A partir du 1er janvier 2012, la Taxe sur la valeur ajoutée , en sigle TVA , vient d’être introduite en RD Congo en remplacement de l’ICA (Impôt sur le chiffre d’affaires). Cette instauration de la TVA était dictée notamment par le motif d’harmonisation fiscale avec tous les Etats des Unions économiques et douanières dont la RDC est membre en l’occurrence la SADC (South African Development Council )et la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale) afin de favoriser l’expansion des échanges commerciaux d’une part et d’autre part pour un motif purement budgétaire à cause du fait que la TVA est un impôt en cascades contrairement à l’ICA, donc devrait logiquement rapporter plus de recettes fiscales pour le Trésor Public Congolais.
Quelques jours après son lancement, la TVA qui est un impôt sur la dépense et un impôt ayant le caractère réel ( c’est-à-dire ne tenant pas compte de la qualité du contribuable) est devenue la coqueluche du Congo. Tout le monde en parle à cause de la hausse subite de tous les prix sur les marchés des biens et services. Pourtant son taux d’imposition a été diminué de quelques points par rapport à l’ICA pour se situer à 16%. Dès lors les uns et les autres se demandent pourquoi la survenance de ces pressions inflationnistes? Pourquoi les prix se sont-ils emballés: le prix du pain de 150 à 200 Francs congolais, 1 ekolo de manioc de 1000 à 1200 FC, le lait pourtant exonéré de TVA a connu une augmentation de 50 % de son prix?
En réfléchissant un peu, j’ai épinglé quelques raisons qui peuvent justifier cette inflation due à l’instauration de la TVA en RDCongo notamment:
1) Le cumul de 2 taxes dans le prix de vente : plusieurs opérateurs économiques ont continué à appliquer concomittamment l’ICA pourtant abrogé et la nouvelle TVA dans les prix facturés aux achéteurs, ce qui a directement augmenté les prix.
2) L’attrait du mécanisme de déduction : la TVA étant composée de 3 parties : TVA collectée, TVA déductible et TVA à verser au Trésor, chaque contribuable cherche à facturer la TVA à ses clients afin de pouvoir déduire la TVA qu’il a supportée lors de ses différents achats y compris pour les immobilisations. Chaque commerçant a intérêt à facturer la TVA : plus long est le circuit de distribution avec des nombreux intermédiaires , mal se portent les prix destinés aux consommateurs finals.
3) Le réveil des relents inflationnistes: dans un pays tel que le Congo-Zaïre qui a connu l’hyperinflation de 1990 à 2001, les relents inflationnistes sont toujours présents dans la mémoire collective des agents économiques Congolais . L’arrivée au sein de l’économie congolaise d’un instrument juridico-économique susceptible d’augmenter les prix auprès de certains opérateurs qui ne répercutaient guère l’ICA , a servi de facteur déclencheur des anticipations adaptatives dans le chef des agents économiques. Ceux qui n’étaient pas concernés par la TVA, ont carrément augmenté leurs prix pour ne pas perdre du pouvoir d’achat en termes réels par rapport aux biens qui sont taxés. C’est ce qu’on appelle la stratégie de rattrapage du pouvoir d’achat. Cette “tvaïsation” de l’économie congolaise est le facteur explicatif de cette inflation. Hier, c’était la dollarisation, aujourd’hui c’est la tvaïsation. Pourquoi la maman qui vend le pondu ou le manioc augmente-t’elle les prix car elle n’est pas redevable de la TVA parce qu’elle ne délivre pas des factures et ne tient pas de comptabilité? Lors de l’hyperinflation de 1990 à 2001, le bouc-émissaire était le taux de change du dollar et aujourd’hui c’est la TVA. Avec l’instauration de la TVA, les mamans du marché Gambela sont convaincues que l’Etat Congolais veut leur soutirer de l’argent, du pouvoir d’achat; donc pour se protéger, elles généralisent la hausse des prix. Tel est le cas également des bailleurs qui ont augmenté les loyers. Mr MATATA Ponyo, Ministre des Finances, qui était Chargé des cours à l’Université de Kinshasa de 1991 à 1995, avec qui je discutais souvent dans le Séminaire d’économie monétaire internationale traitant de l’inflation en Amérique Latine et de la dollarisation zaïroise en 1994 connaît toutes ses raisons.
4) L’existence de l’asymétrie de l’information entre l’Administration fiscale, les opérateurs économiques et les consommateurs: à entendre parler les uns et les autres, c’est comme s’ils n’ont pas bien compris comment appliquer la TVA et sur quoi? Car comment expliquer que le lait non concerné par la TVA ait pu connaître une augmentation de 50 % des prix? Dès lors il va falloir insister sur la pédagogie et la sensibilisation des populations pour que l’information soit homogène auprès de toutes les parties prenantes à la réforme de la TVA.
Considérant l’importance de la réforme de la TVA pour l’Etat Congolais, des mesures d’accompagnement sont nécessaires:
i) renforcement du contrôle des prix par les agents du Ministère de l’Economie auprès des producteurs,grossites et détaillants.
ii)déclaration des prix de vente des producteurs et grossites au Ministère de l’Economie aux fins de validation pour éviter la double facturation TVA-ICA.
iii)renforcement de la campagne d’information des industriels, des commerçants et de la population par le Gouvernement Congolais, l’Administration Fiscale et les Gouverneurs des Provinces afin de lever toute équivoque dans la facturation ou non de la TVA .
iiii) révélation des sanctions prévues par le dispositif pénal du Droit fiscal en cas de collecte et de non reversement des sommes dues au Trésor Public (redressement fiscal, peines d’emprisonnement) afin de ramener les gens à la raison.
iiiii) possibilité de stoppage du mécanisme de déduction à un certain niveau du circuit de distribution afin d’éviter le surétalement de celui-ci.
Par IBANDA KABAKA Paulin, M.Sc. (Economiste et Fiscaliste, Inspecteur des Impôts en disponibilité).