De la dualité fonctionnelle des juridictions administratives. Cas du Conseil d’Etat en France.

Publié le 30/12/2015 Vu 15 179 fois 0
Légavox

9 rue Léopold Sédar Senghor

14460 Colombelles

02.61.53.08.01

L'article parle de la dualité fonctionnelle dans les missions et tâches des juridictions administratives.

L'article parle de la dualité fonctionnelle dans les missions et tâches des juridictions administratives.

De la dualité fonctionnelle des juridictions administratives. Cas du Conseil d’Etat en France.


Par IBANDA KABAKA Paulin, Doctorant en Droit public économique, financier et fiscal, Université de Pau et des pays de l’Addour. 

A coté de l'ordre judiciaire, il y a des juridictions propres chargées de connaître des litiges nés dans l'exercice de l'action administrative. De création ancienne, ces juridictions administratives ont été instituées conformément à l'article 13, titre 2, de la loi du 16 au 24 août 1790 qui dispose :« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. » .Ce qui a été qualifié de l' « administration-juge » par certains observateurs. Ces juridictions administratives qui sont composées du Conseil d'Etat (juridiction suprême faisant office de cassation), des cours administratives d'appel, des tribunaux administratifs et des juridictions administratives spécialisées telles que la cour nationale du droit d’asile, sont à la fois conseiller du gouvernement et juge des actes pris par l'administration. 

L'analyse de cette dualité fonctionnelle de ces juridictions sera effectuée dans un premier temps (I) puis une opinion sera donnée sur cette thématique dans le second temps(II). 

I. La dualité fonctionnelle des juridictions administratives, en quoi consiste-t-elle ? 
Les juridictions administratives françaises ont une double mission à réaliser notamment par les avis et appui qu'elles donnent au gouvernement et autres services publics (A) et par leur activité juridictionnelle dans les matières impliquant l'administration (B). 
A. La fonction consultative 
Pour mieux analyser cette thématique, il est temps de faire une restriction scientifique: par juridiction administrative, il ne sera question que du Conseil d’Etat qui est l’institution qui incarne le mieux toutes les juridictions administratives et au sein de laquelle cette dualité fonctionnelle est la plus présente. En ce qui concerne l’activité consultative, celle-ci est exercée dans le cadre du rôle de conseiller du gouvernement que jouent ces juridictions administratives, plus spécialement la première d'entre elles, le Conseil d’Etat. A cet effet, il est consulté par le gouvernement pour tous les projets des lois ainsi que pour des décrets, et obligatoirement pour les « décrets en conseil d'Etat ». Pour les projets de lois, cette consultation revêt un caractère obligatoire. Puis il émet plusieurs types d'avis dont certains sont tenus d'être suivis obligatoirement par les membres du pouvoir exécutif notamment en cas d' avis conformes. En plus, il participe à l’élaboration des textes légaux et réglementaires sur demande du gouvernement ou du parlement. 
Aussi convient-t-il de dire que, depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Conseil d'Etat est susceptible d'examiner une proposition de loi sur demande du Parlement. Il examine surtout notamment les projets des lois et d'ordonnances, avant que ceux-ci ne soient soumis au conseil des ministres ainsi que les projets de décret que la loi qualifie de « décret en Conseil d'État » comme sus-évoqué. Il s'agit d'un rôle de véritable conseiller juridique des autorités étatiques que cette juridiction administrative exerce. 

S’agissant des avis, le Conseil d'État émet des avis sur la régularité juridique des textes légaux, sur leur forme et sur leur opportunité administrative. Ces avis sont en mesure de prendre la forme d'un texte modifié, ou d'une note de rejet. Le gouvernement peut ne tenir aucun compte de l'avis, mais la Constitution rend néanmoins la consultation obligatoire pour les projets des lois. Le gouvernement ne peut, de son propre chef, modifier le texte qu'il a soumis au Conseil d'État ou la version du texte modifiée par le Conseil d'État qu'à la condition d'en informer le Conseil d'État par une lettre rectificative. 
Le Conseil d'État indique également au gouvernement quels sont, parmi les projets de textes communautaires, ceux qui touchent à des questions législatives et doivent en conséquence être transmis au Parlement. Le Conseil peut par ailleurs être consulté librement par le gouvernement sur toute question ou difficulté d'ordre juridique ou administratif. 
En résumé, Il s’agit d’un examen portant sur le droit, la forme et l’opportunité du texte. D’un point de vue juridique, le Conseil d’État vérifie que le texte n’est pas contraire à une norme européenne et tente de prévenir les éventuelles inconstitutionnalités susceptibles d’être relevées par le Conseil constitutionnel. D’un point de vue formel, il peut également proposer une rédaction plus cohérente ou plus claire du texte. Enfin, il peut attirer l’attention du Gouvernement sur l’opportunité ou non du texte dont il est saisi. Il ne s’agit pas d’opportunité politique, mais de l’opportunité au regard de critères comme la cohérence avec d’autres textes juridiques ou le contexte financier de l’action publique. 
Le Gouvernement n’est pas tenu de suivre l’avis du Conseil d’État, mais la tradition veut qu’il en tienne compte. S’agissant des décrets, pour certains d’entre eux (les "décrets en Conseil d’État"), le Gouvernement ne peut édicter que le texte adopté par le Conseil d’État ou le projet qu’il lui a soumis. 
Le Conseil d'État peut ainsi rendre trois sortes d'avis : 
•    Avis simple. Le gouvernement n'est pas obligé de solliciter l’avis, ni obligé de le suivre. 
•    Avis obligatoire. Le gouvernement est obligé de solliciter l’avis (projet de loi ou d’ordonnance, projet de décret en Conseil d'État), mais n'est pas obligé de le suivre. 
•    Avis conforme. Le gouvernement est obligé de solliciter l’avis et est obligé de le suivre 
Le Conseil d'État adresse chaque année au président de la République un rapport public, qui énonce notamment les réformes d'ordre législatif, réglementaire ou administratif, qu'il propose au gouvernement. Voici le résumé du dernier rapport de 2014: Le rapport annuel du Conseil d’Etat présente l’activité juridictionnelle et consultative de l’ensemble des juridictions administratives au cours de l’année 2013. Il retrace aussi les contributions de la juridiction administrative aux enjeux de la société et de la vie publique du pays en 2013. La partie juridictionnelle analyse plus de 180 décisions contentieuses. Certaines illustrent, pour la seconde année consécutive, les « Thèmes marquants de l’activité contentieuse du Conseil d’Etat », identifiés en raison, notamment, de leur résonance avec les préoccupations de la société. L’activité consultative est illustrée par une sélection de plus de 150 avis rendus par les sections administratives du Conseil d’Etat sur les propositions de loi ou les projets de texte qui leur sont transmis en amont de leur adoption. Enfin, la partie « Etudes, débats, coopération européenne et internationale », présente les actions entreprises par le Conseil d’Etat dans les travaux de recherche en droit et en gestion publique ainsi que dans l’espace juridique européen et international » . 
B. La fonction juridictionnelle 
Le Conseil d'État est l'échelon suprême de la juridiction administrative, qui juge les actions dirigées contre les autorités publiques ou entre les autorités publiques et qui traite les litiges entre les particuliers et l’administration au sens large notamment : État, collectivités territoriales, établissements publics, personnes privées chargées d’une mission de service public comme les ordres professionnels ou les fédérations sportives. 
Sa compétence s'exerce tantôt en premier et dernier ressort, tantôt comme juge d'appel, tantôt comme juge de cassation. À ce titre, il est juge de cassation des arrêts des cours administratives d’appel et des juridictions administratives spécialisées comme la Commission de recours des réfugiés. En outre, il juge également en premier et dernier ressort les recours dirigés notamment contre les décrets, les actes des organismes collégiaux à compétence nationale (par exemple, le jury d’un concours national ou un organisme comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel) ainsi que le contentieux des élections régionales et de l’élection des représentants français au Parlement européen. Il est compétent en appel pour les contentieux des élections municipales et cantonales. 
Le Conseil d’État, comme la Cour de cassation dans l’ordre judiciaire, assure l’unité de la jurisprudence au plan national. Les décisions rendues par le Conseil d’État statuant au contentieux sont souveraines et ne sont susceptibles d’aucun recours, hormis le recours en révision ou en rectification d’erreur matérielle. 
C’est la section du contentieux qui assume cette fonction juridictionnelle. Elle est composée de dix sous-sections spécialisées dans différents types de contentieux (droit des étrangers, marchés publics, fiscalité...). 
Le Conseil d’État est également chargé, depuis 1990, d’assurer la gestion des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, cette responsabilité incombant auparavant au ministère de l’intérieur. Il est responsable de la gestion du corps des magistrats administratifs, assisté pour cela par un organe consultatif indépendant créé en 1986, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. 
Le Conseil d'État peut également être appelé à donner un avis sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges » soumise par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel. L'avis ne lie pas la juridiction mais est généralement suivi, pour ne pas s'exposer, dans le cas contraire, à être contredit en cassation. 
De ce qui précède, il est évident que le Conseil d’Etat est à la fois juridiction administrative et institution disposant également de compétences administratives allant de la simple consultation jusqu’à la participation à l’élaboration de projet de loi ou de certains décrets. C’est ce cumul entre fonctions administratives et contentieuses que l’on vise par la notion de dualité fonctionnelle. 
II. Les implications de cette dualité fonctionnelle 
La dualité fonctionnelle décrite supra soulève la question d’impartialité des juges administratifs : en effet, le Conseil peut être amené à examiner, en tant qu'organe juridictionnel, la conformité à la loi d'un décret pris en Conseil d'État ou plus généralement d'une décision prise après consultation de celui-ci. 
Pour certains, ce cumul de fonctions pose problème quant à l'exigence d'impartialité du juge, posée notamment par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Néanmoins, les défenseurs du Conseil d'État, rétorquent que la tradition d'indépendance et les règles internes assurent cependant l'impartialité de la formation du jugement. En effet, l’indépendance du juge administratif a été consacrée par le Conseil constitutionnel d’une part et d’autre part, l’instauration de la règle du déport fait qu'un membre du Conseil d'État ne peut participer à une formation de jugement examinant la légalité d'une décision s'il a contribué à un avis y afférent. 
Pourtant, parfois il a été remarqué que certains conseillers d’Etat qui ont effectué des missions consultatives sur une loi ou une décision administrative, ont été également associés au contentieux juridictionnel. Ce qui fait qu’ils ont été juges et partie à la fois. Cela n’est pas normal dans un Etat de droit où l’on risquerait de consacrer la toute puissance des juges, une « république des juges » ; ce qui violerait le principe d’une république neutre et impartiale ainsi que celui de la séparation des pouvoirs. 
Dès lors, pour éviter que cette dualité fonctionnelle ne puisse nuire ni à l’intérêt général ni aux aspirations des citoyens, il serait souhaitable que les conseillers des sections administratives en charge de la fonction consultative ne puissent faire partie en même temps des formations contentieuses. Il faut veiller à l’application du principe de séparation des pouvoirs au sein même du Conseil d’Etat afin de garantir l’indépendance ainsi que l’impartialité des juges administratifs.

__________________________
Doctorant en droit public économique, financier et fiscal

Vous avez une question ?

Posez gratuitement toutes vos questions sur notre forum juridique. Nos bénévoles vous répondent directement en ligne.

Publier un commentaire
Votre commentaire :
Inscription express :

Le présent formulaire d’inscription vous permet de vous inscrire sur le site. La base légale de ce traitement est l’exécution d’une relation contractuelle (article 6.1.b du RGPD). Les destinataires des données sont le responsable de traitement, le service client et le service technique en charge de l’administration du service, le sous-traitant Scalingo gérant le serveur web, ainsi que toute personne légalement autorisée. Le formulaire d’inscription est hébergé sur un serveur hébergé par Scalingo, basé en France et offrant des clauses de protection conformes au RGPD. Les données collectées sont conservées jusqu’à ce que l’Internaute en sollicite la suppression, étant entendu que vous pouvez demander la suppression de vos données et retirer votre consentement à tout moment. Vous disposez également d’un droit d’accès, de rectification ou de limitation du traitement relatif à vos données à caractère personnel, ainsi que d’un droit à la portabilité de vos données. Vous pouvez exercer ces droits auprès du délégué à la protection des données de LÉGAVOX qui exerce au siège social de LÉGAVOX et est joignable à l’adresse mail suivante : donneespersonnelles@legavox.fr. Le responsable de traitement est la société LÉGAVOX, sis 9 rue Léopold Sédar Senghor, joignable à l’adresse mail : responsabledetraitement@legavox.fr. Vous avez également le droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle.