I) La détermination du droit applicable aux contrats de participation à des jeux TV interactifs
Ce contrat de participation repose sur un aléa dans la mesure où un gagnant est tiré au sort. Il s'agit d'un contrat aléatoire (article 1964 du Code civil) et plus précisément d'un contrat de jeu. La règlementation est à rechercher dans le Code de la consommation (A) et dans le Code civil (B).
A) Le droit applicable issu du Code de la consommation
1) les textes applicables
Le contrat formé entre la société organisatrice et le participant est un contrat de jeu. En effet, le participant ne versera (théoriquement) aucune somme d'argent à la société organisatrice. Cette dernière attribuera une dotation à un participant, en principe tiré au sort parmi les bonnes réponses. Il s'agit donc d'une loterie. Les loteries sont prohibées par la loi du 21 mai 1836 (article 1er). Pourtant, il existe de nombreuses exceptions. Parmi celles-ci, on trouve les loteries publicitaires, règlementées par les articles L.121-36 à L.121-41 du Code de la consommation. "Les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit" (article L.121-36 du Code de la consommation).
Une délibération du CSA du 4 décembre 2007 considère que la société organisatrice est un prestataire de services soumis à l'article L.111-1 du Code de la consommation (version antérieure à la loi du 23 juillet 2010) : "tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service". Aujourd'hui, c'est l'article L.111-2 I) qui s'applique.
Les dispositions concernant les clauses abusives trouvent application dans ces contrats. En effet, tous les contrats de consommation sont visés par l'article L.132-1 du Code de la consommation qui dispose : "dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat". La société organisatrice est le professionnel, tandis que le participant est le consommateur ou le non professionnel.
Sont également applicables les articles L.133-2 (interprétation des contrats) et les articles L.137-1 et L.137-2 (prescription).
2) les textes exclus
Tous les textes du Code la consommation mentionnant un vendeur ou un prestataire de services (à l'exception de l'article L.111-2) ne sont pas applicables à un contrat de participation à un jeu TV interactif. En effet, l'attribution de la dotation n'est soumise à aucune contrepartie financière (cf supra). Dès lors, la société organisatrice ne peut être assimilé à un vendeur ni même à un prestataire de services au sens du Code de la consommation, les contrats étant dépourvus de prix.
Toutes les règles relatives aux prix et conditions de vente, à l'information sur les délais de livraison, à la vente de biens et fournitures de prestations de service à distance, au démarchage et à la garantie de conformité ne sont pas applicables.
B) Le droit applicable issu du Code civil
1) les textes applicables
Ce contrat de jeu est soumis au droit commun des contrats, régi par le titre III du livre troisième du Code civil. Ainsi, les règles relatives à la formation du contrat, à son exécution, à son extinction ainsi que celles concernant la preuve s'appliquent dans ce contrat.
Les règles relatives à la prescription et à la responsabilité du fait des produits défectueux peuvent également recevoir application.
2) les textes exclus
Les articles 1965 à 1967 du Code civil concernent les contrats de jeu et de pari mais, paradoxalement, ne s'appliquent pas au contrat de participation à un jeu TV interactif car ce dernier bénéficie d'un régime particulier (cf supra).
Le contrat étant qualifié de contrat de jeu, les règles relatives à la vente et au louage d'ouvrage sont donc à écarter. Le professionnel ne sera donc pas tenu à la garantie contre les vices cachés ni à la garantie contre l'éviction.
La détermination de la législation applicable permet maintenant de faire une analyse juridique du contrat de participation.
II) L'analyse des clauses contractuelles
Cette analyse se fera au regard d'un règlement pris sur le site web de TF1 et d'un autre provenant du site web de France Televisions.
A) Analyse des obligations de la société organisatrice
1) les obligations précontractuelles
La première obligation qui incombe à la société concerne les modalités de participation. En effet, dans chacune des émissions TV proposant de participer à un jeu, au moment où l'animateur invite les téléspectateurs à jouer, des informations doivent être affichées à l'écran.
Ces informations indiquent :
- la question permettant de gagner une dotation,
- les réponses proposées éventuellement,
- les modalités de participation (appel vocal ou SMS, numéro à composer, coût de la communication).
Afin de renforcer la protection des téléspectateurs et d'éviter certains abus des chaînes de télévision, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel a rendu, sur le fondement de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, une délibération le 4 décembre 2007, remplaçant la recommandation du 5 mars 2002.
Il admet les incitations à utiliser des services SMS ou téléphoniques surtaxés sous réserve du respect des conditions suivantes :
- le renvoi du service surtaxé doit être un prolongement direct du programme en cours de diffusion,
- le service surtaxé doit être en rapport direct avec l'émission qui y renvoie et doit constituer un complément de celle-ci,
- le renvoi ne doit apparaître à l'antenne que de façon ponctuelle et discrète.
Toujours selon cette délibération, le coût des communications doit être porté à la connaissance des téléspectateurs dans les mêmes conditions que les coordonnées du service SMS ou téléphonique (les caractères doivent être de taille identique en cas d'affichage), le tirage au sort doit être clairement signalé, les informations relatives au nombre de gagnants et à leur identité doivent être clairement indiquées. De plus, les téléspectateurs doivent être informés de la possibilité d'obtenir le remboursement des frais de communication et de correspondance engagés (ici aussi, les caractères doivent être de taille identique à ceux des coordonnées du service SMS ou téléphonique et du coût des communications).
Cette délibération crée des obligations à la charge de la société organisatrice du jeu. Mais ces obligations sont uniquement précontractuelles et s'imposent avant toute participation à un jeu TV interactif. La délibération ne fait état d'aucune obligation au cours de l'exécution du contrat.
2) les obligations contractuelles
Elles sont prévues dans les règlements publiés sur les sites web des chaînes de télévision.
Le règlement indique les conditions de participation au jeu (personnes autorisées à jouer) ainsi que les modalités du jeu (mode de participation, instructions, déroulement du tirage au sort).
La société organisatrice est normalement tenue d'assurer le bon déroulement du jeu. Toutefois, dans le règlement des émissions de TF1, elle "ne garantit pas que le jeu fonctionne sans interruption, défaillance, ou sans dysfonctionnement, ni l'absence d'erreurs informatiques ou autres, ni que les défauts constatés seront corrigés, ce que le participant reconnaît expressément", elle "ne pourra pas également être tenue responsable notamment en cas d'erreurs, omissions, imperfections, interruptions, effacements, pertes d'informations ou de données, délais de transmission, défaillance du jeu ...", elle "ne saurait de la même manière être tenue responsable de tout dommage matériel ou immatériel causé aux participants...".
Il s'agit donc de clauses exonératoires de responsabilité. La jurisprudence reconnaît la validité de ces clauses, à condition qu'il n'y ait pas d'atteinte à une obligation essentielle du contrat. Or, une des obligations essentielles à la charge de la société est pourtant de faire en sorte que le jeu puisse se dérouler normalement. En effet, si cette obligation n'est pas remplie, il n'y aura par la suite aucun tirage au sort, donc aucun gagnant ni attribution de la dotation. Ces clauses sont donc illégales. On peut aussi se demander si cette obligation est une obligation de moyens ou une obligation de résultat. S'il s'agit d'une obligation de moyens, ce sera au participant de prouver que la société n'a pas mis en œuvre tous les moyens dont elle disposait pour assurer correctement le déroulement du jeu, ce qui en pratique se révèle extrêmement difficile voire impossible.
De plus, ces clauses sont abusives au regard de l'article R.132-1 du Code de la consommation ("sont de manière irréfragable présumées abusives ... les clauses ayant pour objet ou pour effet de ... (6°) supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations"). Dès lors, elles seront réputées non écrites.
Les contrats prévoient également que "les sociétés organisatrices se réservent le droit de modifier, prolonger, écourter, suspendre ou annuler le jeu-concours sans préavis et sans que leur responsabilité ne soit engagée de ce fait. Aucun dédommagement ne pourra être demandé par les participants" (règlement d'un jeu de France Télévisions). Cette clause est purement potestative au sens de l'article 1170 du Code civil, la sanction étant la nullité de l'obligation. Il s'agit aussi d'une clause abusive (R.132-2 1° du Code la consommation), elle sera donc réputée non écrite.
Une autre obligation est d'effectuer un tirage au sort, éventuellement parmi les bonnes réponses à la question posée.
La société devra aussi assurer la délivrance de la dotation. Cette dotation devra être annoncée lors de l'émission télévisuelle. Les règlements prévoient que les frais accessoires relatifs à ces dotations et les frais généraux liés à l'entrée en possession des dotations sont à la charge du gagnant. Ainsi, la délivrance d'une voiture entraînera pour le gagnant, à sa charge, les frais de déplacement pour prendre possession de ce véhicule et les frais d'immatriculation et d'assurance, ce qui peut s'avérer coûteux.
La société décline toute responsabilité en cas de perte ou de détérioration des dotations par la Poste ou tout prestataire de service similaire tiers. Les risques sont supportés par le créancier de la livraison (le gagnant) conformément à l'adage "res perit creditori". Cette situation est critiquable car la société ne s'oblige pas à prendre une assurance couvrant les risques liés au transport. Au final, le participant tiré au sort pourrait n'être qu'un "gagnant virtuel".
Le contrat n'étant pas une vente, la société organisatrice n'est pas tenue par la garantie de conformité ni par celle des vices cachés. Le gagnant a-t-il une action en garantie des vices cachés contre le fabriquant ou le constructeur du bien gagné ? Nous sommes en présence d'un contrat translatif de propriété. Selon la jurisprudence, "le sous-acquéreur peut exercer directement une action rédhibitoire mais cette action étant celle de son auteur, c'est-à-dire celle du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire, ce dernier ne peut être tenu de restituer davantage qu'il n'a reçu, sauf à devoir des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé" (Cass. civ. 1ère, 27 janvier 1993). Il faut distinguer 2 hypothèses :
- la société organisatrice a acheté le bien au constructeur : le gagnant pourra exercer l'action en garantie des vices cachés contre ce constructeur, dans les limites du contrat de vente.
- elle n'a pas conclu de contrat de vente avec le constructeur : le gagnant n'aura pas d'action en garantie des vices cachés contre le constructeur car ce dernier n'a obtenu aucun paiement.
La société organisatrice a également pour obligation de rembourser les frais de participation au joueur, cependant celui-ci sera soumis à certaines obligations.
B) Analyse des obligations du participant
1) les obligations de tous les participants
Le participant devra répondre à une question (souvent très simple) par appel téléphonique ou SMS surtaxés et, si la réponse est exacte, laisser ses coordonnées téléphoniques pour être sur la liste du tirage au sort.
Tout participant est en droit d'obtenir le remboursement des frais occasionnés par leur participation au jeu (y compris les frais d'affranchissement afférents aux demandes de remboursement). Toutefois, ce droit est conditionné.
Le participant doit faire la demande par courrier dans le délai prévu au règlement (généralement deux à trois mois), fournir une facture détaillée et un RIB.
Si la facture détaillée ne pose aucun problème pour les personnes ayant un abonnement téléphonique, il en va différemment pour celles n'ayant aucun abonnement mais utilisant une carte prépayée. Le règlement des émissions de TF1 prévoit qu' "il est demandé aux participants de se rapprocher de leur opérateur aux fins d'obtenir une facture détaillée, la plupart des opérateurs proposant généralement ce service à partir de leur portail internet". Ce règlement reconnaît donc implicitement que certains opérateurs ne fournissent pas de facture détaillée à leurs clients utilisant les cartes prépayées. Cette situation est une source de difficultés pour ces participants qui souhaitent se faire rembourser. Il y a donc une discrimination entre les participants ayant un abonnement téléphonique et les autres. On peut même considérer qu'il s'agit d'une clause abusive d'après l'article R.132-2 9° du Code de la consommation ("sont présumées abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de ... limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel ou du consommateur"). En effet, l'utilisateur de la carte prépayée a la possibilité de prouver sa participation par d'autres moyens, comme par exemple un relevé de communications.
Les règlements de France Télévisions exigent, quant à eux, une copie recto/verso de la carte prépayée ou de la télé-recharge utilisée pour la participation en précisant la date de l'appel et l'heure de la participation. Cette condition est beaucoup moins stricte que la fourniture d'une facture détaillée qui peut être inexistante.
Une fois tous les justificatifs envoyés, le participant obtiendra le remboursement des frais de communication, des frais de photocopie, des frais postaux (correspondant au tarif lent) et éventuellement des frais d'établissement d'une facture détaillée. La demande de remboursement sera traitée dans un délai de trois à six mois (TF1), aucun délai n'est mentionné dans les règlements de France Télévisions.
Le remboursement se fait par virement bancaire (TF1).
France Télévisions choisit discrétionnairement le mode de remboursement : virement bancaire ou timbres. Un remboursement en timbres est contraire au principe de la gratuité du jeu formulé par l'article L.121-36 du Code de la consommation. Le participant est donc en droit d'exiger un remboursement par virement.
Le règlement de TF1 prévoit que "la Société Organisatrice se réserve également la possibilité de ne pas donner suite aux demandes de remboursement, notamment frauduleuses ou manifestement abusives qui pourraient lui être adressées". Cette clause est potestative mais également abusive dans la mesure où la société s'accorde le droit de conserver toutes les sommes qu'elle a obtenues. Cela rend la participation au jeu entièrement payante pour le joueur. De ce fait, il s'agit d'une loterie publicitaire illicite conformément à la loi du 21 mai 1836. Les sanctions pénales sont de trois d'emprisonnement et de 90 000 € d'amende (sept ans d'emprisonnement et 200 000 € d'amende si l'infraction est commise en bande organisée).
Ce même règlement stipule également qu' "étant donné qu'en l'état actuel des offres de service de communications électroniques, certains opérateurs proposent des abonnements forfaitaires et illimités auxdits services, les participants sont informés que tout accès au jeu s'effectuant grâce à ce type d'abonnement (tels que notamment Internet illimité, SMS illimités) ne pourra donner lieu à aucun remboursement, au motif que l'abonnement auxdits services est contracté par le participant pour son usage en général et que le fait de participer au jeu ne lui occasionne aucun frais supplémentaire". Cette stipulation est non seulement illégale mais également scandaleuse dans la mesure où aucun forfait téléphonique illimité n'inclut les appels ou les envois SMS vers des numéros surtaxés.
Le règlement de France Télévisions reste dans la légalité et fait dans la simplicité : "il ne sera procédé qu'à un seul remboursement par foyer, même nom, même adresse, chaque jour de diffusion du jeu à l'antenne".
2) les obligations du gagnant
Pour prétendre au lot mis en jeu, le gagnant tiré au sort a pour obligation d'être disponible par téléphone le jour du tirage au sort (France Télévisions) ou dans un délai raisonnable (TF1). Il est également tenu de justifier qu'il est bien propriétaire du numéro qu'il a fourni s'il est sur liste rouge ou s'il s'agit d'un numéro de téléphone portable (France Télévisions).
Une fois ces conditions remplies, il devra prendre possession de la dotation. Une adresse postale erronée, un changement d'adresse non déclarée, des absences lors du passage du transporteur et plus généralement le retour à l'expéditeur entraînent la perte du lot. Ces clauses conduisent à s'interroger sur le moment du transfert de propriété. Dans la mesure où le lot est perdu si le gagnant n'en a pas pris possession au moment de la livraison, on peut donc en déduire que le transfert de propriété a lieu au moment de la livraison effective, bien que ce soit le gagnant qui supporte les risques lors du transport (cf supra).
Obtenir un remboursement n'est pas si aisé. D'ailleurs tout est fait pour dissuader le participant d'obtenir remboursement (uniquement par courrier, délai très long). L'envoi d'une lettre simple n'apporte en plus aucune garantie. Cependant envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception pour prouver l'envoi des justificatifs est possible mais inutile et fortement déconseillé dans la mesure où le coût de cette lettre est beaucoup plus élevé et le remboursement des frais postaux se fait au tarif lent en vigueur. Il est donc évident que si les participations ne procuraient aucun avantage pécuniaire aux sociétés organisatrices, de tels jeux n'existeraient pas. La CSA a souhaité que les participations puissent également se faire par internet. Il faudrait aller plus loin, en obligeant les sociétés à offrir aux téléspectateurs le choix entre une participation sur internet et obtenir un remboursement suite à une demande faite sur internet. En attendant, le meilleur moyen pour les téléspectateurs de sanctionner l'omniprésence de ces jeux dans les émissions est encore ... de zapper !