Par un arrêt du 18 janvier 2019, la Cour d'Appel de PARIS a reconnu, après un long combat procédural, que le suicide de l'épouse de notre client était un accident du travail, même s'il ne s'est pas produit sur le lieu de travail. Il est arrivé par le fait du travail.
Cliquer sur pour télécharger la décision.
Les causes d'un suicide sont difficiles à analyser. Un tel geste est-il dû à un événement soudain ? Jusqu’où remontent ses ramifications? A-t-il une seule cause ou plusieurs entremêlées ?
Ces questions, incroyablement douloureuses pour les proches de la victime, deviennent encore plus complexes lorsque se pose la question de savoir si ce suicide remplit les conditions pour être reconnu comme accident du travail.
Selon l'article L.411-1 du Code de la Sécurité Sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
S'agissant d'un salarié ayant tenté de mettre fin à ses jours à son domicile, la Cour de Cassation a jugé « qu'un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu'il est survenu par le fait du travail » (Cass. Civ. 2ème, 22 février 2007, pourvoi n°05-13771).
Il n’est donc pas nécessaire d’identifier avec certitude toutes les causes d'un acte aussi personnel qu'un suicide.
Le seul critère posé par la Cour de Cassation est celui d'un événement survenu « par le fait du travail », en lien direct et certain avec le travail, nonobstant d'autres causes éventuelles.
Dans ce dossier, nous sommes parvenus à établir, avec l'aide de l'Inspection du Travail, que la victime
-
avait été recrutée sur un poste sensible, ayant une importance vitale pour l'employeur (renouveler une accréditation indispensable à son activité économique)
-
qu'elle n'avait ni expérience ni formation sur le sujet qui lui était confié, qui l'a rapidement dépassé
-
que pour être à la hauteur, elle s’est fortement engagée dans le travail, travaillant la nuit et le week-end
-
qu'elle avait une peur panique de décevoir son employeur, et fondait en larmes à son poste de travail au moins une fois par semaine
-
que son supérieur hiérarchique avait à son égard un comportement grossier, et lui avait brutalement supprimé des congés payés négociés plusieurs mois plus tôt
-
que son employeur avait « oublié » de l'inviter à une fête de l'entreprise.
Retenant ces éléments, la Cour d'Appel de PARIS a jugé que « la cause du décès de Mme X. est imputable à son travail, son suicide de revêtant pas un caractère volontaire puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles. »
Pour le travail de préparation de ce dossier, nous nous sommes notamment appuyé sur :
Les études de l'INRS intitulées « Suicide en lien avec le travail » et « Le stress au travail », qui soulignent notamment :
« D'après l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (...), un état de stress « survient lorsqu'il y a un déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face ».
A consulter, aussi, l'accord-cadre européen du 8 octobre 2004 sur le stress au travail :
L'identification d'un problème de stress au travail peut passer par une analyse de facteurs tels que l'organisation et les processus de travail (aménagement du temps de travail, degré d'autonomie, adéquation du travail aux capacités des travailleurs, charge de travail, etc.), les conditions et l'environnement de travail (exposition un comportement abusif, au bruit, à la chaleur, à des substances dangereuses, etc.), la communication (incertitude quand à ce qui est attendu au travail, perspectives d'emploi, changements à venir, etc.) et des facteurs subjectifs (pressions émotionnelles et sociales, impression de ne pas pouvoir faire face à la situation, perception d'un manque de soutien, etc.).
Enfin, une très intéressante décision de jurisprudence de la Cour d'Appel de DOUAI, s'agissant d'un salarié « fragilisé » par un précédent licenciement, et qui s'est suicidé après avoir été embauché par un nouvel employeur. Il a été jugé que son décès n'en est pas moins directement lié aux conditions d'exercice de son activité professionnelle dans les semaines précédentes (Cour d’Appel de DOUAI, 31 janvier 2013, RG n°11/00443).