Alors qu’elles sont en passe de bénéficier d’une aide d’État de près de 60 milliards de dollars, certaines compagnies aériennes américaines refusent de rembourser les passagers dont le vol a été annulé en conséquence de la pandémie de Covid-19. Le département du Transport des États-Unis, l’équivalent américain du ministère des transports français, s’est exprimé le 3 avril en intimant aux compagnies américaines et étrangères de rembourser les passagers concernés. Malgré ceci, les passagers américains font toujours face aux mêmes difficultés pour se faire rembourser.
Certains ont donc décidé de prendre les choses en main et d’initier une “class action” devant la Cour de district des États-Unis pour le nord de l’Illinois contre la compagnie américaine United Airlines. Selon les plaignants, la compagnie a refusé de façon répétée de rembourser les passagers, affirmant que leur type de billet réservé ne leur donnait pas ce droit. Et ce, en violation des droits des consommateurs américains. Un élément suspect serait notamment la modification, par quatre fois, de ses conditions de remboursement par la compagnie United Airlines.
Qu’est-ce qu’une class action, quel est son intérêt ?
Cette action, prévue à l’article 23 du Code Fédéral de Procédure Civile, permet à quelques individus de représenter un groupe important et relativement abstrait de personnes qui font face au même préjudice, évitant donc de constituer de multiples actions solitaires moins importantes. Ceci donne du poids à des demandeurs qui sont, dans certaines relations contractuelles, des parties dites “faibles”. C’est le cas des passagers et des consommateurs, de simples particuliers loin d’avoir les moyens d’une grande entreprise. Ceci permet également de faire peser une attention médiatique importante sur le défendeur à l’action, et donc de peut-être l’amener plus rapidement à négocier une solution amiable.
La situation des remboursements dans l’Union Européenne
Dans l’Union Européenne (UE), où les passagers sont pourtant mieux protégés, la même problématique se présente. Faisant certes face à une crise sans précédent, les compagnies semblent refuser de rembourser les passagers dont le vol a été annulé à cause de la pandémie. Des avoirs sont systématiquement proposés, certains services clients ne sont pas disponibles, et même après l’acceptation éventuelle du remboursement par la compagnie, aucun délai n’est respecté pour le paiement lui-même. Pourtant, les articles 5 et 8 du règlement européen n°261/2004 affirment très clairement l’obligation pour les compagnies, en cas de vol annulé, de proposer aux passagers le choix entre un avoir, un réacheminement, et un remboursement. Ce dernier doit donc impérativement être proposé aux passagers, et non pas être volontairement omis !
Les États membres de l’UE cherchent à protéger les compagnies aériennes, et les autorisent parfois à ne pas rembourser les passagers, malgré la primauté du règlement européen. En France, le secrétaire d’État au Transport fait notamment du lobbyisme auprès de la Commission Européen pour que celle-ci suspende ou aménage l’obligation de remboursement. Pour le moment, celle-ci continue de se positionner en faveur des passagers ; la Commissaire européenne aux Transports Adina Valean a rappelé le 11 avril aux compagnies la choses suivante “Vous pouvez proposer de préférence un bon aux passagers, mais vous ne pouvez pas les forcer à l’accepter”.
Malgré cette nouvelle affirmation, les remboursements ne sont manifestement toujours pas débloqués. Les passagers continuent de se voir proposer des avoirs. Même lorsque le remboursement a été accepté par la compagnie, il n’est pas certain que le virement soit effectué. Si les passagers français ne recevaient toujours pas le remboursement auquel ils ont droit, pourraient-il entamer une procédure similaire à la class action américaine ?
L’action de groupe en France
Avec la “loi Hamon” du 17 mars 2014, une procédure similaire mais unique au monde a été introduite dans le Code de la consommation. L’action de groupe, telle qu’elle est nommée, permet aux victimes d’un même préjudice causé par une entreprise ou d’un professionnel, de se regrouper et de se défendre collectivement devant un juge, en constituant un seul dossier avec l’aide d’un seul avocat à rémunérer.
L’article L. 623-1 du Code de la consommation précise que seules les associations nationales agréées de défense des consommateurs peuvent agir et introduire en justice une action de groupe (en France, il en existe 15). D’après l’article L. 623-2, l’action de groupe vise à réparer un préjudice patrimonial résultant d’un dommage matériel (ici, la perte d’une somme d’argent non-remboursée alors que l’obligation faisant l’objet de cette contrepartie n’a pas pu être exécutée).
Une fois la procédure engagée, le juge du tribunal compétent (un Tribunal de Grande Instance) devra, d’après l’article L. 623-4, analyser la responsabilité de la compagnie aérienne dans le préjudice allégué par les passagers individuels représentés par les associations. Il pourra ensuite être décidé de la compensation que la compagnie doit octroyer aux passagers. Le juge pourra alors ouvrir la procédure à d’autres victimes potentielles, en leur offrant un délai compris entre six mois et cinq ans pour rejoindre l’action de groupe.
La possibilité existe donc pour les passagers concernés d’engager une telle action. Ils devront cependant s’adresser à l’une des 15 associations de défense des consommateurs agréées en France pour qu’elle les représente. L’action de groupe pourrait présenter un espoir de réparation pour les particuliers victimes d’un litige évident mais jamais compensé. Dans le cas des remboursements de billet d’avion annulé, la seule limite paraît être que les compagnies ne refusent pas expressément le refus. Elles retardent simplement le paiement ou le traitement de la demande, attendant que des mesures gouvernementales qui leurs seraient favorables soient mises en place. Est-ce que cette lenteur de traitement des remboursements, délibérée ou non, constitue un préjudice, sans refus officiel d’une compagnie aérienne ? Il appartiendra au juge de trancher cette question.
Quelle issue pour les passagers concernés ?
À l’heure actuelle, la Commission Européenne semble tenir sa position et favoriser les droits des passagers. Le règlement européen doit toujours être appliqué, sans aménagement spécial. Les compagnies peuvent simplement proposer un avoir plutôt qu’un remboursement, mais ne peuvent pas contraindre les passagers à n’obtenir qu’un avoir, même remboursable et non pas un véritable remboursement. Il faut cependant rester vigilant face au lobbyisme mené par les gouvernements des États membres de l’UE qui cherchent à ménager les compagnies aériennes, sans autre réelle garantie pour les passagers que la promesse de mettre en place un avoir remboursable l’issue d’une période d’au moins 18 mois.
Par Guilhem DELLA MALVA, juriste en droit aérien chez RetardVol.fr