Le principe de proportionnalité se traduit par une exigence générale d’équilibre, une exigence d’adéquation. Cette exigence d’équilibre renvoyait le plus souvent à un souhait de protection de la personne qui faisait l’objet d’une mesure qui portait atteinte à une liberté fondamentale. À la première lecture de l’article R 561-12 du code monétaire et financier modifié par le décret no 2012-1125 du 3 octobre 2012 relatif aux obligations de vigilance et de déclaration pour la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, on se rend vite compte que cette exigence de proportionnalité signifie que l’établissement financier qui classe un de ses clients en vigilance renforcée si elle est autorisée par la loi à adopter une procédure spécifique de surveillance doit adapter cette procédure de surveillance aux nécessités qu’implique la lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette exigence de proportionnalité n’est pas édictée ici dans un souci de modération des vigilances mise en place par les assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans des situations présentant un risque élevé pour assurer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, mais plutôt une nouvelle obligation qui est mise à la charge des établissements assujettis qui les obligent à être particulièrement diligents.
La subtilité introduite par la modification opérée par le décret est presque indécelable pour un œil non averti. Alors que l’obligation de moyen à la charge des assujettis était jusque-là une obligation de moyen à travers la mise en place d’une structure de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, le présent décret introduit une obligation de moyen concernant l’efficience du dispositif dès lors que le client serait classé en vigilance renforcée.
En effet, ces derniers sont débiteurs à présent d’une obligation de moyen et doivent donc déployer les meilleurs efforts pour atteindre l’objectif visé qui est de déceler et déclarer une éventuelle anomalie. Il est constant que la responsabilité du débiteur d’une obligation de moyens ne peut être engagée du seul fait qu’il n’a pas atteint un résultat. Il appartient à la partie créancière de cette obligation de moyen de démontrer que le débiteur n’a pas été assez diligent dans sa tentative d’exécution de l’obligation. Il semblerait que les autorités aient trouvé là un moyen pour contourner le principe selon lequel défaut fautif de déclaration à TRACFIN n’est pas en droit français une infraction pénale. Mais aussi un moyen de contourner la jurisprudence de l’affaire dite du « Sentier 2 », qui avait posé qu’un simple manque de prudence ne saurait constituer l’élément intentionnel de l’infraction de blanchiment.
Par conséquent à défaut de pouvoir engager la responsabilité de l’assujetti sur le terrain l’absence de déclaration de soupçon ou sur une éventuelle complicité de blanchiment, les autorités pourront le faire en invoquant une faute de l’établissement financier ou en démontrant qu’il n’a pas utilisé tous les moyens à sa disposition pour atteindre le résultat espérer lorsque bien entendu le client aura fait l’objet d’un classement en vigilance renforcée. Mais cette notion de proportionnalité pourrait également avoir des conséquences sur la responsabilité de l’assujetti vis-à-vis de la victime de l’opération non détectée si le client auteur de l’opération était classé en vigilance renforcée. Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 30 janvier 2009, la chambre commerciale avait jugé que « l’obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application de l’article L. 563-3 du Code monétaire et financier n’a pour seule finalité que la détection de transactions portant sur des sommes en provenance du trafic des stupéfiants ou d’activités criminelles organisée (...) qu’il en résulte que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation résultant de ces textes pour réclamer des dommages et intérêts à l’établissement financier » (Cass. com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054). [1]
Avec l’introduction de cette nouvelle notion de proportionnalité ne remet-on pas en question cette exonération de l’établissement financier vis-à-vis de la victime de l’opération non détecter ? N’est-ce pas là une possibilité ouverte à la victime d’engager la responsabilité de la banque pour négligence ? Verrons-nous bientôt certains assujettis sanctionner pour manquement à cette obligation de moyen ou verrons-nous bientôt un déploiement excessif de moyens pour assurer le respect de ce principe de proportionnalité ?
Notes
[1] JurisClasseur Pénal des Affaires > V° Blanchiment ; Fasc. 10 : BLANCHIMENT. – Prévention du blanchiment