Le conflit politique armé et l’exploitation des ressources naturelles en Centrafrique : essai d’explication par la théorie des Etats ‘faillis’ et par l’approche régionale.
Par Paulin IBANDA KABAKA, Doctorant en droit public, Université de Pau
0. Introduction
La République Centrafricaine, RCA en sigle, connaît une grave crise politique qui menace dorénavant son existence depuis plusieurs années. Cette crise politique qui, à l’origine, était électorale puis d’alternance politique, s’est transformée en conflits armés opposant des ethnies du pays, souvent en instaurant un clivage géopolitique entre le nord musulman et le sud chrétien, sur un fond d’une rivalité religieuse ouverte entre les différentes communautés qui composent cette Nation.
Plusieurs tentatives de résolution de cette crise politique et de réconciliation nationale menées tant par les acteurs nationaux, régionaux ou internationaux n’ont pas abouti à une solution durable et à la fin de la violence armée. Dès lors, il est permis de se demander pourquoi cette crise politique qui, au départ, aurait pu être passagère est-elle devenue durable ? Certains facteurs notamment le contrôle des ressources naturelles comme le diamant, le pétrole et le bois forestier, la géopolitique régionale ainsi que la faiblesse ou la faillite de l’Etat, sont des éléments qui expliquent la durabilité de cette crise ainsi que de la perpétuation de la violence armée.
Les concepts fondamentaux que nous allons aborder dans cette étude et qui méritent d’être expliqués sont entre autres le conflit politique, l’exploitation des ressources naturelles, la faillite de l’Etat et l’approche régionale. Par conflit politique, il faut entendre
1. Rappel historique de la crise politique centrafricaine et analyse des effets déstructurants
Le contexte dans lequel est né la crise politique en RCA est caractérisé par le déni de démocratie d'une part et d'autre part, par la confiscation des résultats des urnes par le Général François Bozizé. Le régime dictatorial de Bozizé a semé le germe de division dans le pays entre le nord et le sud car il avait fini par instituer un régime clientéliste à connotation tribale qui par ce fait excluait une bonne partie de la population du pays des structures publiques de gouvernement. Avec le chômage généralisé, tous ces laissés pour compte, cette armée des prolétaires avec des jeunes désœuvrés tant au nord musulman qu'au sud chrétien, avaient fini par constituer le terreau dans lequel avait fini par germer le besoin de bataille pour le contrôle du pouvoir et pour le contrôle des ressources naturelles, disons des richesses du pays.
La rébellion partie du nord dénommée les 'Séléka' et qui était majoritairement constituée des combattants musulmans ayant combattu au Darfour dans le Soudan dont on disait qu'ils étaient financés et entraînés par le régime tchadien, après plusieurs années de guerre civile contre l'armée régulière, a réussi renverser le pouvoir en place à Bangui et à prendre le pouvoir d’État en mars 2013. Leur chef Michel Djotodia deviendra pour un temps l'homme fort du pays. Il va constituer un gouvernement essentiellement composé des nordistes qui est vite accusé d'être sous les ordres des États voisins notamment du Tchad. Ensuite il sera incapable de mettre de l'ordre dans le pays et de garantir la sécurité pour tous les citoyens. Ses services de sécurité vont se caractériser par une attitude revancharde manifeste contre les alliés du régime du général déchu et les éléments de l'ancienne armée régulière. Ces brimades et exactions qui seront transformées par les hommes du sud comme des réactions à connotation religieuse seront à l'origine de la consolidation des milices chrétiennes appelées les 'anti-balaka' car opérant essentiellement en utilisant les machettes qui sont des armes blanches en tant qu'instruments de défense tout comme d'attaque.
Avec la réaction armée des anti-balaka, il y avait désormais deux protagonistes armés qui allaient se battre pour la maitrise du pouvoir politique et des richesses du pays. Les réactions armées de ces deux camps politiques faites de maintes exactions et violations des droits de l'homme vont pousser la communauté internationale notamment la France à réagir et à intervenir militairement en instituant l'opération Sangaris. Dans la foulée, il sera demandé au chef des rebelles des Séléka de quitter le pouvoir ; lors d'un sommet organisé à N’Djamena, il finira par céder le pouvoir sur insistance du Président tchadien Idriss Itno Déby, son parrain. Ainsi, le 10 janvier 2014, le président de la transition centrafricaine Michel Djotodia et son premier ministre Nicolas Tiangaye annoncent leur démission lors du sommet extraordinaire précité de la communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Après concertations politiques entre les acteurs politiques internes, les dirigeants de la sous-région notamment les présidents Ali Bongo du Gabon, Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazza et Joseph Kabila de la RD Congo, Madame Catherine Samba-Panza , une chrétienne, sera désignée le 20 janvier 2014 chef de l'Etat de la transition avec pour mission de mettre fin à la violence et aux mouvements armés puis de conduire la population vers des élections libres et transparentes.
Considérant l'ampleur des violations de droit de l'homme qui étaient fréquemment commises, l'Union africaine, la principale organisation politique continentale africaine, décidera de mettre sur pied une opération de maintien de la paix en s'inspirant de la notion de responsabilité de protéger les populations civiles dans un contexte de faillite de l'Etat centrafricain.
Par ailleurs, cette guerre civile a engendré des répercussions diverses tant sur la population que sur l'environnement. Concernant la population, il convient de relever que presque 500 000 personnes ont fui leurs domiciles et sont actuellement déplacés vers d'autres coins du territoire national ou réfugiés dans les pays voisins. Par exemple, en république démocratique du Congo, pays se trouvant à quelques encablures de Bangui dont il est séparé seulement par le fleuve Oubangui, des dizaines des milliers des centrafricains continuent à y trouver refuge au gré des résurgences des affrontements armés en RCA, leur pays. Ces déplacements des populations exigent de l'assistance humanitaire de la part des agences du système onusien telles que le Programme alimentaire mondial(PAM), le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR), l'Unicef, l'OMS, etc. ainsi que des acteurs de la société civile comme la Croix-Rouge, Médecins sans frontières, Save the children et l'agence humanitaire de l'Union européenne ECHO. Tous ces organismes distribuent de tonnes des produits alimentaires , des médicaments, des outils agricoles et d'autres biens dont une partie tombe inévitablement dans les mains de ces milices armées compte tenu de leur maillage territorial et de leur présence parmi les populations et dans la population. Ces mouvements transfrontaliers des populations constituent un vecteur de fourniture d'armes et des munitions aux groupes armés d'autant plus que tous les pays voisins de la RCA, excepté le Gabon et le Cameroun, continuent à connaître ou ont connu jusqu'à récemment des conflits armés : c'est le cas du Congo-Brazza, de la RDC, du Soudan et du Tchad. Vu sous l'optique régionale, la crise politique armée en RCA était prévisible en vertu de l'effet des dominos et à cause de la circulation importante des armes et des populations dans cette sous-région africaine. Ainsi, à tout passage des frontières par les populations correspond un transfert de biens corporels qui peuvent être des armes, des minerais (diamants) , des vivres, des médicaments ou des véhicules. L'arrivée des armes dans une zone en conflit politique est un facteur aggravant qui entraîne inextricablement la poursuite des hostilités. Ces mouvements des populations et ces conflits armés, outre les difficultés humanitaires qu'ils engendrent, causent des dommages importants à la nature et à l'environnement, surtout dans les aires protégées où s'entassent des milliers de tentes et des individus.
2. Causes justifiant cette crise et son auto-entretien
Plusieurs causes peuvent justifier la durabilité d'un conflit armé dans les pays en développement notamment la faiblesse de l’État, la présence des ressources naturelles abondantes attirant de la convoitise ainsi que les jeux d'influence de puissance régionale. A plusieurs égards, la conjonction de ces facteurs est la situation qu'on rencontre souvent dans la région.
2.1. La faillite de l’État comme cause de la naissance et de l'entretien des conflits politiques
Dans un État démocratique où les dirigeants politiques respectent les règles de droit dans le sens de l’intérêt général de la population, il est rare de voir naître de tels désordres politiques car les gouvernants utilisent le pouvoir qui leur est confié pour satisfaire les besoins vitaux de leurs concitoyens. D'ailleurs Amartya Sen n'a-t-il pas dit un jour que jamais famine ne s'est déclarée dans un État démocratique[1]car dans un Etat démocratique le respect des intentions des populations est garanti. Ceci montre que c'est en respectant le jeu démocratique q'un État pourra vivre en paix tout en stabilisant le fonctionnement de ses institutions et conjurer l'anarchie politique ou les conflits armés et à terme réaliser le développement social et économique de sa population. Bref, le respect de la démocratie est le fondement de l’État fort, c'est-à-dire d'un État dans lequel il y a existence de l’État de droit. Dans un état de droit, les citoyens respectent la loi car ils sont convaincus que même les dirigeants aussi la respectent ; ce qui fait que même les citoyens récalcitrants seront contraints de respecter les institutions établies sous peine de se mettre en marge de la société.
A contrario, il a été constaté que les conflits armés surviennent souvent dans les États où les dirigeants politiques ne respectent pas les droits fondamentaux des citoyens ou les mandats politiques ne proviennent pas des élections mais de la force, surtout des coups d'état militaires. De tels États où il n'y a pas la primauté de l'état de droit, sont généralement les bastions de l'arbitraire et du fait du prince, et finissent par ne plus satisfaire leurs missions d’intérêt général ainsi que les besoins élémentaires de la population. Dans ces États faillis, c'est souvent une minorité de gens proches des autorités au pouvoir qui se partagent la quasi-totalité de la richesse nationale. Cette patrimonialisation du pouvoir politique afférente à l'accaparement des ressources nationales par une camarilla politique devient un enjeu de pouvoir et un facteur de déclenchement des conflits armés surtout que l'homme au pouvoir avec son entourage chercheront à garder leurs intérêts et à éviter toute alternance politique au moment où les opposants chercheront à obtenir ce pouvoir en demandant aux détenteurs du pouvoir d'organiser des élections démocratiques et transparentes.
En plus dans ces États faillis, les services de sécurité et l'armée vivent une situation paradoxale dans la mesure où les hommes de rang sont mal payés et voient leur ration détournée généralement par les chefs militaires qui, eux , sont bien lotis et vivent comme de petits princes. Dans un tel environnement, il suffit d'une vraie confrontation armée pour voir les soldats de rang déserter le front tout en abandonnant armes et munitions. Ce comportement est compréhensible dans ce sens que ces individus se demandent sérieusement si l'on doit donner sa vie ,non pour sa nation, mais pour quelques hommes qui se sont accaparés le pouvoir et les richesses du pays. Ces militaires fuyant le front disent souvent par ironie que le chef de l'Etat envoie ses proches collaborateurs militaires pour aller se battre . C'est l'une de cause de la débâcle de l'armée du maréchal Mobutu en 1997 face à l'Afdl de Laurent-Désiré Kabila et de l'armée centrafricaine face aux Séléka en 2012.
2.2. La présence des ressources naturelles comme facteur d'auto-entretien des conflits armés
Un conflit armé coûte cher car il exige d’énormes moyens financiers afin de financer l'acquisition des armes, des munitions, des tenues militaires, des vivres, des médicaments, des véhicules, du matériel des télécommunications, et payer la solde des combattants. Cet argent doit venir de quelque part notamment des richesses qu'on a dans le pays. Comme les ressources naturelles comme les forêts, les hydrocarbures et les mines sont recherchées par de nombreuses puissances et hommes d'affaires souvent peu regardants, leur contrôle est recherché par tous les acteurs parties prenantes aux conflits armés et c'est une source d'une manne financière indispensable pour la résistance armée. En effet, le groupe armé qui perd la bataille du contrôle des ressources naturelles pourrait naturellement perdre aussi la guerre parce qu'il ne sera pas en mesure de persévérer dans l'effort de guerre. D'ailleurs dans plusieurs Etats qui ont connu la guerre , les gouvernants ont toujours mis en place dans leur dispositif fiscal un impôt pour financer l'effort de guerre. En RDC, Mzee Laurent-Désiré Kabila l'avait institué en 1998 pour faire face aux rébellions du MLC de Jean-Pierre Bemba et du RCD d' Azarias Ruberwa[2].
En RCA, les Séléka au nord financent leurs actions militaires en exploitant les diamants et en exportant du bois vers les pays voisins. Les anti-balaka sont financés grâce au contrôle des hydrocarbures et du bois, puis il y a l'armée nationale qui est financée par le budget de l'Etat sur les restes des ressources que l'Etat failli centrafricain contrôle encore. A l'instar de la RCA, cet apport et cette participation de l'exploitation des ressources naturelles à la durabilité et à la longévité des conflits armés a été notamment caractérisé, disons mis en exergue dans le Kivu à l'est de la RD Congo. D’ailleurs en RCA,l'ONG Global Witness accuse des exploitants forestiers français, libanais et chinois de "complicité de crimes" en Centrafrique. Ces sociétés ont versé de l'argent en pleine guerre civile aux rebelles afin de poursuivre coupes et exportations de bois[3].
Se référant à ce qu'on qualifie de « mal hollandais » qui est cette difficulté d'assurer le développement des pays en voie de développement disposant d'énormes richesses naturelles, c'est comme si la présence desdites ressources était une malédiction attirant des souffrances venues de partout. Les études ont montré que les pays qui ont d'énormes ressources naturelles sont souvent proie à des guerres civiles car leurs richesses potentielles étant leur principal malheur, ne cessent de leur attirer des ennuis. D'où pour conjurer ce mauvais sort, il est impérieux de minimiser les risques de faillite de l’État et de maintenir sinon instaurer un Etat de droit dont les vertus ont été démontrées supra.
Le cas échéant, les pays étant plongés dans le chaos, ce sont les pays voisins qui deviennent les plaques tournantes pour l'exportation des produits forestiers et des minerais venant de ces zones de conflits. Actuellement, le bois, le pétrole et les diamants centrafricains sont exportés en passant par le Tchad, la RDC ou le Cameroun. Ce qui améliore la balance commerciale et celle des capitaux de ces pays tiers exportateurs au moment où la RCA se débat comme un diable dans un bénitier.
2.3. Jeux de puissances régionales comme facteur de continuité de guerres civiles
Remarquons que les pays voisins se mêlent généralement de ces conflits armés soit pour se prémunir contre de risques de déstabilisation venant de l'extérieur soit pour porter assistance à certains acteurs qu'ils considèrent dignes de leur soutien. Ces jeux de puissances régionales sont également des facteurs de longévité de guerre civile. Cela a était remarqué en RDC de 1996 à 2006, ce qui a fait dire à plusieurs observateurs qu'il s'agissait de la première guerre continentale africaine avec plusieurs pays présents sur le théâtre des opérations. Mutatis mutandis, la guerre civile en RCA met aux prises plusieurs pays : les uns comme le Tchad soutenant les Séléka musulmans et les autres voisins du sud, étant proches des Anti-balaka chrétiens. Le caractère religieux servant de référence identitaire aux deux mouvements armés, il est un secret de polichinelle que le soutien politique dont bénéficient ces deux mouvements de la part des pays voisins de l'Afrique centrale ainsi que sur le plan national revêt forcément des aspects partisans religieux.
Ces considérations politiques à connotation religieuse des pays de la sous-région ont jailli même sur l'organisation et le fonctionnement de la mission internationale de maintien de la paix en Centrafrique, Misca[4], au sein de laquelle on a accusé les soldats tchadiens de fournir des renseignements et des armes aux combattants musulmans de Séléka. Cela étant, le gouvernement tchadien a été contraint de retirer ses troupes mais rien ne garantit que ce pays ne continue pas à apporter du soutien tant logistique qu'en intelligence (renseignements, entraînement) à cette branche armée nordiste.
Malgré de nombreuses concertations politiques menées avec l'appui des dirigeants politiques de la région, dans le but de mettre fin à ce conflit armé, ce dernier ne fait que perdurer tant que les ressources naturelles servant à le financer de part et d'autre restent accessibles et les accointances avec les États voisins intactes. La présence militaire de la France, en sa qualité d'ancienne puissance colonisatrice, est le seul facteur qui maintient encore le gouvernement de Bangui debout au moment où la Misca est minée par des conflits larvés entre les États régionaux ainsi que par le manque de moyens budgétaires pour assurer la motivation et l'entretien des militaires en opération.
CONCLUSION
Le conflit armé en RCA est maintenu vivant et risque de durer longtemps si on y prend garde grâce à l'exploitation des ressources naturelles abondantes dont dispose ce pays notamment le bois, le diamant et le pétrole. Cette corrélation entre le conflit armé et l'exploitation des ressources naturelles est attisée en RCA surtout parce que l’État est en faillite d'une part et d'autre part, à cause des jeux d'influence des puissances régionales qui, tout en cherchant à protéger certaines populations, exploitent aussi ces ressources naturelles.
Pour mettre fin à ce conflit armé, il va falloir couper l'accès aux ressources naturelles à tous ces mouvements armés qui y opèrent en imposant une traçabilité de toutes les ressources venant du pays et des pays voisins, exiger des États de la sous-région de s'engager franchement en faveur de la stabilité politique de ce pays , mais surtout reconstruire un État de droit, seul facteur qui est en capacité de pouvoir exorciser durablement la violence politique et armée .
[1] Matthieu CLEMENT, Amartya SEN et l’analyse socioéconomique des famines : portée, limites et prolongements de l’approche par les entitlements, in Cahiers du GRETHA, n° 25, 2009, p.14
[2] Lire ANDRE C. et MARYSSE S. (2001), « Guerre et pillage économique en République Démocratique du Congo », dans MARYSSE S. et REYNTJENS F. (dir.), L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2000-2001, Paris, L’Harmattan, pp.307-332.
[3] http://www.france24.com/fr/20150717-commerce-bois-a-il-alimente-guerre-centrafrique-entreprises-france-seleka-anti-balaka.
[4] Le 5 décembre 2013, par la résolution 2127, le conseil de sécurité des Nations unies a adopté le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine , en sigle MISCA, pour une période de 12 mois officiellement pour mettre fin à la faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et les tensions interconfessionnelles. Depuis lors, la MISCA est appuyée par des forces françaises autorisées à prendre toutes les mesures nécessaires.