« Google suggest » ne lutte plus contre le courant…mais contre le torrent.

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« Google suggest » ne lutte plus contre le courant…mais contre le torrent.

Cass. Civ, 1ère 12 juillet 2012 ; n° 11-20.358 – Commentaire.

 

Le syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) qui représente en France les sociétés de l’industrie phonographique assignait en référé les sociétés Google Inc. et Google France devant le tribunal de grande instance de Paris, après avoir fait constaté par huissier que le moteur de recherche en suggérant des mots clefs tels que « torrent », « megaupload » et « rapidshare » aux cotés du nom de certains artistes, orientait les internautes recherchant de la musique en ligne vers ces sites de téléchargements aux contenus parfois illégaux.

 

La demande tendait donc à la suppression sous astreinte des termes litigieux du moteur de recherche sur le fondement de l’article L 336-2 du Code dela Propriété Intellectuelle, lequel dispose :

 

« En présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier »

 

Débouté de sa demande en 1ère instance, le SNEP faisait appel de la décision arguant de ce que les sociétés Google avaient acquiescé à ses demandes en mettant en œuvre un filtrage des mots-clefs, filtrage incomplet puisqu’il était encore possible de saisir les mots clefs litigieux dont le retrait était demandé à savoir « rapidshare », « megaupload » et « torrent ».A titre subsidiaire, il demandait à ce que ces termes ne puissent plus être associés au noms de certains artistes.

 

Au soutient de ses demandes, le SNEP faisait valoir que la fonctionnalité « Google Suggest », en procurant un raccourci vers des fichiers illicites était de ce chef répréhensible, et que la mesure sollicitée est proportionnée au but poursuivi et efficace pour combattre le piratage en ligne, le déréférencement des liens étant insuffisant.

 

En réponse, les sociétés Google affirmaient que l’article L 336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle ne peut pas trouver application en l’absence de preuve de l’atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, atteinte qui « n’est pas constituée par l’affichage de termes de recherche litigieux dans le cadre de la fonctionnalité semi-automatique », et que les sites et protocoles auxquels renvoient les termes litigieux ne sont pas illicites contrairement à l’usage qui peut en être fait par les internautes.

 

Les intimées répliquaient ensuite en affirmant que la suppression de ces termes n’est pas de nature à faire cesser l’atteinte qui serait portée aux droits d’auteur dès lors que celle-ci « reste possible sur les sites incriminés malgré l’éventuelle suppression de la fonctionnalité de saisie semi-automatique  et qu’une telle mesure n’est pas efficace ».Les autres arguments des intimées consistent à souligner la disproportion de la mesure puisque les sites auxquels renvoient les termes litigieux sont licites, et le fait que la fonctionnalité « Google Suggest » n’associe plus le nom des artistes au termes litigieux selon les demandes de déréférencement de l’appelante.

 

Débouté de ses demandes, le SNEP formait un pourvoi en cassation, demandant à la Haute juridiction de se prononcer une fois encore sur la fonctionnalité « Google Suggest ».

Ce service orientant les internautes vers des sites hébergeant en partie un contenu illicite pouvait-il se voir imposer toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin en ce qu’il contribuerait à y remédier au sens de l’article L 336-2 du Code dela Propriété Intellectuelle ?

 

La Cour de Cassation répond affirmativement, cassant l’arrêt de la Courd’appel de Paris au motif que « le service de communication au public en ligne des sociétés Google orientait systématiquement les internautes, par l’apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l’autorisation des artistes interprètes ou des producteurs de phonogrammes, de sorte que ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins » et d’autre part que « les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux ».

 

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

 

L’arrêt apporte des précisions utiles quant à l’application de l’article L336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (I) à la grande faveur des ayants droit, sans pour autant être exempt de critiques (II).

 

I- La précision du champ d’application de l’article L336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle.

 

L’application de cet article suppose que soit caractérisée l’atteinte portée par le moteur de recherche aux ayants droits (A) et sa capacité de contribuer à y remédier (B).

 

A- Une atteinte occasionnée par le service Google Suggest.

 

L’application de l’article L336-2 du Code de la Propriété Intellectuelle suppose l’ «atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».

 

En présence d’une atteinte certaine aux droits des demandeurs sur les sites de téléchargements suggérés par « Google Suggest », la Cour de cassation devait dire si cette atteinte était occasionnée par cette fonctionnalité.

 

Prenant le contrepied de la Cour d’appel, la haute juridiction considère que cette fonctionnalité « orientait systématiquement les internautes, par l’apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l’autorisation des artistes interprètes ou des producteurs de phonogrammes, de sorte que ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins».

 

Force est de constater que le fait répréhensible « d’offrir les moyens » d’une atteinte est aussi large que les termes « occasionner une atteinte », et semble pouvoir englober toutes les personnes qui permettent de près ou de loin cette atteinte.

 

D’autre part, l’expression « offrir les moyens » n’est pas sans rappeler la complicité par fourniture de moyens déjà retenue à l’encontre de fournisseur de lien hypertextes illicites, cependant une complicité suppose une intention et la connaissance de l’illicéité.

 

L’atteinte portée aux intimées n’est pas le fait direct des sociétés Google considérées avoir occasionné et fourni les moyens de cette atteinte. Cette conception large, critiquable et critiquée ci-après, s’explique à notre avis par le fait que la responsabilité des sociétés Google n’est ici pas en cause, mais seulement leur capacité de contribuer à remédier à l’atteinte portée aux ayants droits telle qu’interprétée par la Cour de cassation.

 

 

B - Les sociétés Google peuvent contribuer à remédier à l’atteinte portée aux ayants droits.

 

Les juges de la Haute juridiction devaient déterminer si ces sociétés pouvaient contribuer à remédier à l’atteinte portée au sens de l’article L332-6 du Code de la propriété intellectuelle.

 

Elle considère que les sociétés Google pouvaient contribuer à remédier à cette atteinte en dépit de l’argument pertinent des intimées selon lequel la suppression des termes litigieux du moteur de recherche n’empêcherait pas le téléchargement illégal sur les sites suggérés.

 

Selon la Cour de cassation, « les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux ».

 

La Cour estime donc que le fait de contribuer à remédier à l’atteinte, ne s’entend pas de la capacité de pouvoir faire cesser l’atteinte mais de pouvoir la réduire. Cette interprétation est liée au fait que l’article L332-6 parle de mesures propres à prévenir ou à faire cesser l’atteinte. Prévenir l’atteinte s’entend donc pour les juges de la Cour de cassation d’une prévention.

 

Cette interprétation large n’est, encore une fois, pas exempte de critique.

 

II - L’interprétation large et critiquable de la Cour de cassation est largement favorable aux ayants droits.

 

Si l’interprétation de l’article L332-6 du Code de la propreté intellectuelle est large et critiquable (A), elle permet aux ayants droit d’imposer aux moteurs de recherche les mesures propres à endiguer les atteintes qui leurs sont portées (B).

 

A- Une interprétation large et critiquable.

 

L’interprétation selon laquelle l’atteinte est occasionnée par le moteur de recherche parce qu’il en fourni les moyens ne semble pas acceptable dans la mesure où la fonctionnalité « Google Suggest » propose des suggestions qui sont basées algorithmiquement sur les choix des internautes, entre autre, les personnes désirant télécharger illégalement des œuvres sur internet.

 

Cette fonctionnalité est donc dévoyée à la base par des pirates potentiels utilisant le moteur de recherche Google à son insu. Il semble donc de pure opportunité de chercher à contraindre les sociétés Google, la contrainte visant les utilisateurs étant impossible à mettre en œuvre en pratique.

 

Il faut en outre se ranger de l’avis que, comme le rappelle un auteur, « occasionner » une atteinte signifiant alors « la rendre possible », peut-être serait il plus justifié de voir la fourniture des moyens de l’atteinte dans les sites de téléchargements que dans le service de Google[1].

 

D’autre part, l’interprétation selon laquelle ces sociétés peuvent prévenir où faire cesser l’atteinte portée aux ayants droits en contribuant à y remédier n’est pas satisfaisante car le fait de prévenir répondrait plus précisément à une atteinte non constituée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

De même, faire cesser l’atteinte comme contribuer à remédier à cette atteinte s’entend de premier abord d’une atteinte à laquelle il est possible de remédier, alors que l’arrêt relève qu’il n’y a pas lieu d’attendre une efficacité totale des mesures ordonnées, à raison dès lors que les sites litigieux ne sont pas inquiétés.

 

La Cour de cassation précise donc que le champ d’application de l’article L332-6 du Code de la Propriété Intellectuelle doit être compris dans son acception la plus large, à travers une motivation juridiquement peu satisfaisante et favorable aux ayants droit.

 

B- La nature de la contrainte imposée par les ayants droits.

 

L’article en question tel qu’interprété par la Cour de cassation permet de contraindre les moteurs de recherche à prendre toutes les mesures propres à faire cesser l’atteinte.

 

Les mesures sollicitées en l’espèce consistaient en la suppression pure et simple des termes litigieux Torrent, Megaupload et rapidshare de toutes les suggestions du moteur, et non plus simplement en association avec le nom de certains auteurs ce à quoi les sociétés Google avaient déféré.

 

La portée de cet arrêt médiatisé est donc tempérée par le fait que ces mesures ne sont a priori pas acceptables au regard du principe de proportionnalité rattaché à la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme.

 

Si la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la proportionnalité de telles mesures,  laissant le soin, aux juges du fond de se prononcer par renvoi. En effet, cette suppression systématique pourrait contrevenir à la jurisprudence communautaire qui impose des mesures ciblées et temporaires.  

 

Reste à savoir si le garde-fou de l’inconventionnalité de ces mesures sera appliqué par la Cour d’appel de Paris sur renvoi.

 

En tout état de cause, le SNEP et les ayants droit en général ont la possibilité à l’avenir de demander la suppression Google et les moteurs de recherche en général les termes litigieux accolés aux noms des artistes souffrant d’un référencement litigieux. Dans la pratique, Google s’érige de plus en plus comme l’ interlocuteur privilégié des ayants-droit.

 

Face à l’impossibilité de parer l’activité des sites de téléchargement illégal, le moteur de recherche semble, pour la jurisprudence, l’allié le plus opportun dans cette lutte. Nul doute que l’atteinte en soi persistera.

 

 

                                                                                       L.B.V

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Gazette du Palais, juillet 2012, p.9 Suggérer n’est pas contrefaire…mais c’est fournir les moyens de le faire Google Suggest et la contrefaçon selon la Cour de cassation, par Caroline LE GOFFIC.

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