La place des droits culturels dans la protection des droits de l’homme.
Par Paulin IBANDA KABAKA, Doctorant en Droit public, UPPA
0. INTRODUCTION
0.1. Présentation du sujet.
La place des droits culturels ou leur renaissance dans le système de la protection des droits de l’homme est un sujet qui commence à intéresser tout le monde au regard de la confrontation des cultures que nous connaissons actuellement à travers l’univers. Les droits culturels qui constituent des droits de l’homme indiscutables au même titre que les autres droits de l’homme ont été longtemps négligés et moins considérés que leurs équivalents. Néanmoins, suite aux mutations qu’a subies le monde notamment la survenance des conflits identitaires, l’impact de la mondialisation sur la culture et la prise en compte des aspects humains en plus de ceux économiques dans le développement, les droits culturels ont trouvé une place de choix au cœur de l’agenda de la communauté internationale.
0.2. Définition des concepts.
Les notions-clés à définir dans cette étude sont : renaissance, culture, droits culturels, droits de l’homme, identité culturelle et mondialisation. Selon le dictionnaire Le Petit Larousse (2006), renaissance signifie action de renaître ou nouvel essor . La déclaration de Fribourg sur les droits culturels définit la culture comme suite : le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement . Pour cette déclaration, l'expression «identité culturelle» est comprise comme l'ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité et par «communauté culturelle», on entend un groupe de personnes qui partagent des références constitutives d’une identité culturelle commune, qu'elles entendent préserver et développer .
Les droits fondamentaux de l’homme sont des droits essentiels, inviolables, intangibles et complémentaires qui sont inhérents à toute personne humaine et reconnus par les instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Ces droits sont variés mais sont indissociables les uns des autres. C’est ce qui justifie que ces droits concourant tous à la préservation de l’intégrité physique et de la dignité de l’homme, sont interdépendants et complémentaires. De ce fait, les droits culturels sont les droits inhérents à la personne humaine lui permettant de vivre librement sa culture et qui sont reconnus par le droit international des droits de l’homme. Quant à la mondialisation, selon le dictionnaire précité, c’est la tendance pour les entreprises multinationales à avoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié.
0.3. Délimitation du sujet.
Au regard de ce qui précède, notre commentaire portera sur les droits culturels et sur les causes de leur renaissance sur la scène internationale.
0.4. Justification et annonce du plan.
Dans la contribution sous étude, nous parlons du nouvel essor pour les droits culturels qui, bien que consacrés au niveau international, ont été longtemps négligés dans la protection des droits de l’homme . Néanmoins, avec la mondialisation et l’apparition des questions identitaires dans différents pays, les droits culturels sont au cœur des préoccupations internationales. Ceci justifie la prise en compte de tous les aspects que nous venons de décrire. En plus, nous donnerons notre avis sur ladite renaissance culturelle. Ainsi, notre plan se présente de la manière suivante : le premier chapitre portera sur les droits culturels dans le système international de protection puis le second chapitre consistera sur notre point de vue critique sur la renaissance des droits culturels.
A présent, parlons des droits culturels dans le système de protection au plan international.
Chapitre 1er : Les droits culturels dans le système international de protection.
Dans ce chapitre, nous parlerons de la consécration universelle des droits culturels (section 1) puis des raisons du regain d’intérêt des droits culturels (section 2).
Section 1 : La consécration universelle des droits culturels et leur prise en compte.
A. La consécration universelle des droits culturels.
L’ONU a toujours considéré que la culture est un élément fondamental de notre humanité et une valeur basique de la construction de la paix. C’est pour cette raison que ces droits culturels, à l’instar de tous les autres droits de l’homme, ont été inclus dans la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948. Ensuite en 1966, ces droits ont été reconnus de façon distincte des autres droits de l’homme dans le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels.
Dans la DUDH, 2 dispositions en émergent. En effet, l’art. 22 dispose : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays » . Alors que l’article 27 indique que :
1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.
Par ailleurs le PIDESC dispose dans son article 15 que les Etats signataires doivent reconnaître à tout individu le droit : a) de participer à la vie culturelle; de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications; de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur.
b) Les mesures que les Etats signataires du présent Pacte prendront en vue d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre celles qui sont nécessaires pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture.
c). Les Etats signataires du présent Pacte s'engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices.
d). Les Etats signataires du présent Pacte reconnaissent les bienfaits qui doivent résulter de l'encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture.
Ce qui précède est complété par l’article 27 du Pacte International des droits civils et politiques qui permet que ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.
Il y a également l'article 13 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers la femme (1979) qui recommande « le droit de participer aux activités de loisirs, sportives et à tous les aspects de la vie culturelle ».
Par ailleurs, l'UNESCO a été l’initiateur de plusieurs instruments concernant les droits culturels. On citera parmi ceux-ci la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005), la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), la Déclaration de l'UNESCO concernant la destruction intentionnelle du patrimoine culturel (2003) et la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle (2001), entre autres. Bref, les droits culturels ouvrent vers des domaines très précis tels que celui de l’identité et du patrimoine, celui de la participation à la vie culturelle et aux politiques culturelles, celui de l’éducation et de la formation, celui de l’information
B: Pourquoi les droits culturels sont-ils considérés comme les parents pauvres des droits de l’homme ?
La reconnaissance des droits culturels est tardive et hésitante parce qu’elle implique de la part des Etats, la reconnaissance de la diversité culturelle et par là celle des identités culturelles. Les droits culturels sont la pierre angulaire longtemps rejetée par les bâtisseurs de divers Etats, parce que ses arêtes sont trop difficiles à intégrer. En effet, en acceptant d’intégrer les droits culturels, les Etats redoutent de favoriser des activités centrifuges tendant à affirmer des diversités et des identités au moment où la mission première de tout pouvoir étatique est de sauvegarder l’unité nationale et l’intégrité territoriale .
Voilà la raison principale, à notre avis, qui a entraîné la banalisation et la mauvaise considération dont ont été victimes ces droits car ils ont toujours été redoutés par les représentants des Etats. Pourtant ce sont ces droits culturels qui sont susceptibles de caler l’édifice des droits de l’homme, d’en arrêter l’équilibre et l’unité en soulignant la diversité des perspectives. Tant que cette pierre n’était considérée à sa juste valeur, le système restait perfectible : il laissait échapper la dignité humaine en l’entraînant vers l’arbitraire.
Les droits culturels sont nés d’une prise de conscience récente de l’importance du dialogue interculturel comme élément fondamental de la paix.
Section 2 : Les raisons du regain d’intérêt des droits culturels.
Parmi ces raisons, nous parlerons de la résurgence des questions identitaires (A) et de la prise en compte des aspects humains et culturels dans la logique du développement (B).
A: Les droits culturels et les questions identitaires.
La violation flagrante des droits culturels de certaines communautés par leurs dirigeants étatiques, a entraîné la revendication croissante des droits culturels relatifs à l’identité. C’est notamment le cas des Kurdes en Irak et récemment en Turquie. Ces derniers n’ont pas hésité à prendre les armes pour des questions identitaires. Par ailleurs, nous constatons actuellement dans plusieurs pays européens qu’il y a instauration récente des politiques culturelles faisant suite à des revendications identitaires : c’est le cas notamment avec l’enseignement des langues régionales en France par exemple telles que le breton et le basque, etc. et du catalan en Espagne. C’est le cas aussi du terrorisme musulman fondé sur le non respect de la différence culturelle car les chrétiens sont considérés comme des hommes à abattre car ils sont des mécréants et des croisés. Tous ces conflits identitaires ayant trait à des aspects culturels ont entraîné la communauté internationale à prendre de plus en plus en considération les droits culturels.
S’agissant de la mondialisation qui a permis aux multinationales du secteur culturel de considérer tous les pays du monde comme faisant partie d’un seul marché, elle a occasionné la prise de conscience des différences culturelles pour de nombreux peuples à travers le monde qui réclament désormais la sauvegarde de l’exception culturelle. C’est le cas récemment de la France qui, pour sauver la culture française, a exigé à l’Union européenne de tenir compte de cette spécificité dans les accords commerciaux en négociation avec les Etats-Unis d’Amérique car, en effet l’anglais et les produits culturels (films, chansons, …) américains sont entrain d’envahir et tuer l’espace culturel francophone.
La grave erreur de la mondialisation est qu’elle néglige souvent la dimension humaine et ne se cantonne qu’aux intérêts économiques et financiers. Pourtant la dimension humaine est importante dans le développement de toute Nation.
B : La prise en compte de la dimension humaine dans le développement.
Depuis les travaux de BECKER ayant instauré ce qu’on appelle désormais le capital humain et qui a imposé l’idée d’intégrer aussi des variables non économiques à l’instar de l’éducation et de la santé dans le calcul des indicateurs du développement, les variables culturelles dont l’éducation fait partie , ont été intégrées dans la formulation de toutes les politiques de développement et dans le calcul des indicateurs rendant compte du développement humain en sigle IDH. Comme la culture représente l’humain dans toutes ses caractéristiques et sa pluralité, il est clair que par le biais de l’éducation, c’est la dimension humaine qui est intégrée au développement.
C’est dans ce sens que la communauté internationale a intégré récemment des aspects culturels dans les objectifs du millénaire de développement à atteindre. Ainsi, le processus de développement, qui était naguère basé sur la seule croissance économique, met désormais l’accent sur la dimension humaine. Dès lors, les droits culturels deviennent des instruments essentiels au développement, à la paix et à l’éradication de la pauvreté.
Ce qui permet de procéder à une analyse critique sur la renaissance des droits culturels à travers les pays du monde.
Chapitre 2. Point de vue critique sur la renaissance des droits culturels.
Nous parlerons de la sous-estimation des droits culturels : une vision dépassée ? (section 1) puis la mondialisation est- elle toujours mauvaise pour les droits culturels et le regain des droits culturels est-il une panacée? (section 2).
Section 1 : La sous-estimation des droits culturels : une vision dépassée ?
Le thème abordé ici est la renaissance des droits culturels dans la protection des droits de l’homme ainsi que la protection des droits de l’homme. Cela nous amène à nous interroger sur l’effectivité des droits culturels qui est le caractère associé à la protection . Plusieurs observateurs ont constaté que les juges qui ont la mission de contrôler l’effectivité d’application des droits culturels, les ont plus institué en utilisant les droits civils pour protéger les droits culturels qu’en recourant aux droits culturels eux-mêmes tels que consacrés dans les instruments juridiques . Cela nous conduit à nous interroger sur l’efficacité de la soi-disant renaissance des droits culturels.
En évoquant la seule application du fait des chefs d’Etat dans le cadre des objectifs du millénaire, cela relève de la matérialisation des politiques publiques protégeant les droits culturels. Mais ce qui est important pour nous, c’est tout ce qui fait asseoir l’effectivité des droits culturels en les rendant opposables aux Etats notamment les actes relevant de la jurisprudence mais également de la doctrine telle qu’elle est enseignée dans les universités.
En plus, en tant que droits-créances dont les débiteurs sont les Etats, les droits culturels sont toujours redoutés par les gouvernants des Etats qui voient en eux des éléments de la division, de la contestation et de l’affirmation de la différence au moment où ils se battent pour sauvegarder l’unité nationale. Dès lors, ces droits culturels malgré tout ce que l’on a dit ci-dessus sont toujours mal venus dans plusieurs Etats.
Concernant la négligence subie par les droits culturels, nous remarquons, malgré les efforts de reconnaissance réalisés par plusieurs Etats à travers le monde, la vision faisant des droits culturels des parents pauvres continue à subsister dans certains milieux politiques, universitaires et judiciaires. En effet, l’Europe qui a été le pionnier en matière de droit procédural des droits de l’homme, n’a toujours pas donné un signal fort en intégrant tous ces droits culturels dans ses divers instruments juridiques notamment contraignants afin d’asseoir leur judiciarisation, ainsi que leur opposabilité dans le cadre du droit de recours. Car en effet, les juges continuent à utiliser d’autres droits de l’homme notamment les droits civils et politiques ainsi que les droits économiques et sociaux pour trancher les affaires qui leur sont soumises mais dont le caractère culturel est pourtant manifeste.
L’effectivité des droits culturels, quoiqu’un défi, n’est qu’une question de bonne volonté. Nombre d’Etats surtout les pays les plus pauvres prétendent que leurs ressources financières ne leur permettent pas de mettre en œuvre les droits culturels. Il est très important d’indiquer que cette position est condamnable. Le principe de la mise en œuvre progressive est à rappeler. C’est l’obligation pour l’Etat de prendre les mesures urgentes à sa portée pour mettre en œuvre progressivement les mécanismes pour l’effectivité desdits droits. Dans un cadre juridique équilibré avec le respect de tous les droits de l’homme, l’objectif sera facile à atteindre et c’est toute l’humanité qui y en bénéficiera.
Section 2. La mondialisation est- elle toujours mauvaise pour les droits culturels et le regain des droits culturels est-il une panacée?
La mondialisation est aussi un facteur de croissance du secteur culturel à l’instar de tous les autres secteurs de production et des prestations de services tels que l’industrie, la banque, l’assurance, etc. Pour les pays qui sont compétitifs, ils n’ont pas à avoir peur du marché mondial qui est le seul lieu leur permettant d’aller vers les autres et d’affirmer leur différence dans ces échanges culturels.
S’agissant des questions identitaires, nous remarquons qu’elles sont toujours d’actualité à travers le monde. C’est le cas de certains mouvements terroristes comme les Shebabs en Somalie, les Boko Haram au Nigéria, de Daesh ou Etat Islamique et autres mouvements qui tuent au nom de l’islam, qui pourtant est une identité culturelle, ou des Kurdes qui se battent actuellement contre la Turquie pour la reconnaissance de leurs droits culturels et politiques.
Aussi, il convient de relever que l’intégration de la dimension humaine dans le processus du développement n’a pas résolu tous les problèmes qui se posent à l’humanité notamment la pauvreté. Peut-on exercer ses droits culturels quand on est pauvre, malade et affamé ? Vue l’interdépendance des droits de l’homme, la persistance de la pauvreté qui accable presque 900 millions à 1 milliard des personnes à travers le monde est un déni aussi des droits culturels, ce qui constitue un défi pour la communauté internationale.
Conclusion
La renaissance des droits culturels au niveau international est indéniable. Bien que faisant partie des droits de l’homme, la catégorie des droits culturels a été longtemps négligée et moins considérée. Néanmoins, suite aux mutations qu’a subies le monde notamment la survenance des conflits identitaires, l’impact de la mondialisation sur la culture et la prise en compte des aspects humains en plus de ceux économiques dans le développement, les droits culturels ont trouvé une place de choix au cœur de l’agenda de la communauté internationale.
En revanche, les effets de cette renaissance des droits culturels sont à nuancer. En effet, la mondialisation n’a pas que des effets négatifs sur les droits culturels et la prise en compte des droits culturels n’a pas permis de traiter toutes les adversités relatives aux identités culturelles et à éradiquer la pauvreté car cette dernière constitue un déni des droits culturels.
En plus, l’effectivité des droits culturels, quoiqu’un défi, n’est pas toujours palpable ou visible dans plusieurs Etats du monde.
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Doctorant en droit public économique, financier et fiscal