes.

   Une autre contrainte porte sur les infrastructures de transport. L’absence d’axes routiers adaptés et suffisants continue de gainer la circulation des produits. Or le transport routier demeure le plus dominant en Afrique, tant à l’intérieur de chaque pays qu’à l’intérieur d’espaces intégrés. Dans la zone CEMAC, quatre pays sur six n’ont d’autres infrastructures terrestres de communication que les routes, et plus des 2/3 du réseau routier de la CEMAC n’est pas en bon état.

   Enfin, l’application balbutiante des règles communautaires pose un obstacle certain, dans la mesure où en matière de douane par exemple, la zone CEMAC s’est dotée d’un tarif extérieur commun (TEC), mais plusieurs Etats décident de déclasser les produits, en pratiquant des exonérations discrétionnaires et non réglementaires, ou en ajoutant des droits de douanes.

Ces contraintes ont un impact non négligeable sur le commerce intra CEMAC, dominé par les échanges de produits agricoles. On peut noter avec espoir tout de même, que le mauvais état des routes n’empêche aucunement les populations de se mouvoir pour vendre leurs marchandises agricoles ; il va donc de soi qu’une amélioration de l’état des voies de communication sera un avantage incontestable.

B- Les hypothèques exogènes

1- L’influence des institutions internationales et de leurs règles

a. Le cas de l’OMC

   Le commerce international est soumis à des règles préétablies et concertées, notamment au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’OMC nait le 1er janvier 1995 à l’issue du cycle de l’Uruguay (1986-1994), faisant suite aux accords de Marrakech de 1994. 153 pays en sont membres en 2008, parmi lesquels tous les Etats membres de la CEMAC.

   Les fonctions de l’OMC sont notamment l’administration des accords commerciaux, l’instauration d’un cadre pour les négociations commerciales, le règlement des différends commerciaux, le suivi des politiques commerciales nationales, l’assistance technique et la formation pour les pays en développement et enfin la coopération avec d’autres organisations.

   L’OMC est une « member driven » organisation, c'est-à-dire que ses règles résultent des négociations des gouvernements des Etats membres, elles sont prises pour la plupart par consensus et enfin elles sont ratifiées par les Etats membres. Ces règles sont notamment discutées lors des conférences de l’OMC, au cours desquelles l’agriculture tient toujours une place de premier rang.

   La conférence de Doha en 2001 a justement posé comme norme la réduction de toutes formes de subventions aux exportations en vue de leur élimination progressive, ainsi que la diminution forte des aides intérieures.

    La conférence de Cancun  de 2003 qui s’est poursuivie à Genève en 2004, a émise comme ligne de conduite en matière agricole la réduction et le plafonnement du soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges, ainsi que l’élimination progressive des subventions à l’exportation et la baisse des tarifs douaniers.

    La conférence de Hong-Kong enfin, tenue en 2005, a prôné la poursuite des acquis précédents, la fin des subventions à l’exportation dans l’agriculture en 2013 et des engagements sur le coton. Mais cette conférence a connu par la suite un enlisement, du fait notamment de la polarisation autour des soutiens internes à l’agriculture, et de l’abaissement des droits de douanes dans l’agriculture.

   On le voit donc, l’OMC adopte des normes qui se révèlent être dans un contexte bien précis, de véritables pesanteurs aux politiques nationales et même sous-régionales. A l’instar d’autres institutions comme le Fond Monétaire International (FMI) ou encore la Banque Mondiale (BM) en matière de finance internationale et de monnaie, l’OMC au travers de ses normes imposent désormais aux Etats membres de bénéficier dans toute élaboration et mise en œuvre d’une politique agricole et commerciale, de ce que l’on appelle « la légitimité externe ».

b. La légitimité externe : conséquence d’une mondialisation accrue, et limite mouvante aux politiques nationales et sous-régionales

    La définition d’une politique nationale ou même sous-régionale aujourd’hui met en jeu à la fois la légitimité d’un Etat ou d’une CER, à prendre des mesures jugées bonnes socialement pour les citoyens dont ils défendent les intérêts, et la responsabilité vis à vis des pays ou régions tiers, de ne pas créer de nuisances, ce que sont les fameuses distorsions de prix : on parle alors de « légitimité externe ».

    Il se peut en effet que des considérations sociales, culturelles, éthiques se mêlent aux considérations commerciales, et que la prise en compte d’intérêts domestiques sociaux, culturels ou environnementaux nationaux ou sous-régionaux, débouche sur des mesures perturbant les marchés mondiaux, celles que l’on appelle mesures « distorsives ». Bien que les mesures soient alors efficaces au niveau national ou régional, elles seront qualifiées de déloyales par des pays tiers  car ne respectant pas le libre jeu du marché. Un jeu dans lequel les économies frêles et exigües de la CEMAC ont bien du mal à se trouver une niche. Le critère d’efficacité ne suffit plus à assurer la conformité aux règles internationales, car l’efficacité nationale ou sous-régionale ne correspond pas forcément à l’efficacité multilatérale ou internationale.

    En outre, pour un Etat ou une CER qui cherche à définir une politique régionale ou nationale, la recherche de conditions d’efficacité économique maximale peut se trouver contrecarrée par des conditions qui ne sont pas celles du libre marché et concurrentielles. On sait par exemple aujourd’hui que de nombreux produits agricoles, en raison des soutiens directs et indirects dont ils bénéficient dans les pays riches, s’échangent sur les marchés internationaux à des prix de dumping, et ce en toute conformité avec les règles actuelles de l’OMC. Se conformer à ces règles présente un risque pour les pays en voie de développement, d’exposer leurs produits à la concurrence sans possibilité de recours.

   L’équation à résoudre semble donc bien compliquée pour la CEMAC dont tous les Etats qui sont membres de l’OMC, doivent se soumettre à ses règles.

2- Les accords régionaux de commerce : le cas de l’accord de partenariat économique (APE)

a- L’objectif majeur de l’APE

    L’APE  entre l’UE et la CEMAC + Sao Tomé et Principe (STP) vise à mettre en place une zone de libre échange (ZLE). La ZLE doit recouvrir 90% des flux échangés, il s’agit précisément de libéraliser l’équivalent de 6 milliards d’euros d’échanges entre les deux régions. Compte tenu de l’écart de développement et des déclarations des représentants de la commission européenne, la libéralisation sera complète du côté de l’UE, tandis qu’elle sera progressive et maitrisée du côté de la CEMAC + STP. Ainsi le marché de l’UE sera entièrement ouvert aux exportations de la CEMAC + STP.

    De son côté la CEMAC + STP bénéficiera d’une marge permettant d’exclure de la libéralisation l’ensemble des produits agricoles, même si l’exclusion d’un secteur entier comme l’agriculture est une violation des règles de l’OMC.

    Mais si l’APE semble à première vue être à l’avantage de la zone CEMAC, ses conséquences (positives ou négatives) à long terme sur l’économie de cette dernière restent confuses, du fait d’une libéralisation en effet, qui se révèle d’un bénéfice très discutable pour la CEMAC.

b. L’impact sous-jacent d’une libéralisation déséquilibrée

    La libéralisation prônée par l’APE se traduira au sein de la CEMAC par une baisse des prix des denrées alimentaires, qui engendre une baisse généralisée des prix ; une augmentation de la production agricole de rente (pour l’exportation) au détriment de la production pour le marché domestique ; une baisse de la production des industries alimentaires qui ne pourront faire face à la concurrence des produits alimentaires importés ; une baisse globale de la consommation des ménages, car la baisse du revenu est plus forte que la baisse des prix aux consommateurs ; et enfin une aggravation de la pauvreté en milieu rurale.

    En effet, toute libéralisation potentiellement bénéfique pour tous ses acteurs repose sur un équilibre concurrentiel entre ces derniers ; or ce n’est aucunement le cas entre l’UE et la CEMAC + STP. La CEMAC + STP ne dispose notamment pas d’industries promptes à faire concurrence aux industries européennes dans de nombreux secteurs, à l’exception notamment des produits de rentes comme la banane et le sucre. Cette libéralisation enlisera donc la CEMAC + STP dans une économie très peu diversifiée, tout en hypothéquant l’évolution d’une véritable industrie agroalimentaire locale et internationalement concurrentielle.

    En terme d’exportation, l’APE va permettre un meilleur accès au marché européen pour les produits exportés par la CEMAC + STP. Cependant la majorité des produits agricoles de la région rentrent dans l’UE sans droits de douane et sans quotas, et ce sans distinction de provenance. Par conséquence, face à la situation actuelle, seuls la banane et le sucre soumis à contingentement et/ou à accès préférentiel verront leur accès sur le marché européen amélioré.

    Mais il est aussi important d’évaluer l’impact en cas de non signature de l’APE. Dans ce cas d’espèce, la situation varie suivant le prisme sous lequel on jauge les retombées de l’accord, notamment le prisme des pays moins avancés (PMA) de la région (Guinée Equatoriale, Centrafrique, Tchad) qui représentent 8,6% des exportations vers l’UE de la zone et qui bénéficient dors et déjà d’un accès libre au marché européen via « tout sauf les armes ». La situation diffère pour les autres pays de la CEMAC, en effet une non-signature les soumettrait au système de préférences généralisées (SGP), y compris pour le sucre et la banane. Or ce dernier est moins favorable que le statut actuel pour un bon nombre de produits.

    Globalement, une non signature exposerait certains produits exportés (en provenance essentiellement du Cameroun) à une perte d’accès préférentiel au marché européen, c’est particulièrement vrai pour la banane. Il apparait donc qu’une non-signature dégraderait la position des non PMA de la CEMAC sur le marché européen.

    Toutefois, l’approfondissement de l’intégration régionale et la certitude d’un accès préférentiel pour une longue durée au marché européen peuvent aussi permettre d’accroitre les exportations de la CEMAC + STP. En outre, les marchés de niche sont une grande opportunité, dans la mesure où le consommateur européen se tourne de plus en plus vers les produits de l’agriculture biologique ou agriculture « bio », et qu’il est prêt à payer un prix supérieur au prix traditionnel. Le Cameroun étant pionnier dans la production biologique dans la région, les retombées positives semblent donc évidentes.

    On le voit donc, l’APE  n’est en effet pas de nature à permettre l’émergence d’une politique agricole commune en zone CEMAC, dans la mesure où comme le montre ce qui précède, l’accord bien que signé entre régions, nourrit des retombées surtout individuelles pour les pays de la CEMAC.

Il ressort alors de notre examen que les initiatives agricoles africaines, si elles existent, sont encore loin d’être un instrument efficace du processus d’intégration régionale en Afrique, eu égard aux obstacles qui peuvent exister comme le montre le cas particulier de la CEMAC. L’exemple de l’UE qui s’impose sur la scène internationale comme la référence en matière de processus d’intégration régionale, présente à souhait de nombreuses solutions qui ont permis aux instances européennes de construire une véritable puissance verte à l’instar des Etats-Unis  d’Amérique, du Canada ou du Japon. Mais l’environnement international étant en constante évolution, les Etats d’ Afrique, et de la CEMAC en particulier, doivent aujourd’hui opérer dans un contexte qui ne peut laisser place aux procédés dont se sont prévalus pendant des années l’UE et les autres pour asseoir leur puissance agricole. On peut citer  notamment un protectionnisme hautement sélectif qui a permis la consolidation d’une industrie agricole compétitive, ou encore les mesures de compensations monétaires et de prélèvements au sein de l’UE, comparables aux target price et loan price du côté des Etats-Unis. Des actions aujourd’hui prescrites par l’OMC. En outre la PAC européenne s’est construite sur des principes solides et favorables au processus d’intégration régionale, à savoir une totale libre circulation des produits et des personnes à l’intérieur de la communauté, la préférence communautaire, la solidarité financière et l’intervention commune sur les marchés. Des points qui semblent encore faire défaut lorsqu’on observe la réalité de l’intégration régionale en Afrique à l’heure actuelle.  Les autorités africaines et de la CEMAC en particulier, doivent et ne peuvent donc qu’élaborer des stratégies agricoles innovantes et favorables au processus d’intégration, notamment en favorisant une libre circulation des personnes et des biens dans toute la communauté, en assurant une prévisibilité et une stabilité de l’environnement économique pour attirer les investisseurs, mais par-dessus tout en s’assurant une volonté politique des dirigeants africains traduits par des actes concrets.

BIBLIOGRAPHIE

  • Benoit DAVORON (CIRAD), Benoit FAIVRE DUPAIGRE (IRAM), Vincent RIBIER (CIRAD), Jean-Pierre ROLLAND, Tancrède VOITURIER (CIRAD), Abigail FALLOT (CIRAD), Arlène ALPHA (GRET), Manuel d’élaboration des politiques agricoles, construction d’argumentaires pour l’intervention publique en Afrique de l’Ouest et du Centre, Les Editions du GRET, Paris, 2004 ;
  • CEMAC, « la stratégie agricole commune des pays membres de la CEMAC » version provisoire, 2004 ;
  • FIDA, OCDE, « contraintes au développement du secteur agricole et à la réduction de la pauvreté  rurale au Cameroun », 2007 ;
  • Frédéric TEULON,  la politique agricole commune, Presses Universitaires de Frances, Paris, 1991 ;
  • GRET, « impact sur l’agriculture de la CEMAC et Sao Tomé et Principe d’un accord de partenariat avec l’Union Européenne », Paris, 2007 ;

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