Arrêt de l’exécution provisoire et observations préalables en première instance
Afin de pouvoir obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire, l’article 514-3 du code de procédure civile pose un certain nombre de conditions de fond, parmi lesquelles la démonstration du traditionnel risque de conséquences manifestement excessives, dont on ne dira rien, son premier alinéa étant suffisamment explicite.
Les conditions de recevabilité prévues en son deuxième alinéa méritent en revanche un examen plus serré.
La recevabilité de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire devant le Premier Président est, sauf à démontrer que les conséquences manifestement excessives se sont révélées postérieurement au jugement, conditionnée au fait d’avoir présenté, en première instance, des observations sur l’exécution provisoire.
Quelle est la nature de ces observations ? Ni la loi ni la jurisprudence ne disent mot, si ce n’est peut-être que la rédaction d’une prétention dans le dispositif ne suffit pas et qu’il est nécessaire qu’elle soit étayée par des « observations spécifiques »[1]. Mais avec bon sens, comme la raison d’être de ce texte est de garantir l’effectivité des décisions de première instance, désormais revêtues de plein droit de l’exécution provisoire par application de l’article 514, en rendant plus difficile l’arrêt de l’exécution provisoire, on peut raisonnablement penser qu’il faut avoir fait observer qu’il convenait d’écarter l’exécution provisoire[2], voire, évoqué les conséquences manifestement excessives de l’exécution provisoire[3].
Une ordonnance rendue à Paris le 18 novembre 2021[4] vient semer le trouble. Adoptant une lecture littérale, sinon littéraliste, de l’alinéa 2, le Premier Président a considéré que le fait d’avoir demandé au juge de ne pas écarter l’exécution provisoire constituait des observations.
On comprend, si l’affaire a en définitive mal tourné, qu’il faille s’être opposé à l’exécution provisoire afin de pouvoir saisir le Premier Président[5]. On comprend moins que l’on puisse venir rechercher l’arrêt de l’exécution provisoire alors même qu’on a fait preuve d’intransigeance à ce sujet en première instance.
Mais cette logique rigoureuse, qui fut probablement celle des rédacteurs du texte, conduit en pratique à priver ceux qui ont malencontreusement pris l’initiative du procès en première instance de la faculté de solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire.
La raison est simple : en engageant un procès, ils espèrent, en principe, bénéficier d’une décision favorable, susceptible d’être exécutée rapidement, de sorte qu’ils n’ont pas lieu, contrairement à leur adversaire en défense, de développer des observations tendant au rejet de l’exécution provisoire, mais bien plutôt intérêt à demander qu’elle ne soit pas écartée, ceci d’ailleurs afin de conforter, au moins rhétoriquement[6] parlant, le bien-fondé de leur cause. Ce qui risque, en adoptant une lecture de l’alinéa 2 contraire à celle de l’ordonnance du 18 novembre dernier, de les condamner, en cas d’échec et de condamnation à indemniser le défendeur, à ne plus pouvoir saisir le Premier Président.
Éternel débat de la lettre et de l’esprit : il est formellement vrai que faire valoir, dans le corps de son argumentation, qu’il convient de ne pas écarter l’exécution provisoire c’est formuler une observation[7] sur l’exécution provisoire ; mais au sens de l’alinéa 2 de l’article 514-3 du code de procédure civile ?
Bref, le contentieux de l’arrêt de l’exécution provisoire reste gros d’interrogations[8] dans une matière, celle de la procédure d’appel, où les réformes se succèdent à un rythme effréné générateur d’insécurité juridique, et avec toujours le même objectif en mire, réduire le contentieux. L’insécurité juridique serait-elle devenue une méthode de réduction des flux ?
[1] Cour d'appel, Versailles, 4 août 2020 – n° 20/00196 ; est-ce à dire qu’il faut que les observations soient doublées d’une prétention dans le dispositif ? On se gardera de l’affirmer ;
[2] Dalloz, Précis de procédure civile, 35e édition, n°1470 ;
[3] Guide du procès civil en appel, 2021/2022, n° 861 ;
[4] Cour d'appel, Paris, Pôle 1, chambre 5, 18 Novembre 2021 – n° 21/10602 ;
[5] Jurisclasseur, Fasc. 10 : Exécution provisoire n° 20 : Les auteurs voient alors dans cette obligation préalable un avatar du principe de concentration ;
[6] Reste la possibilité de solliciter que l’exécution provisoire ne soit pas prononcée en cas de condamnation uniquement, ce qui est d’une délicieuse mauvaise foi, et qui affaiblit donc la portée des observations sur le plan strictement argumentatif ;
[7] Observation : « Propos par lequel on fait connaître son opinion », Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition, consultable en ligne ;
[8] « Premier bilan de la nouvelle jurisprudence en matière d'arrêt et d'aménagement de l'exécution provisoire » in La Semaine Juridique Édition Générale n° 4, 25 Janvier 2021, 101 : où les auteurs de l’article évoquent des décisions divergentes au sujet de la nécessité de formuler des observations tendant au rejet de l’exécution provisoire dans les instances de référé alors que le juge des référés n’a, conformément à l’article 514-1 du code de procédure civile, pas le pouvoir d’écarter l’application de l’exécution provisoire et que par conséquent ces observations sont juridiquement inopérantes. Néanmoins, la position jurisprudentielle qui se dessine et qui semble se confirmer par la masse des décisions rendues, est d’exclure logiquement le référé du champ de cette condition.