Plusieurs associations[1] avaient été alertées de la présence sur le réseau de différents tweets violemment antisémites regroupés sous le hashtag #unbonjuif puis #unbonjuifmort.
La présence de ces tweets sur la toile avait eu un retentissement médiatique très important en octobre 2012 et contribuait à montrer que nos réseaux sociaux sont l’objet récurrent d’un déferlement de propos violents et haineux.
Afin de poursuivre les auteurs des propos litigieux rendus inaccessibles en France, ces associations assignèrent par acte en date du 29 novembre et 20 décembre 2012 la société TWITTER FRANCE SAS et TWITTER INC en référé afin de se voir communiquer les données de nature à permettre leur identification à partir des adresse URL relevées, sur le fondement de l’article 6-II de la loi du 21 juin 2004 (LCEN[2]) et à titre subsidiaire des mesures d’instruction in futurum de l’article 145 du code de procédure civile.
Elles demandaient en second lieu la mise en place par la société TWITTER FRANCE et TWITTER INC d’un système de signalement des contenus manifestement illicites sur le fondement de l’article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et des articles 808 et/ou 809 alinéa 1er du code de procédure civile.
Par l’ordonnance de référé rendu le 24 janvier 2013[3], le Tribunal de grande instance de Paris fait droit à ces demandes.
Il écarte l’application de la LCEN et de la loi « informatique et liberté » de 1978, application sérieusement contestée par la société de droit Américain (I), en accueillant néanmoins les demandes des associations tant en ce qui concerne la communication des données de nature à permettre l’identification des auteurs de tweets (II), que sur la mise en place d’un dispositif de signalement des contenus manifestement illicites (III).
I- L’application de la LCEN et de la « loi informatique et liberté » à la société de droit américain ne relève pas de l’évidence.
Les sociétés TWITTER ont sérieusement contesté l’applicabilité de la LCEN en l’espèce en soutenant :
- d’une part, que la société TWITTER France avait uniquement vocation à jouer un rôle d’agence commerciale dans le cadre d’une mission de marketing et à ce titre ne conserve aucune données, le contraire n’étant pas rapporté par l’adversaire ;
- d’autre part, que la société TWITTER INC n’est pas soumise à une obligation de conservation des données en vertu de l’article 6-II de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et son décret d’application lequel dispose que « la conservation des données mentionnées à l’article 1er est soumise aux prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 […] ».
Elles soutenaient donc que la loi informatique et liberté de 1978 n’est est pas applicable à TWITTER INC puisqu’elle n’est pas le « responsable de traitement établi sur le territoire » et qu’elle ne recoure pas à « des moyens de traitement situés sur le territoire français » au sens de la loi précité[4].
Elles observent par ailleurs que les données d’identifications des utilisateurs sont exclusivement stockées aux Etats-Unis par TWITTER INC, qui n’emploie pas de « cookies » considérés comme moyens de traitement par le G29[5].
Enfin, elles arguent que rien ne permet conclure à une application impérative de la LCEN en tant que loi de police au sens de l’article 3 du Code civil.
Le président du tribunal en conclu que « les associations demanderesses ne démontrent pas que la société TWITTER INC est établie en France ou utilise pour la conservation des données litigieuses les moyens, matériels ou humains, de la société TWITTER France, ou de toute autre entité située sur le territoire français, autrement qu’à des fins de transit » pour en déduire que l’application de la LCEN et de son décret d’application ne relevait pas de l’évidence.
II- Tweeter condamné à la communication des données de nature à permettre l’identification des auteurs de tweets sur le fondement des mesures d’instructions in futurum.
Les demanderesses ont néanmoins ingénieusement fondé leur demande de communication sur l’article 145 du Code de procédure civile à titre subsidiaire, article selon lequel « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Choix d’autant plus judicieux que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ces mesures prescrites en référé ne sont pas soumises à l’urgence ou à l’absence de contestation sérieuse[6].
Riche d’enseignement, l’ordonnance rappelle que « dans un litige international, la mise en œuvre de telles mesures est soumise à la loi française », et suit en cela la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation[7] qui estime que cette mise en œuvre n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard de la loi susceptible d'être appliquée à l'action au fond, en l’occurrence la loi Californienne.
La loi applicable au fond du litige et qui conditionne la loi applicable à la procédure n’a donc pas pour effet de priver d’utilité l’article 145 du Code de procédure civile.
Est ensuite caractérisé le « motif légitime[8] » des demandeurs et ordonné la communication des données en la possession de TWITTER de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création des tweets manifestement illicites
L’ordonnance relève d’abord que les règles de TWITTER indiquaient aux utilisateurs internationaux qu’ils se soumettent aux lois locales, et que ceux « dont l’identification est recherchée sont justiciables de la loi pénale française conformément à l’article 113-2 du Code pénal, l’infraction étant réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
Ensuite, que n’est pas contesté « la compétence du juge des référés français ni l’illicéité des messages, dès lors qu’il a été immédiatement fait droit à la demande portant sur leur suppression », que « TWITTER INC reconnait détenir les données prévues par la loi californienne » et que ses conditions prévoient une possible coopération avec les organes judiciaires.
L’application de l’article 145 du Code de procédure civile dans le cadre d’un litige international est donc trés utile en ce qu’il permet d’ordonner à un justiciable la communication de données concernant l’identification d’auteurs d’infractions alors qu’il serait peu opportun pour celui qui les fournit, à savoir TWITTER, de contester le bien-fondé de cette injonction au fond dans la mesure où elles ne sont pas utilisées contre ce dernier.
Néanmoins, cela ne préjuge pas de la possibilité ou non pour les associations de pouvoir faire exécuter l’ordonnance dont il pourrait être demandé l’exequatur.
A ce titre, le Président du tribunal de grande instance de Paris rejette toute subordination de la mesure à une commission rogatoire ou à l’exequatur du jugement en France en ce qu’il ne lui appartient pas de préjuger une éventuelle inexécution du jugement par TWITTER et ordonne la communication des données d’identification sous astreinte de 1000€ par jour à compter de la signification du jugement.
Enfin, il rejetait l’action d’une des associations demanderesses pour défaut de qualité à agir et imprécision des messages poursuivis sous les hastags « simonfilsestgay » et « simafilleramèneunnoir ».
III- L’obligation faite à TWITTER d’améliorer le dispositif de signalement des contenus manifestement illicites déjà en place.
Quant à la demande tendant à voir un tel dispositif mis en place sur son site, TWITTER rétorque simplement que ce dispositif existe déjà.
Les demanderesses lui ont reproché de ne pas avoir mis en place de formulaire en français, ce jusqu’à la veille de l’audience, et d’avoir mis en place un formulaire trop complexe d’accès (via 4 liens) qui n’est pas directement présent par un onglet sur la page active.
Sans astreinte, le président ordonne donc la mise en place d’un système plus complet et plus simple « facilement accessible et visible » à la société californienne ayant déjà amorcé des initiatives en ce sens en dévoilant un dispositif en Français dans le cadre de l’instance.
Cette décision montre que la créativité juridique pallie à l’éventuelle inapplicabilité de l’article 6-II de la LCEN sur la conservation des données à TWITTER et TWITTER INC, cette dernière proposant pourtant des services de communication au public sur le territoire.
Compte tenu de l’astreinte prononcée à son encontre, la société TWITTER INC devrait prochainement se soumettre et procéder à la communication des adresses ip en question.
L’on ne peut qu’approuver cette décision au regard de la gravité des infractions à la loi de 1881 que les mesures ordonnées ont pour objet de poursuivre.
LBV
[1] L’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), l’Action Internationales Pour la Justice (AIPJ), le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), l’association SOS racisme-Touche pas à mon pote, et la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA).
[2] Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 janvier 2004.
[3] TGI Paris Ord. Réf. 24 janv.2013 n° RG :13/50262 et 13/50276.
[4] L’article 2 de la loi n°78-12 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers Et aux libertés dite « loi informatique et libertés » soumet son applicabilité de façon alternative à l’un de ces deux critères.
[5] Groupe de travail rassemblant les représentants de chaque autorité indépendante de protection des données nationales et qui réunit l’ensemble des CNIL européennes.
[6] Cass. ch. mixte, 7 mai 1982, no 79-11.814, Bull. civ. ch. mixte, no 2
[7] Cass. 1ère civ., 4 juill. 2007, n°04-15.367).
[8] La jurisprudence exige généralement que le « motif légitime » au sens de l’article 145 du CPC remplisse plusieurs conditions, le litige potentiel doit avoir un objet et fondement suffisamment caractérisés, la prétention ne doit pas être non manifestement vouée à l’échec, les fait doivent être pertinents et la preuve utile.