Un récent arrêt de la Cour de Cassation (Cass. Crim. 26 novembre 2019, n° 19-80.360 – voir ci-dessous) continue de dessiner les limites dans lesquelles un(e) salarié(e) a le droit de dénoncer les actes de harcèlement dont il/elle est victime.
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Dans ce dossier, la salariée d'une association destinée à développer l'enseignement confessionnel avait envoyé un e-mail intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral », mettant en cause nommément le vice-président de cette association.
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Elle l'a envoyé :
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au directeur général de l’association,
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à l’inspecteur du travail.
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Jusqu'ici, pas de difficulté.
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Le simple exercice d'un droit encadré par la loi ne peut être constitutif d'une infraction pénale. Or l'article L1152-1 du Code du Travail est très clair :
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« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
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Par un arrêt du 28 septembre 2016 (pourvoi n°15-21823), que nous connaissons bien (il s'agissait d'un de nos dossiers), la Cour de Cassation avait jugé que les exigences du droit de la presse et de la diffamation, notamment en matière de preuve, ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité du droit de dénoncer, auprès de son employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont le salarié estime être victime.
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La Cour de Cassation, chambre civile, avait en cette occasion aligné sa jurisprudence sur celle de la chambre sociale, indiquant que dans ce cas, le salarié ne peut être poursuivi qu’en cas de particulière mauvaise foi, c’est à dire s'il avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits qu'il allégué.
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Elle ajoutait que le salarié de mauvaise foi serait pénalement sanctionnable uniquement sur le terrain de la dénonciation calomnieuse, et non de la diffamation.
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La différence était de taille, car en matière de dénonciation calomnieuse, comme en droit du travail, c’est à l'employeur de démontrer la mauvaise foi du salarié.
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Alors qu'en matière de diffamation, c'est la personne poursuivie qui doit apporter des preuves, ou démontrer sa bonne foi (le seul fait de croire sincèrement ce que l'on a dit n'étant pas une preuve de bonne foi suffisante...).
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Dans la situation décrite ci-dessus, si la salarié s'en était tenue à envoyer son e-mail à son employeur et à l'Inspection du Travail, nul n'aurait pu l'inquiéter.
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Malheureusement, elle a aussi adressé son e-mail :
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au directeur spirituel de l’association et d’un établissement d’enseignement supérieur,
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au fils de la personne qu'elle incriminait.
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Or la loi ne donne pas à ces deux personnes de pouvoir particulier pour intervenir en matière de harcèlement.
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Dès lors, la cour de Cassation a estimé que la protection évoquée ci-dessus n'avait plus lieu d'être, et souligne à nouveau que pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale (rappelons que la diffamation est un délit), la salariée en cause aurait dû réserver son envoi à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et ne pas l'adresser à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.
Elle est donc condamnée pour diffamation publique.
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Ce qu'il faut retenir de cette décision, c'est que la personne s'estimant victime d'un harcèlement peut librement s'adresser à son employeur, à l'Inspection du Travail, voire au CHSCT de l'entreprise, mais qu'en aucun cas, elle ne doit prendre à témoins d'autres personnes de ses accusations.
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Cass. crim., 26-11-2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I
(…)
15. Pour retenir Mme ... dans les liens de la prévention l'arrêt énonce, après avoir constaté que le courriel de celle-ci a été adressé de sa messagerie électronique, non seulement à M. Lionel ..., directeur général de l'association et à l'inspecteur du travail, mais aussi à M. Ariel ..., directeur spirituel de l'association ainsi que d'un établissement d'enseignement supérieur, et à M. Reouven ..., second fils de M. Jean-Paul ..., que les propos poursuivis imputent à ce dernier des faits d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral, selon le titre même du message, ces mots étant repris quasiment à l'identique dans le corps du message, faits attentatoires à l'honneur et à la considération dès lors qu'ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l'objet d'un débat sur leur vérité.
16. Les juges relèvent que, s'il existe des éléments permettant d'établir la réalité d'un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu'a pu en avoir Mme ..., rien ne permet de prouver l'existence de l'agression sexuelle que celle-ci date de l'année 2015 et pour laquelle elle n'a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n'est des faits, au moins du désarroi de la victime.
17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
18. La personne poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s'estime victime peut s'exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l'article 122-4 du code pénal, lorsqu'elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2, L. 1153-3 et L. 4131-1, alinéa 1er, du code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l'application des dispositions dudit code.
19. Toutefois, pour bénéficier de cette cause d'irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l'application des dispositions du code du travail et non, comme en l'espèce, l'avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l'une de ces qualités.
20. Par ailleurs, de ses énonciations et constatations la cour d'appel a déduit, à juste titre, que Mme ... ne pouvait bénéficier de l'excuse de bonne foi, les propos litigieux ne disposant pas d'une base factuelle suffisante.
21. Ainsi le moyen ne peut qu'être écarté.
22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la CourÂ
REJETTE le pourvoi
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