La loi « EVIN » du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme possède une forte influence sur le droit des marques.
Elle restreint fortement la propagande et la publicité en faveur des boissons alcooliques selon ses modes et lieux de diffusion[1].
L’incidence particulière de cette loi sur l’enregistrement et l’utilisation d’une marque résulte de l’article L.3323-3 du Code de la Santé Publique selon lequel :
« Est considéré comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par (…) l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique ».
Cette disposition et les restrictions subséquentes de la loi EVIN s’appliqueront au titulaire d’une marque qui ne l’exploite pas pour des boissons alcooliques, au seul motif que cette marque prête à confusion avec une marque postérieure désignant de tels produits.
Il est donc d’un enjeu crucial pour le titulaire d’une marque de pouvoir s’opposer à l’enregistrement et à l’exploitation d’une marque postérieure au signe similaire désignant des boissons alcooliques (ou du tabac), en ce qu’elle est susceptible d’entraver l’exploitation normale de sa marque antérieure.
Conscient de cette entrave injustifiée, le législateur cantonne dès l’origine cette disposition aux produits mis sur le marché après le 1er Janvier 1990[2].
La jurisprudence lui emboite le pas, considérant que le titulaire de la marque antérieure qui n’œuvre pas dans le secteur des boissons alcooliques (ou du tabac) ne doit pas subir cette entrave, gommant ainsi les excès de la loi EVIN et protégeant le droit « absolu » de propriété industrielle du titulaire de la marque antérieure.
C’est d’abord à propos du tabac que la Cour de cassation prononça l'annulation pour abus de droit d'un dépôt de marque pour des produits du tabac à la demande du titulaire d'une marque identique déjà déposée, qui faisait valoir qu'il ne pouvait plus faire de la publicité pour sa marque ni commercialiser des produits sous cette dernière sans encourir des poursuites [3].
La Cour approuvait la Cour d’appel d’avoir retenu que « le dépôt par la société Philip Morris de la marque Vortex servant à la désignation du tabac privait de son efficacité la marque déjà déposée par la société Procter pour désigner des produits d'usage et de consommation courants et interdisait à celle-ci d'exercer utilement son droit de propriété industrielle ».
La solution reste aujourd’hui identique s’agissant des boissons alcooliques comme le rappelle l’arrêt de La Cour de cassation en date du 20 décembre 2012[4].
En l’espèce, la société Diptyque, titulaire d’une marque verbale française et d’une marque verbale communautaire Diptyque avait demandé à la société Hennessy commercialisant du cognac sous cette marque postérieure de procéder à son retrait et de retirer du marché les boissons alcooliques commercialisées sous cette marque identique.
Faute d’y avoir procédé, la société Hennessy est assignée par la société Diptyque sur le fondement de l’atteinte à sa marque de renommée en application de l’article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, atteinte à ses marques antérieures en application de l’article L.711-4 du même Code et de l’article L.3323-3 du Code de la Santé Publique, ainsi qu’en nullité de sa marque.
La Cour de cassation ne reconnaît pas la renommée des marques antérieures invoquées, en revanche elle approuve la Cour d’appel d’avoir prononcé la nullité de la marque déposée par la société Hennessy et l’interdiction qui lui est faite de commercialiser des produits alcooliques sous la dénomination Diptyque en déduisant que « le dépôt de la marque « Diptyque » par la société Hennessy et la commercialisation de produits sous celle-ci créaient une entrave à la libre utilisation de la marque première ».
Le titulaire d’une marque doit donc rester attentif au dépôt de marques postérieures y prêtant à confusion y compris dans un domaine de spécialité différent, celui des boissons alcooliques, et ne pas hésiter à opposer à leur titulaires les dispositions de la loi EVIN susvisées afin d’en obtenir le retrait ou l’annulation en justice.
[1] Article L.3323-2 du Code de la Santé Publique.
[2] Article L.3323-3 al. 2 du Code de la Santé publique.
[3] Cass. com., 23 mars 1993, no 90-21.732, Bull. Crim. no 118 .
[4] Cass. Com., 20 novembre 2012, n°12-11753, Sté Jas Hennessy & Co c/ SAS Diptyque