Droits de l'homme et incapacité internationale de l'individu

Publié le 23/04/2016 Vu 5 821 fois 0
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Nul n’est besoin de rappeler qu’avant l’avènement du droit international des droits de l’homme, les individus n’étaient jamais considérés comme sujets pouvant agir en droit international. D’où on parle de leur incapacité juridique sur la scène internationale. Ici l’incapacité juridique s’oppose à la capacité juridique qui est l’aptitude d’une personne à avoir des droits et obligations et à les exercer elle-même.

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Droits de l'homme et incapacité internationale de l'individu

LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS DE L’HOMME LIMITE-T-IL L’INCAPACITE JURIDIQUE INTERNATIONALE DE L’INDIVIDU ?

Par IBANDA KABAKA PAULIN, Doctorant en Droit public

Mail : ibandapaulin@yahoo.fr

Le droit international a longtemps été une affaire exclusive des Etats et des organisations internationales ; ce sont ces deux types des sujets qui étaient les acteurs de la scène internationale. Néanmoins, avec la prise de conscience des grandes Nations du monde  et l’intérêt grandissant au respect des droits fondamentaux de l’individu pour faire face à leurs violations massives ainsi qu’à l’arbitraire qui prévalait lors des conflits armés (ce qui a donné naissance au Droit international humanitaire), dans la gouvernance des personnes par certains régimes dictatoriaux (Empire Ottoman, URSS, Bloc Communiste, Régimes militaires de l’Amérique Latine), dans la colonisation face aux besoins de l’auto-détermination des peuples et dans le souci de responsabiliser certains individus par rapport à leurs forfaits innommables (crimes contre l’humanité, actes de piraterie dans les eaux internationales, crimes de guerre,…), enfin les individus sont apparus, à leur tour, comme sujets du droit international à la suite des instruments internationaux que les Etats ont mis en place pour protéger les droits de l’homme.

Nul n’est besoin de rappeler qu’avant l’avènement du droit international des droits de l’homme, les individus n’étaient jamais considérés comme sujets pouvant agir en droit international. D’où on parle de leur incapacité juridique sur la scène internationale. Ici l’incapacité juridique s’oppose à la capacité juridique qui est l’aptitude d’une personne à avoir des droits et obligations et à les exercer elle-même. Par droits de l’Homme, il faut entendre l’ensemble des droits universels, inaliénables, intangibles et inviolables qui sont inhérents à toute personne humaine. S’agissant du droit international des droits de l’Homme[1], c’est l’ensemble des textes de droit régissant les droits de l’Homme reconnus et protégés au niveau international.

Après la définition des notions essentielles, il convient de répondre à la question posée qui cherche à savoir si le droit international des droits de l’homme permet d’atténuer l’incapacité juridique  des individus sur le plan international.

Ma réponse est OUI. En effet, la mise en place du droit international des droits de l’homme (DIDH) a permis à plusieurs égards aux individus de disposer d’une capacité d’action en droit international. Cependant cette capacité reste partielle.

Dans les pages qui suivent, il sera fait état dans une première partie de l’objectif poursuivi par le droit international des droits de l’homme face à l’incapacité juridique de l’individu     (réponse à pourquoi ?), puis dans la seconde partie, interviendra l’analyse des moyens mis en œuvre pour permettre au droit international relatif aux droits de l’homme d’atténuer l’incapacité juridique des individus au plan international ( réponse à comment).

Ière Partie : De l’objectif ultime de l’avènement du droit international des droits de l’homme[2]

La mise en place du droit international des droits de l’homme ‘(DIDH) est un élément qui a permis de mettre fin à l’incapacité des individus d’agir en droit international. Ainsi dans cette partie, nous parlerons sur le pourquoi de cette action en rappelant l’origine de l’incapacité juridique des individus en droit international (section 1) et en expliquant l’avènement du droit international de droit de l’homme (section 2).

1 ère Section : De l’origine de l’incapacité juridique de l’individu en droit international.

L’incapacité juridique de l’individu trouve son origine dans la pratique ainsi que dans les règles de droit international qui étaient en vigueur avant l’avènement du droit international des droits de l’homme dans lesquelles on ne reconnaissait pas de personnalité juridique à l’individu sur le plan international. Il était couramment reconnu que seuls les Etats étaient les sujets de droit international en plus des organisations internationales qui, pour la grande majorité, ont été intégrées au système des Nations Unies. Voici placé le décor avec deux acteurs seulement pouvant agir en droit international.

A partir de ce moment-là, les individus qui ne faisaient pas partie de deux types d’acteurs susmentionnés, n’avaient rien à faire en matière de droit international par eux-mêmes. En effet, la défense des intérêts des citoyens était assurée par leurs Etats, c’est-à-dire les Etats dont ils étaient des nationaux ou ressortissants. Généralement, cette défense des individus s’opérait par le biais des négociations diplomatiques ou autres pratiques consulaires car les citoyens bénéficiant de la protection diplomatique de leurs Etats.

On voit que les droits de l’individu n’étaient susceptibles d’être défendus que face à un Etat tiers, en d’autres termes, s’ils ont été bafoués par un autre Etat que celui dont l’individu est ressortissant. Dans ce cas, qu’en était-il si les individus étaient victimes de la violation de leurs droits par leur propre Etat comme lors de la spoliation des biens des Allemands Juifs ainsi que leur persécution par le régime Nazi de 1936 à 1945 ? Cet aspect des choses n’était pas pris en compte par le droit international, pourtant les graves violations des droits de l’homme dont étaient victimes les individus étaient le fait, non des Etats étrangers, mais de leurs propres Etats.

Bien que le droit interne des Etats permettait aux individus d’agir pour défendre leurs droits bafoués, cela n’était pas évident face à des régimes autoritaires dans lesquels les juges n’étaient pas indépendants. Après avoir épuisé sans succès toutes les voies de recours interne, les individus n’avaient plus de solution face à des dirigeants étatiques tout puissants. Et comme ils ne disposaient non plus d’aucun moyen sur le plan international, ils étaient insusceptibles d’agir contre leurs bourreaux nationaux et il n’y avait rien qui obligeait ces derniers (Etats bourreaux) à agir dans le sens du respect des droits de leurs citoyens.

Voila ce qui justifiera la création et l’adoption des règles internationales en matière des droits de l’homme.

2 ème section : De la nécessité d’instauration du droit international des droits de l’homme.

Déjà dans l’Antiquité, les Romains avaient mis en place le « jus gentium » ou droit des gens dont le but était de protéger les droits des individus qui étaient non-Romains.

Ainsi, face à l’arbitraire de certains Etats et à la violation récurrente des droits des citoyens notamment par leurs propres Etats, la Communauté internationale a mis en place un processus d’adoption des normes internationales tendant à protéger les droits fondamentaux de l’homme. En plus, il a été reconnu à l’individu sa personnalité juridique qui est un droit indérogeable, intemporel et intangible au terme de l’article 16 du Pacte International des Droits Civils et Politiques et de l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Par ce biais, la Communauté internationale a obligé les Etats de respecter tous les droits inaliénables et inviolables de leurs citoyens d’une part et d’autre part, aux individus de disposer des instruments pouvant leur permettre d’obtenir une protection effective de leurs droits. Le professeur DE VISSCHER abonde dans le même sens quand il affirme que  «  le droit de l’homme est un droit nécessaire qui a pour rôle de protéger l’individu contre l’arbitraire du pouvoir »[3]. De là, on voit bien que  l’objectif ultime du droit international des droits de l’homme est  donc la protection des individus face à l’arbitraire qui est le fait du prince.

Par ailleurs, lors du procès de Nuremberg en 1945-1946 qui statuait sur le sort des citoyens Allemands ayant commis de graves crimes de guerre et des crimes contre l’humanité durant la seconde guerre mondiale, ces derniers ont été justiciables d’une juridiction internationale dans le but de les sanctionner pour leur comportement en matière des droits de l’homme. Vu le caractère pionnier de cette action, il se posait la question du droit à appliquer pour les juger par le Tribunal Militaire International de Nuremberg.

Dès lors, il était temps de mettre en place le droit international des droits de l’homme par la mise en place de plusieurs instruments juridiques.

IIème Partie : Des instruments mis en œuvre par le droit international des droits de l’homme pour atténuer l’incapacité juridique de l’individu en droit international.

Comme dit ci haut, face à l’arbitraire dans le comportement des pouvoirs publics des Etats contre les individus, la Communauté internationale a mis en place des instruments de droit international tendant à protéger les droits de l’homme. Cette démarche a été adoptée selon deux échelons notamment universel (Section 1) et régional (section 2).

1 ère section : De la consécration du droit international des droits de l’homme au plan universel et de l’atténuation de l’incapacité juridique internationale de l’individu

L’histoire du droit international des droits de l’homme nous apprend que plusieurs instruments juridiques ont été mis en place par la Communauté internationale concernant cette matière du droit afin de permettre aux individus d’avoir une capacité juridique au niveau international par l’attribution d’une personnalité juridique. Cela s’est fait essentiellement dans le cadre du système de l’Organisation des Nations Unies, ONU en sigle. Ces normes de droit revêtent plusieurs formes et appellations notamment Déclaration, Charte, Conventions, protocoles, recommandations,…. Après la Charte de l’ONU en 1945 qui a posé l’acte fondateur du DIDH, le premier texte qui a été adopté, c’est la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) en 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies.

La DUDH a inspiré un corpus abondant de traités internationaux légalement contraignants relatifs aux droits de l’homme. Les plus significatifs sont[4] : Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948),  Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1966), Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966),Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (1968),Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979),Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984),Convention relative aux droits de l'enfant( 1989), Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006),et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2006).

Tous ces traités internationaux permettent de protéger les différents droits fondamentaux de l’homme  et d’amener les individus à défendre leurs droits sur le plan international. Ces droits de l’homme  portent sur les droits civils et politiques (droits de 1ère génération), sur les droits économiques, sociaux et culturels (droits de 2ème génération) et sur les droits liés au développement et à la protection de l’environnement (droits de 3ème génération). Cette troisième génération des droits est affirmée dans la déclaration sur les objectifs du Millénaire du développement ainsi que dans le droit régional des droits de l’homme notamment au niveau africain. Ici, l’élément marquant demeure la reconnaissance de la personnalité juridique en tous lieux à toute personne physique, seul moyen susceptible d’atténuer l’incapacité juridique internationale.

Par ailleurs, au niveau universel, des mécanismes ont été mis en place également afin que les individus soient jugés à cause de leur violation du droit international des droits de l’homme. Ces mécanismes sont mis en œuvre dans le cadre des juridictions à l’instar de la Cour pénale internationale (CPI), créée en 1998, qui est la première Cour internationale permanente compétente pour juger les personnes accusées de génocide, de crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les Tribunaux pénaux spéciaux ont été créés pour juger les auteurs des violations massives de droits de l’homme. Au nombre de ces tribunaux, il convient de citer le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie, le Tribunal pénal international pour le Sierra Leone,… Tous ces mécanismes ont permis d’arrêter et de juger des gens tels que MILOSEVIC, CHARLES TAYLOR, JEAN-PIERRE BEMBA, etc.

Par ailleurs le procédé de plaintes devant le Conseil des Droits de l’Homme du Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme permet aux individus de porter plainte à l’ONU contre les violations de droits de l’Homme dont ils sont victimes.

Aussi paraît-il important de relever la procédure mise en place depuis 1978 par l’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture, qui permet l’examen des plaintes concernant des violations alléguées des droits de l’homme dans ses domaines de compétences. Une plainte pourrait viser un Etat membre de l’Organisation dans le but d’améliorer le sort des victimes et non de faire condamner le Gouvernement concerné. Les individus sont acceptés à adresser des plaintes en tant que victimes ou témoins des violations des droits de l’homme dans les domaines de l’Education, de la science et de la culture.

Etant devenu sujet du droit international, l’individu peut exercer ses droits en portant plainte contre un Etat devant des institutions internationales et assumer ses obligations en étant jugé devant les juridictions internationales.

Après avoir vu les moyens mis en place au niveau universel, voyons à présent comment au niveau régional, on réhabilite la capacité juridique des individus grâce aux droits de l’homme.

2 ème section : De  la mise en œuvre des droits de l’homme au niveau régional  et de l’atténuation de l’incapacité juridique internationale de l’individu.

La mise en œuvre du droit international des droits de l’homme en vue de l’atténuation de l’incapacité juridique des individus, au niveau régional, a concerné essentiellement les continents européen, américain et africain.

A. Au niveau européen.

Il a été adopté au niveau européen plusieurs traités contraignants relatifs aux droits de l’homme dont le plus important demeure la Convention Européenne des droits de l’Homme.

Concernant le droit de recours des individus devant les juridictions internationales, c’est l’Europe qui a été le premier continent à permettre aux individus d’ester en justice au niveau international contre un Etat en 1950. En effet, «  le Protocole n° 9 à la Convention européenne des droits de l’homme permet le recours individuel devant la Cour européenne des Droits de l’homme en mettant en accusation les Etats, voire leur propre Etat »[5].

B. Au niveau américain

En ce qui concerne le système américain  de protection des droits de l’Homme, on note que les Etats américains ont adopté au niveau régional la Convention interaméricaine des droits de l’Homme. Par ailleurs, ils se sont dotés de 2 organismes : la Commission interaméricaine des droits de l’Homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Dans ce système, les individus ne sont pas autorisés à saisir directement la Cour mais ils doivent passer par la Commission qui est chargée de se prononcer sur la recevabilité de leurs plaintes et de les déposer devant la Cour.

C. Au niveau africain.

Au niveau du Continent Africain, les Etats ont mis en place ce qu’on qualifie de  système africain des droits de l’Homme comprenant la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples qui est le traité contraignant interafricain en matière des droits de l’Homme et la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples  ainsi que  la Commission des droits de l’Homme  et des peuples siégeant auprès de l’Union Africaine.

La Cour a pour vocation de juger l’observation respectueuse par tous les Etats parties des droits contenus dans la Charte et dans tous les instruments internationaux ratifiés par eux. Cette cour peut être saisie par des individus portant directement devant elle ou indirectement par le truchement de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, à l’instar du système interaméricain, leurs plaintes.

Par contre, l’existence de plusieurs conditions de recevabilité[6] notamment l’épuisement préalable de voies internes de recours ( même cas que le système européen) et l’absence des propos outrageants dans la requête à l’égard de l’Etat mis en cause et de ses dirigeants, est de nature à décourager l’utilisation fréquente du droit de recours individuel. En outre, la possibilité donnée à la Cour de solliciter l’avis de la Commission où siègent des Commissaires désignés par des Etats semble introduire de la partialité dans les décisions de la Cour et amoindrir l’importance du recours accordé aux individus.

Ceci me permet de dire qu’en général, les Etats ont été réticents dans l’adoption des traités internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme. C’est ce qui justifie que tous les Etats n’ont jamais ratifié tous les traités en vigueur. Egalement ; ils ont continué à garder une emprise sur la représentation des intérêts de leurs nationaux au plan international. Ces deux facteurs sont les éléments  essentiels d’atténuation de la capacité juridique internationale que le droit international des droits de l’Homme a conférée aux individus.

CONCLUSION

Pour conclure, il convient d’affirmer que l’avènement du droit international des droits de l’Homme en attribuant la personnalité juridique en tous lieux à tout individu , a été un facteur décisif dans l’atténuation de l’incapacité juridique internationale qui  frappait naguère les individus. Ce droit international d’un type nouveau dont le but est de faire échec à l’arbitraire des Etats en protégeant les individus, a permis d’une part aux individus d’agir  en exerçant leur droit de recours individuel contre les Etats devant des juridictions internationales (recours juridictionnel) ou devant des organisations internationales (recours non juridictionnel à l’Unesco et au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme), et d’autre part, à certains individus ayant violé les droits de l’Homme d’être justiciables des juridictions internationales.

Néanmoins, l’existence de nombreuses anicroches telles que l’incertitude d’épuisement des voies internes de recours dans certains pays notamment Africains avant tout recours international et la réticence des Etats à s’impliquer dans la ratification des traités, sont des éléments qui viennent rappeler aux individus leur incapacité juridique internationale ou leur capacité juridique internationale partielle.

 

[1] Ch.DE VISSCHER, Droit international des droits de l’Homme : droits de l’homme expressément reconnus et protégés par des textes internationaux, in Annuaire de l’Institut du Droit International, session de Lausanne, 1957, t.41,p.4

[2] Ch.DE VISSCHER, Idem.

[3] Ch.DE VISSCHER, Ibidem.

[4] Les différents traités internationaux contraignants relatifs aux droits de l’homme sont cités sur http://www.un.org/fr/documents/udhr/instruments.shtml consulté le 19 décembre 2012.

[5] J.-F. FLAUSS, Le droit de recours individuel devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, in Annuaire Français de Droit International, 1990, vol.36, n°36, p.508

[6] A.-D. OLINGA, Cours de Système Africain des Droits de l’Homme, Master 2 Droit international et européen des Droits fondamentaux, Université de Nantes, 2012-2013, p.17

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