Les principales interactions entre le droit à l'alimentation et les autres droits fondamentaux
Par Paulin IBANDA KABAKA, Doctorant en Droit public, Université de Pau.
Mail : ibandapaulin@yahoo.fr
- INTRODUCTION
- Présentation du sujet
Dans un monde où la faim est l’un des plus grands fléaux de la société touchant près de 900 millions d’ habitants, soit 1 personne sur 6, la solution aux problèmes de la faim est devenue un grand enjeu de la survie de l’humanité et du respect de la dignité de l’homme .Dès lors le droit à l’alimentation qui est le droit à une nourriture suffisante se révèle comme un droit fondamental de la personne humaine qui a été reconnu depuis longtemps par le droit international des droits de l’homme en guise de solution à cette question.
Faisant désormais partie des droits de l’homme, et vu le caractère indissociable des droits de l’homme, ce qui entraîne leur interdépendance, il est question dans cet article d’identifier les principales interactions entre le droit à l’alimentation et les autres droits de l’homme.
- Définition des concepts
Les notions à définir contenues dans ce travail sont interactions, droit à l’alimentation et droits fondamentaux. Les droits fondamentaux de l’homme sont des droits essentiels, inviolables, intangibles, complémentaires qui sont inhérents à toute personne humaine. Ces droits sont variés mais sont indissociables les uns des autres. C’est ce qui justifie que ces droits concourant tous à la préservation de l’intégrité physique et de la dignité de l’homme, sont interdépendants et complémentaires.
S’agissant du mot interaction, il est défini comme une action réciproque de deux ou plusieurs phénomènes[1].
Le droit à l’alimentation, au sens strict, est le droit fondamental d’être à l’abri de la faim et de la malnutrition, en d’autres termes c’est le droit à une nourriture suffisante pour toute personne[2] .Selon le guide de la FAO, « les titulaires du droit à l’alimentation sont des individus. Cela signifie concrètement que toute personne – femme, homme, garçon et fille – doit jouir de ce droit fondamental. Le «droit à l’alimentation» englobe deux normes distinctes énoncées à l’article 11 du Pacte (PIDESC)[3]. Le premier, qui se trouve dans le paragraphe 1, découle du droit de chacun à «un niveau de vie adéquat, y compris à une alimentation adéquate» et l’on peut le désigner par l’expression «droit à une alimentation adéquate». Le second, qui se trouve dans le paragraphe 2, est le droit fondamental de chacun d’être libéré de la faim »[4].
Quant à sa reconnaissance internationale en tant que droit fondamental de l’homme, le droit à l’alimentation est passé par 4 étapes cruciales : 1er) Depuis 1948, les Nations Unies ont fait de l’accès à une alimentation suffisante un droit individuel et une responsabilité collective. La DUDH[5] dispose dans son article 25-1 que « tout individu a droit à un niveau de vie adéquat pour sa santé et son bien-être personnel ainsi que celui de sa famille, y compris à la nourriture… »[6]. 2ème) En 1966, comme vu précédemment, ce droit a été réellement consacré dans le PIDESC qui en fait un droit de chacun à une nourriture suffisante et le droit fondamental de toute personne humaine d’être protégée contre la faim. 3ème) En 1979, ledit droit à l’alimentation est aussi repris dans la convention sur l’élimination des toutes les formes des violences à l’égard des femmes, puis 4ème) ce droit est reconnu aux enfants de façon spécifique dans la Convention internationale sur les droits des enfants de 1989.
Alors que la notion de libération de la faim exige que l’État donne de la nourriture à ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter ce dont ils ont besoin pour des raisons qui ne dépendent pas d’eux (âge, handicap, crise économique, famine, catastrophe ou discrimination), le droit à l’alimentation exige une amélioration progressive du niveau de vie qui permettra un accès régulier et égal aux ressources et aux possibilités, de façon que chacun soit capable de pourvoir à ses propres besoins.
Il doit être réalisé progressivement. Cela étant, les États ont l'obligation fondamentale d'adopter les mesures nécessaires pour lutter contre la faim, comme le prévoit le paragraphe 2 de l'article 11, même en période de catastrophe naturelle ou autre.
- Délimitation du sujet
Après les différentes définitions, il est établi qu’il nous est demandé de relever les actions réciproques entre le droit à la nourriture suffisante (alimentation) et les autres droits inhérents à la personne humaine.
- Justification et annonce du plan
Le droit à l’alimentation est un droit important qui conditionne les restes des droits de l’homme. « Il est indispensable à la réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la charte[7] internationale des droits de l’homme »[8].
Pour en analyser les principales interactions existantes avec les autres droits de l’homme, nous procéderons en deux temps en nous appuyant sur la répartition découlant de l’étude de Sandrine TURGIS. Selon Sandrine TURGIS (2010)[9], les interactions entre les différentes normes du droit … de la personne apparaissent soit lors de leur consécration ou lors de leur interprétation par les organes de contrôle.
Ainsi le plan de notre devoir est le suivant :
1. Les principales interactions d’ordre consécratoire.
2. Les principales interactions d’ordre interprétatif.
Après avoir terminé avec l’introduction, passons au développement pour parler des interactions à caractère consécratoire.
I. PRINCIPALES INTERACTIONS A CARACTERE CONSECRATOIRE.
Les interactions à caractère « consécratoire » résultent des dispositions régissant les différents droits contenus dans un instrument juridique tel qu’il a été adopté. Pour le droit à l’alimentation consacré et reconnu au niveau international principalement par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, il aura naturellement à interagir avec les autres droits économiques, sociaux et culturels dont il facilite la réalisation.
Tous ces droits constituent les droits-créances. Néanmoins, le grand problème pour ces droits économiques, sociaux et culturels, c’est leur effectivité, autrement dit leur mise en œuvre. En effet, étant des droits-créances, ils ne s’imposent pas d’emblée ou sont difficiles à réclamer par les personnes titulaires desdits droits.
Nonobstant, nous allons voir les principaux droits économiques, sociaux et culturels avec lesquels le DAA interagit. A
- Interaction avec les droits à la santé et à l’eau.
Pour qu’une personne humaine soit en bonne santé, elle doit bénéficier d’une bonne alimentation. Bien se nourrir est un élément qui concourt à l’acquisition ou au maintien d’un niveau satisfaisant de santé. A ce sujet, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 dispose : «Les États parties s’efforcent [...] de lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre des soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable [...].»[10]
Par ailleurs, la bonne santé est indispensable pour bien se nourrir. Car les personnes en bonne santé sont susceptibles de cultiver, de travailler afin d’acquérir la nourriture. Par contre les personnes malades ou les femmes enceintes ont du mal à bien s’alimenter car leur état de santé ne leur permet pas parfois d’exercer leur droit à l’alimentation suffisante.
S’agissant du droit à l’eau potable, celui-ci est intimement lié au droit à l’alimentation dont il est une composante. A cet effet, H. SMETS a écrit : « Depuis une dizaine d’année, l’on s’interroge sur le point de savoir si le droit à l’eau devait être considéré comme étant un droit de l’homme. Si l’on reconnaît l’existence du “droit de toute personne à un niveau de vie suffisant” proclamé à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, il en résulte que chacun doit disposer de l’eau indispensable pour sa vie. En outre, le droit à l’eau ne saurait être dissocié du droit à une nourriture suffisante et d’une manière générale du droit à une vie décente. La lutte contre la faim et la pauvreté et la protection de la santé sont intimement liées à un approvisionnement efficace en eau de qualité »[11].
- Interactions avec les droits au travail, à la sécurité sociale et à l’éducation.
S’agissant du droit à l’éducation qui concerne essentiellement les enfants et les jeunes en âge de scolarisation, son bon exercice suppose que l’individu soit en bonne santé et bénéficie d’un apport suffisant d’éléments nutritifs indispensables au développement des capacités intellectuelles. Car, à contrario, « Il est avéré que la malnutrition affecte le potentiel de vie des individus et des communautés : le développement social et économique en pâtit sans parler du développement intellectuel et mental des individus concernés »[12]. En revanche, une bonne éducation, qui est la garantie d’un emploi bien rémunéré, assure à son bénéficiaire une bonne protection de son droit à l’alimentation.
Quant au droit à la sécurité sociale, il permet aux personnes adultes sans travail de recevoir des aides et des revenus ( à l’instar du Revenu de solidarité active, RSA en sigle en vigueur en France) afin de leur permettre de disposer du minimum vital, bref d’exercer leur droit à l’alimentation et d’autres droits connexes comme celui à un logement décent. Dans l’affaire Frères V. contre le gouvernement du Canton de Berne, « il a été estimé que le refus de faire bénéficier trois non ressortissants de la législation suisse relative à la protection sociale était une atteinte à leur droit à l’alimentation, malgré le fait qu’ils étaient immigrés clandestins. Dans sa décision, le Tribunal fédéral suisse a jugé que le droit à l’alimentation, dans cette acception, pourrait être le fondement d’une demande d’aide officielle justiciable »[13].
Concernant le droit au travail et à un salaire minimum garanti, il est clair que son exercice procure des ressources nécessaires pour l’exercice du droit à l’alimentation. En retour, une bonne alimentation donne la force de bien travailler.
- Interaction avec le droit de propriété foncière.
Dans de nombreux pays notamment en voie de développement, l’accès à la terre et la question du droit foncier sur les parcelles agricoles sont des facteurs qui influent sur le droit à l’alimentation des millions des gens. Ces gens meurent souvent de faim ou souffrent de malnutrition parce que, soit ils sont dans l’impossibilité de disposer ou d’acquérir un terrain agricole nécessaire à la production des aliments ou l’élevage, soit ils ont perdu les droits sur leurs terres au profit des grands exploitants agricoles. Tel est le drame que subissent des nombreux peuples autochtones à travers le monde notamment en Amazonie. « Ainsi, on peut craindre que le regain d’intérêt pour l’agriculture et la course à la production d’agro-carburants ne viennent exacerber la concurrence pour les terres, avec dans bien des cas un combat inégal entre les grands investisseurs et les utilisateurs locaux des terres qui, souvent, n’ont pas de droits juridiques sur celles-ci ».[14]
Après avoir vu les interactions d’ordre consécratoire, analysons à présent celles à caractère interprétatif venant des organes de contrôle.
II.PRINCIPALES INTERACTIONS A CARACTERE INTERPRETATIF.
La mise en œuvre du droit à l’alimentation a souvent été butée à plusieurs écueils notamment celui lié au fait que, à cause de son caractère de droit-créance, plus d’un penseur a contesté sa justiciabilité en partant des textes l’ayant institué. Dès lors, lors du recours en droit devant les juridictions tant internationales que nationales, c’est l’interprétation des juges sur base des textes généraux ayant consacré les droits de l’homme, y compris le Pacte international des droits civils et politiques, qui relie le droit à l’alimentation aux droits-libertés et aux droits de solidarité. En effet, en partant du principe d’indissociabilité des droits de l’homme et de leur interdépendance, les juges, en leur qualité d’organes de contrôle, ont établi des interactions entre les divers droits et le droit à l’alimentation. En voici les principales.
2.1. Droit à l’alimentation et droit à la vie.
Il faut manger pour vivre dit une maxime populaire. Sans la nourriture, la personne humaine ne saurait vivre. C’est la nourriture qui alimente le corps humain en éléments nutritifs dont il a besoin pour sa croissance et pour son maintien en vie. C’est pour cette raison que la faim qui est le manque de nourriture est le plus grand fléau qui tue les personnes humaines et porte atteinte au droit à la vie. En effet, « la malnutrition chronique et la faim tuent plus de gens que les catastrophes naturelles, les maladies (sida, tuberculose, paludisme,…) et les guerres »[15].
Dès lors, on voit bien que le droit à l’alimentation est indispensable pour la réalisation du droit à la vie, et ce dernier droit permet l’exercice du droit à l’alimentation car il faut être en vie pour s’alimenter.
De manière prévisible, le droit à l'alimentation a été abordé sous l'angle de l'article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme[16], à savoir le droit à la vie. Les requérants reprochent généralement aux Etats l'absence de moyens de subsistance suffisants. Par exemple, dans la décision Budina c/Russie, le plaignant invoquait une violation de l'article 2 de la Convention car sa pension était insuffisante pour survivre.
En plus, « La jurisprudence indienne est l’exemple le plus flagrant d’une action judiciaire visant à venir à bout des distinctions entre les droits socio-économiques et les autres droits de l’homme, en élargissant la portée du droit à la vie au droit à une vie dans la dignité, et donc à plusieurs éléments indispensables à ce dernier. Cela est vrai non seulement pour le droit à l’alimentation, qui s’interprète facilement dans le sens du droit à la vie en tant que le droit à la survie biologique, mais également pour le droit à l’éducation, que la Cour suprême de l’Inde a jugé protégé au même titre »[17].
2.2. Interaction avec le droit à la dignité humaine et de ne pas subir des tortures.
Il a été constaté que le droit de ne pas subir les tortures et les autres formes dégradantes est un droit important pour l’exercice du droit à l’alimentation. De nombreux individus détenus, privés de liberté ou torturés à travers le monde ont du mal à se nourrir. D’où l’état de liberté est nécessaire pour l’exercice du droit à l’alimentation suffisante. A ce propos, Mr Kiteri GARCIA a écrit : « Dans la même logique, l'article 3 du texte européen (Cv EDH) est également largement invoqué, l'absence, l'insuffisance ou l'inadaptation de l'alimentation pouvant être assimilée à une torture, un traitement cruel, inhumain ou dégradant. De nombreux arrêts sont relatifs à la nourriture et à l'eau, notamment pour les détenus ou les personnes en centre de rétention: au même titre que la surpopulation ou l’hygiène, l’alimentation participe des conditions de détention susceptibles d’entraîner une violation de l’article 3 de la Convention. Le problème de l'alimentation forcée se rattache également à cet article. »[18]
2.3. Interaction avec le droit à la non discrimination notamment pour les enfants et les femmes.
La faim et la sous-alimentation qui sévissent dans de nombreux pays ne sont pas dues au manque de nourriture mais à l’inégalité de la distribution des ressources et de l’accès physique ou économique à la nourriture. D’après le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, l’élimination de la faim n’exige pas un accroissement de la production alimentaire, mais des moyens d’améliorer l’accès des pauvres aux ressources[19].
L’existence des inégalités dans l’accès à la nourriture et dans les revenus provient souvent des discriminations dont sont souvent victimes certaines personnes notamment les femmes, les enfants, les malades, les vieillards, les populations autochtones et les chômeurs.
Pour permettre à ces personnes précitées d’exercer leur droit à l’alimentation, il est recommandé aux Etats de mettre fin à tous les éléments constituant des discriminations. Une telle analyse des discriminations pourrait être faite en lien avec le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes (CEDAW),le Comité des droits de l’enfant (CRC), les Procédures Spéciales (PS) pertinentes (violences envers les femmes, discrimination, droits des minorités, droits des peuples autochtones, des personnes en situation d’extrême pauvreté et, récemment, droits culturels), ainsi que dans le cadre du suivi de la conférence de Durban.
C’est ce qui a justifié la protection internationale de ce DAA dans la Convention relative aux droits de l’enfant et dans la Convention sur l’élimination des toutes les formes des violences à l’égard des femmes.
La seconde obligation explicite est liée à la non discrimination. En vertu de l’Article 2 (2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États parties au Pacte: s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
Tel que formulé par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, l’Article 2 prescrit que :toute discrimination en matière d’accès à la nourriture, ainsi qu’aux moyens et aux prestations permettant de se procurer de la nourriture, que cette discrimination soit fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, l’âge, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, dans le but d’infirmer la jouissance ou l’exercice, en pleine égalité, des droits économiques, sociaux et culturels, ou d’y porter atteinte, constitue une violation du Pacte.
2.4. Interactions avec le droit de participation et d’information, la liberté de religion et l’Etat de droit.
Le droit de participation est un droit de l’homme qui a pour but de forger le consensus autour d’une politique publique notamment agricole en permettant aux individus d’influer sur les décisions qui déterminent leurs moyens d’existence et leur capacité à se nourrir[20]. Elle est le gage de la bonne gouvernance car elle favorise la transparence et la responsabilisation dans le cadre du processus décisionnel.
Enfin, un autre droit commence à se profiler: le droit au respect d'une alimentation spécifique, notamment guidée par des convictions religieuses, alternativement abordé sous l'angle de l'article 3 et des articles 9 et 11 (liberté de religion et liberté de réunion). Dans un arrêt V.D c/ Roumanie, du 16 février 2010, la Cour EDH a rendu un constat de violation de l'article 3 car le requérant, détenu de confession musulmane, ne pouvait manger de nourriture préparée avec de la graisse et de la viande de porc si bien qu'il ne lui restait à manger que “du pain, 10g de fromage et une tasse de lait par semaine”[21].
La récente affaire Jakobski c/ Pologne[22] qui prévoit également la possibilité pour un détenu d’obtenir un régime alimentaire respectant les préceptes de sa religion atteste de ce que la Cour européenne des droits de l’homme se montre de plus en plus réceptive à ce droit. En ce sens, il n’est pas anodin de relever que le constat de violation dans ce dernier arrêt a été rendu à l’unanimité.
Quant à l’état de droit qui implique que les gouvernants et les populations soient soumis tous au respect du droit, sa conséquence majeure est que la légitimité de l’autorité gouvernementale résulte de la conformité de ses actions notamment agricoles avec des normes légales écrites, publiées, adoptées et appliquées dans le respect des garanties de procédures et de tous les droits de l’homme. Les économistes parlent de « l’importance des règles démocratiques dans la prévention des famines »[23]. Selon Amartya SEN, « jamais une famine n’est survenue dans un pays respectant les règles démocratiques et le multipartisme».[24] « Cette constatation …traduit l’idée selon laquelle les droits politiques et civils contribuent à la protection des droits économiques et sociaux, et notamment le droit à l’alimentation. Pour Sen …, la démocratie a une valeur instrumentale importante en favorisant l’attention des gouvernants aux réclamations des citoyens »[25].
2.5. Interactions avec les droits de l’homme à la paix, à l’environnement et au développement.
Pour ce qui est de l’interaction avec le droit de l’homme à la paix, il est établi que le droit à l’alimentation suffisante est mieux exercé en temps de paix qu’en période de conflit armé. En effet, « 8 millions des personnes par an meurent de faim, faute d’alimentation appropriée surtout en situation de conflits »[26]. Car avec des déplacements forcés dûs aux conflits armés, les individus concernés n’ont plus les moyens d’exercer leur droit à l’alimentation. Ils deviennent tributaires de l’aide humanitaire qui souvent ne suffit pas. Ces personnes ont le droit d’être secourues en priorité. Cela signifie déployer plus de moyens d’intervention dans les situations de crises, et pour les gouvernements exercer plus de pression pour éviter que la faim soit une arme dans les conflits armés. Bref, la violation du droit à la paix est l’une de principales causes de non satisfaction du droit à l’alimentation suffisante. C’est le motif qui a justifié la plainte contre le Rwanda déposée à la Cour internationale de la Justice par la RDC qui a requis la condamnation du Rwanda pour son agression armée car sa présence a contraint des millions des Congolais à ne plus assurer leur droit à l’alimentation.
S’agissant du droit à l’environnement sain, ce dernier est important pour la mise en œuvre du droit à l’alimentation. En effet, les atteintes à l’environnement telles que le changement climatique, les catastrophes naturelles, la déforestation, la dégradation des forêts, la sécheresse , la désertification et la pollution des sols ont des impacts négatifs sur la productivité agricole et entraînent des épisodes de famine chroniques ou passagers comme ceux qu’on connaît régulièrement dans le Sahel africain et dans la corne de l’Afrique notamment en Ethiopie. En revanche, les individus bien nourris et forts sont des personnes bien à même d’assurer la conservation et la protection de l’environnement.
Enfin, le droit à l’alimentation est tributaire de l’amélioration générale des conditions de vie, disons du droit au développement. Il y a une corrélation positive entre le développement d’une Nation et son degré de satisfaction des besoins alimentaires. Plus un pays est développé, mieux le droit à l’alimentation se porte, et vice-versa. En effet, les pays sous-développés et pauvres sont ceux qui connaissent généralement les problèmes de faim. A ce propos, la FAO a écrit : « la faim et la sous-alimentation ne sont pas dues seulement à l’insuffisance de la nourriture disponible, mais aussi et surtout à la pauvreté, aux inégalités de revenus, aux difficultés d’accès aux soins de santé, à l’éducation, et à l’eau propre et au manque d’assainissement et d’hygiène »[27]. C’est à ce titre que le droit au développement est interprété comme le droit à l’interdépendance des droits de l'homme par excellence.[28]
CONCLUSION
Le droit de l’homme à l’alimentation, étant interdépendant et indissociable des autres droits fondamentaux de l’homme, exerce plusieurs interactions avec ces derniers. Ces interactions apparaissent soit lors de la consécration des divers droits de l’homme ou au moment des recours formulés devant les organes de contrôle qui procèdent à l’interprétation des différents textes tant conventionnels, constitutionnels que légaux.
Sur le plan consécratoire, nous avons remarqué que le DAA interagit avec les droits de l’homme à la santé, à l’eau, au travail, au salaire minimum garanti, à la sécurité sociale, à l’éducation et à la propriété sur les terres agricoles.
Au plan interprétatif, lors du droit procédural, les juges ont souvent relié le DAA à certains droits civils et politiques ( droits à la vie, à la dignité humaine et de non torture, à la non discrimination notamment à l’égard des femmes et des enfants, à la liberté de religion, à l’état de droit et à la participation) ainsi qu’aux droits de solidarité ( droits à la paix, à un environnement sain et au développement).
[1] Définition tirée du Dictionnaire Hachette, Paris, Ed. Hachette, 2012, p.827
[2]FAO, Guide pour légiférer sur le droit à l’alimentation disponible sur http://www.fao.org/docrep/013/i0815f/i0815f02.pdf [consulté le 3 mars 2013].
[3] Le PIDESC signifie pacte international sur les droits économiques, culturels et sociaux de l’Homme.
[4]Idem.
[5] Par DUDH, il faudra entendre la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
[6] ONU, Déclaration universelle des droits de l’homme, New York, 1948.
[7] La charte internationale des droits de l’homme regroupe la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) de 1966.
[8] FAO, Op.cit.
[9] S. TURGIS, Les interactions entre les normes internationales relatives au droit de la personne, Paris, Pédone, 2010, p.18.
[10] Article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989.
[11] H. SMETS, Le droit de l’eau, Funchal, Ed. Conseil européen du droit de l’environnement, 2002, p.22
[12] B. ARZEL et al. , Malnutrition et inégalités sociales, in Bulletin des médecins suisses, vol. 86, n° 18, 2005, p.1095
[13] FAO, La justiciabilité du droit à l’alimentation, op.cit.
[14] O. DE SCHUTTER, Renforcer la capacité d’adaptation: un cadre fondé sur les droits de l’homme pour la réalisation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale, Rapport à la 9ème session du Conseil des droits de l’homme, New York, ONU, 8 septembre 2008, p.13
[15] http://www.peuples-solidaires.org/droit-alimentation/ [consulté le 24 février 2013]
[16] CEDH, Affaire Budina c/ Russie, 18 juin 2009, n° 45603/05
[17] FAO, Justiciabilité du droit à l’alimentation, p.88 disponible sur internet ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/010/a0511f/a0511f03.pdf [consulté le 15 mars 2013]
[18] K. GARCIA, Existe-t-il un droit à l’alimentation au regard de la Convention européenne des droits de l’homme ? in De la terre à l’aliment, des valeurs aux règles, Rencontres Lascaux, juin 2010, p.4 disponible sur internet http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/65/01/30/PDF/Garcia_Forum_062010.pdf [consulté le 12 mars 2013]
[19] Olivier De SCHUTTER, Le droit à l’alimentation en tant que droit de l’homme sur http://www.srfood.org/index.php/fr/right-to-food [consulté sur le 18 mars 2013]
[20] FAO, Guide pour légiférer sur le droit à l’alimentation disponible, idem.
[21] CEDH, Affaire V. D. c/ Roumanie, 16 février 2010, n° 7078/02.
[22] CEDH, Affaire Jakobski c/ Pologne, 7 décembre 2010, n° 18429/06
[23] Matthieu CLEMENT, Amartya SEN et l’analyse socioéconomique des famines : portée, limites et prolongements de l’approche par les entitlements, in Cahiers du GRETHA, n° 25, 2009, p.14
[24] Cité par M. CLEMENT, Idem.
[25] M. CLEMENT, Op.cit., p.14
[26] B. ARZEL et al. , Op.cit., p.1095
[27] FAO, Idem.
[28] Voir Philip ALSTON , Ships Passing in the Night : The Current State of the Human Rights and Development Debate Seen Through the Lens of the Millennium Development Goals, in Human Rights Quarterly no. 27, 2005, pp. 755–829.