C’est un moyen de droit qui semble faire florès devant le Conseil de prud’hommes : l’opposition d’une fin de non-recevoir contre une demande formulée en cours de procédure par le salarié en raison de sa prétendue absence de lien suffisant avec les prétentions initialement formulées par ce dernier dans sa requête introductive d’instance.
Souvent utilisé, disons-le franchement, à tort et à travers, son succès s’explique par l’abandon de la règle dite de l’unicité de l’instance, règle sans équivalent ailleurs, qui empêchait les salariés de saisir une seconde fois le conseil de prud’hommes afin de formuler de nouvelles demandes au titre de leur contrat de travail. En somme, il ne pouvait y avoir qu’un seul procès pour pouvoir réclamer tout ce qui pouvait l’être. Afin d’atténuer la rigueur de cette règle, qui pouvait selon certains auteurs[1] porter atteinte au droit à un procès équitable, il était notamment permis de formuler des demandes nouvelles à tout moment, ce qui n’était pas sans présenter quelques avantages au regard de la règle traditionnelle de prohibition des demandes nouvelles en cause d’appel.
Codifié à l’ancien article R.1452-6 du Code du travail, ce principe a été enterré par le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 en sorte que le contentieux prud’homal obéit maintenant largement au droit commun.
Ainsi les demandes additionnelles, qui sont celles qui permettent de modifier ses prétentions antérieures en les augmentant ou en les restreignant, sont-elles recevables à la condition, précise l’article 70 du code de procédure civile, « [qu’]elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Lien suffisant, « notion large et souple[2] », qui relève du pouvoir souverain du juge du fond.
Dès lors, s’il est vrai que la qualité des jugements prud’homaux dépend pour beaucoup de la qualité des arguments développés par les parties, il importe de tenter de cerner les contours de cette notion de lien suffisant afin d’éviter de surcharger les débats à mauvais escient.
Il paraît donc évident qu’une demande d’indemnité de préavis soit liée à une demande initiale tendant à voir son licenciement juger nul ou sans cause réelle et sérieuse[3].
Il est tout aussi logique que le salarié qui a d’abord saisi le conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire de son contrat de travail puisse contester son licenciement prononcé en cours de procédure sans avoir à encombrer inutilement le rôle de la juridiction[4] en engageant une action distincte[5].
La demande additionnelle au titre du travail dissimulé est recevable dès lors que la requête introductive instance contenait une demande de rappel d’heures supplémentaires, « l'existence d'heures supplémentaires étant un préalable pour statuer sur une demande au titre du travail dissimulé », explique la Cour d'appel de Chambéry[6].
La demande tendant à l’annulation d’avertissements et au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont causé au salarié présente un lien suffisant avec la demande originaire tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que les avertissements en question ont été rappelés dans la lettre de licenciement[7].
Dans une affaire où un salarié avait d’abord demandé une indemnité pour licenciement nul, un complément d’indemnité compensatrice au visa de l’article 1226-14 du Code du travail, les congés payés afférents, un complément d’indemnité spéciale de licenciement, un solde d’indemnité compensatrice de congés payés, des rappels de diverses primes avec les congés payés afférents, sa demande additionnelle de rappel de salaire a été déclarée recevable[8].
En revanche, une demande formulée en cours de procédure de rappel d’heures supplémentaires s’est à bon droit heurtée à une fin de non-recevoir pour la Cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 25 juin 2020, en ce qu’elle ne pouvait être rattachée à la demande initiale tendant à contester le licenciement pour faute grave et à obtenir des dommages-intérêts pour harcèlement moral[9].
C’est encore à bon droit, selon la Cour d’appel de Rouen dans un arrêt du 11 mars 2021, que la demande additionnelle de rappel d’heures supplémentaires d’une salariée a été jugée irrecevable par les premiers juges, car elle avait seulement réclamé, dans sa requête introductive d’instance, la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice du fait d’avoir notamment été contrainte de travailler tous les dimanches[10].
À la lecture des arrêts précités, il est possible de distinguer d’un côté les demandes qui relèvent de l’exécution du contrat de travail et de l’autre celles qui relèvent de la contestation du licenciement.
C’est pourquoi, dans son arrêt du 25 juin 2020, la Cour d’appel de Lyon a approuvé le conseil de prud’hommes d’avoir jugé qu’en s’étant contenté de contester son licenciement lors de l’introduction de l’instance le salarié ne pouvait plus solliciter ultérieurement de rappel d’heures supplémentaires.
On peut donc penser que si le demandeur ancre le débat dans l’une ou l’autre de ces catégories de demande, il trace une ligne de partage qu’il ne pourra plus franchir en cours de procédure comme l’illustre cette décision. Charge à lui de se ménager la possibilité de se mouvoir dans ces deux catégories en formant dans son acte de saisine des prétentions appartenant aux deux ordres.
Constat qu’il convient de s’empresser de nuancer puisque dans l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Rouen où l’on aurait pu croire que le fait d’avoir, comme le soutenait la salariée, formulé dans sa requête des demandes concernant l’exécution de son contrat de travail, dénonçant ainsi le fait d’avoir été contrainte « de travailler tous les dimanches, d'avoir parfois travaillé plus de 6 jours consécutifs […] », aurait dû lui permettre de solliciter en cours de procédure un rappel d’heures supplémentaires « découl[ant] directement de la mauvaise exécution du contrat de travail, comme les prétentions originaires », la juridiction du second degré a confirmé l’irrecevabilité de cette demande additionnelle faute de lien suffisant avec les demandes initiales.
Même si cette typologie peut avoir une valeur méthodologique au moment de la rédaction de l’acte de saisine du conseil de prud’hommes, tout reste fondamentalement affaire de cas d’espèce.
En conclusion, peut-être plus que l’obligation d’introduire l’instance par une requête motivée, exigence qui n’interdit pas, même si c’est désormais pour un avocat à mettre au rang des mauvaises pratiques, de continuer de saisir le conseil de prud’hommes avec une motivation succincte en ayant recours au formulaire Cerfa adéquat, c’est la soumission des demandes additionnelles au régime de l’article 70 du code de procédure civile qui vient considérablement renforcer la valeur de l’écrit dans la procédure prud’homale.
[1] Précis Dalloz, Droit du travail, 26e édition, n° 113 ;
[2] Dalloz Droit et Pratique de la Procédure Civile, 2017-2018, n° 311.31 ;
[3] Cour d'appel, Chambéry, Chambre sociale, 8 septembre 2020 – n° 19/01490 ;
[4] En passant donc par une nouvelle audience du bureau de conciliation et d’orientation qui n’aura d’autre rôle que de renvoyer la nouvelle affaire à la même date de jugement que la première afin qu’elles puissent être jointes et examinées ensemble ;
[5] Cour d'appel, Versailles, 15e chambre, 31 mars 2021 – n° 18/04937 ;
[6] Cour d'appel de Chambéry, Chambre sociale, 2 juin 2021 – n° 20/01067 ;
[7] Cour d'appel, Colmar, Chambre sociale, 22 septembre 2020 – n° 19/01928 ;
[8] Cour d'appel, Versailles, 17e chambre, 17 février 2021 – n° 18/04382 ;
[9] Cour d'appel, Lyon, Chambre sociale C, 25 juin 2020 – n° 18/06903 ;
[10] Cour d'appel, Rouen, Chambre sociale, 11 mars 2021 – n° 18/03390 ;