Le débat au sujet de l’instauration d’un numérus clausus à l’entrée des écoles de formation des avocats ressurgissait publiquement le 13 Août 2012 par une déclaration du bâtonnier lors d’une interview donnée au Figaro :
« Si nous ne faisons rien, dans cinq ans, 10 000 nouveaux avocats seront présents en plus des 24.000 professionnels parisiens. Je ne suis pas favorable au numerus clausus, mais on ne peut pas rester les bras croisés. Plusieurs pistes peuvent être explorées. Comme celle d'un examen national plus sélectif. Ou la création d'une grande profession du droit. Mais cela ne suffira pas. En attendant, il faut prendre des mesures provisoires limitant l'arrivée de nouveaux avocats sur le marché pendant quelques années ».
Dans sa lettre aux élèves-avocats en date du 10 septembre 2012, le bâtonnier Christiane Féral-Schuhl réitérait son propos:
«J’ai indiqué dans cette interview ne pas être favorable au numerus clausus. Aussi doit-on réfléchir aux mesures efficaces à prendre dans l’intérêt de tous : ceux qui sont avocats, ceux qui vont le devenir et ceux qui souhaiteraient dans les prochaines années entrer dans notre profession, pour que ce métier apporte à chacun l’épanouissement auquel il peut prétendre ».
La concertation est rendue nécessaire par le constat que « de 2000 à 2010, la population d’avocats a augmenté de près de 45%. Pour Paris, ce pourcentage est de 51%, mais on note une géographie et une croissance de population très inégale ».[1]
Il s’agit certainement du reflet d’une paupérisation actuelle des jeunes avocats. L’arrivée de nombreux avocats sur le marché rendra plus difficile leur assimilation et conduit souvent à une rémunération basse des jeunes collaborateurs.
Dans ce contexte difficile, les élèves-avocats ont peur que les cabinets de catégorie institutionnelle profitent de leur désarroi, de même qu’ils redoutent une régression de leur statut liée à une concurrence de plus en plus grande.
Afin de permettre à chacun de « s’épanouir » dans le métier d’avocat, la réflexion doit effectivement être menée, mais l’instauration d’un numerus clausus s’agissant de l’accès à la profession d’avocat, ne semble pas envisageable (1).
Ensuite, il doit être entendu que les propositions formulées par le CNB visant à réformer l’examen du « barreau »(2) procède d’un débat court et incomplet qui aurait du comprendre une vision plus large que celle des représentants de barreaux français, à savoir les personnes concernées que sont les universitaires, doctorants, jeunes-avocats, et pourquoi pas les élèves-avocats ayant une vision plus fraîche de l’examen actuel et de ses incohérences.
1- Le numerus clausus est à juste titre écarté des propositions de réforme.
Le numerus clausus porte naturellement en lui-même l’idée d’exclusion. Cette idée est incompatible avec le caractère ouvert de la profession d’avocat puisqu’elle est un ascenseur social indépendant d’un certain corporatisme de la profession et doit le rester. Un défenseur des libertés se doit de défendre cette ouverture et la liberté du choix de l’exercice professionnel, sous réserve d’une aptitude à cet exercice.
Il est en outre inutile d’établir un numerus clausus officiel quand il existe un numerus clausus officieux. Force est de constater que les écoles ont des places limitées, et nous nous permettons de renvoyer à un précédent article qui évoque la sélection déjà « drastique et cruelle » des futurs élèves-avocats[2].
Certains avocats évoquent aussi que le renforcement du monopole des avocats serait de nature à entraîner une augmentation des honoraires.
Nous voulons réagir avec force face aux idées selon lesquelles il faudrait laisser soin aux « grands» avocats de se parer de ce ministère comme l’évoque dans son article l’ancien magistrat Philippe Bilgier[3] en faveur d’ « un culte bienfaisant de l’élitisme », même s’il semble s’adresser aux futurs pénalistes.
Certain ont déjà commenté que séparer « le bon grain de l’ivraie » entre avocats ne peut se faire avant même que ces avocats n’aient commencé à exercer[4].
A ce titre et en 1963, Maurice Garçon écrivait déjà « Lorsqu’il sort de l’école de Droit, même s’il a fait de bonnes études, et qu’il prête serment, l’avocat ne sait pas grand-chose. Il peut connaître les principes juridiques, mais il lui manque l’expérience qui lui fera simplifier les problèmes et trouver des solutions de bon sens en dehors de la théorie. Sans doute, il aura pu faire un stage chez un avoué où il aura appris à connaître la procédure, sans doute aussi il aura passé une année à acquérir un certificat d’aptitude professionnelle, mais il n’aura pas acquis le secret de démêler dans l’exposé confus d’un client, parfois verbeux, la vraie question de fait et de droit qui se pose. Il hésitera à prendre, sur-le-champ, une décision qui peut être urgente et qui engagera tout l’avenir d’un procès[5] ».
Enfin nous affectionnons tout particulièrement la formule large de Me Woog, «(…) j’ai retenu qu’avant d’être il fallait devenir. Et que pour devenir, il faut inlassablement résister, résister pour franchir les obstacles, résister pour conquérir sa part de liberté, résister pour assumer son devenir. Et ainsi parvenir à jeter aux orties toutes les justifications que rien ne justifie pour, enfin, pleinement être[6] ».
Le passage du barreau n’assure pas ce devenir.
Le culte de l’élitisme n’est pas bienfaisant s’il ne permet au plus grand nombre d’accéder au statut d’avocat et de se confronter à une sélection naturelle beaucoup plus longue et juste, celle qu’aucun examen, concours ou diplôme ne permet d’établir, à l’inverse des futurs confrères et clients.
Les réflexions du Conseil National des Barreaux ont conduit à proposer une réforme de l’examen d’entrée aux écoles d’avocats qui ne passe pas par l’établissement d’un numerus clausus officiel.
Cette proposition de réforme veut établir un examen national plus sélectif. Aura t-elle les effets d’un numérus clausus officieux encore plus opaque et rigide ou vise t-elle d’abord à adapter les compétences des futurs avocats au marché actuel ?
2 Les propositions de réforme.
La proposition de réforme de l’accès aux écoles d’avocats adoptée par le Conseil National des Barreaux lors de l’AG de la commission de la formation professionnelle des 15 et 16 juin 2012 est transmise à la Chancellerie et veut une publication des textes règlementaires pour une entrée en vigueur au plus tard au dernier trimestre 2013.
Rappelons que l’examen d’accès doit permettre de déceler chez le candidat « un savoir-faire, de la méthodologie, une capacité d’analyse, de synthèse, d’identification et de compréhension d’un problème juridique[7] ».
La proposition comprend à cet effet :
-la suppression de la dispense bénéficiant aux docteurs en droit ;
-la mise en place de sujets d’écrits identiques au niveau national ;
-l’établissement d’une commission nationale d’examen chargée d’établir les sujets et grilles de correction ;
-la justification par l’étudiant d’avoir suivit au moins trois des matières fondamentales nécessaires à l’exercice de la profession d’avocat.
Cette proposition propose ensuite une modification du contenu de l’examen par une épreuve d’admissibilité comprenant :
-La note de synthèse ;
-Le choix d’un cas pratique soit en droit des obligations, droit des affaires, ou droit public, mais pas en droit pénal ;
-Une nouvelle épreuve pratique de procédure ;
-un oral de langue ;
Et s’agissant de l’admission, un (seul) grand oral assortit d’une note éliminatoire comprise entre 5 et 7.
D’abord, il convient de douter de la pertinence des ces différentes propositions du simple chef que la concertation nationale, bien que prolifique, fût lancée par la résolution du CNB en date des 16 et 17 décembre 2011, pour retour et réponse le 27 février 2012.
Cette courte concertation qui n’implique pas les universitaires (pourtant toujours en charge de l’examen), encore moins les élèves-avocats ou les jeunes avocats contient de surcroît des réflexions très disparates selon les barreaux.
Ces propositions de réforme évincent un numérus clausus officiel et veulent apparemment un examen plus difficile, mieux à même de réguler les flux tout en dissolvant le caractère aléatoire et inégalitaire de l’examen actuel en voulant le rendre national.
Mais cette égalité entre les étudiants renforcée par un examen écrit identique n’est elle pas faussée si il est permis aux étudiants en droit des affaires, ou droit public de choisir ces matières en cas pratique ? Un élève spécialisé en propriété Intellectuelle n’aurait-il pas lui aussi droit à un exercice pratique dans sa matière de prédilection ? Ce au motif que le marché assimile mieux les publicistes et affairistes ?
Ensuite, l’instauration d’une épreuve de procédure pratique a sa place lors du CAPA, certainement pas lors d’une épreuve d’admissibilité aux EDA. Il s’agit effectivement de demander à des élèves des mettre en œuvre des connaissances pratiques qu’ils n’ont pas acquis dans le cadre universitaire. Il faut y voir un appel de nouveaux Master 2 « Avocats », ou une manne financière supplémentaire pour les prépas privées déjà devenues (malheureusement et à tort) quasi-incontournables.
Ensuite et s’agissant de l’épreuve de langue, le rapport final sur les propositions de réforme de l’accès aux écoles d’avocats en date du 14 juin 2012 proposait sa suppression pure et simple car trop inégalitaire. Pourtant la résolution du CNB datée des 15 et 16 juin érige cette épreuve en 4ème épreuve d’admissibilité.
Il reste difficile de mesurer l’impact d’un tel examen sur le numerus clausus officieux que connaissent déjà nos écoles. La difficulté pourrait résulter d’une part des grilles de correction à destination de chaque examinateur, crées pour chaque épreuve d’admissibilité. Elle résulte surtout et d’autre part d’une épreuve d’admission constituée uniquement d’un grand oral, amené à peser d’avantage dans la sélection. Pourtant de nombreux barreaux estiment que celui-ci ne permet pas de garantir l’objectif qui a été visé et qui consiste à cerner au mieux les aptitudes à l’exercice de la profession. De même, une sélection par l’oral paraît pour beaucoup dépassée. D’autre estiment pourtant encore qu’il permet de valoriser les véritables aptitudes de la profession.
Faire reposer l’admission sur une seule épreuve de grand oral ne nous semble pas raisonnable. Ces 15 minutes sont trop courtes et trop intenses pour pouvoir déterminer les aptitudes acquises pendant des études parfois très longues. De plus et pour reprendre l’avis du Barreau de Boulogne sur Mer « Il ne faut pas oublier qu’un examen repose sur une part de chance et qu’un jury peut, comme il le souhaite « coincer » un candidat et lui faire avoir une note catastrophique, même si le candidat est bon[8] ».
Enfin, la levée de bouclier des doctorants est compréhensible, la suppression de leur exemption remet en cause le plus haut grade universitaire, alors que le décret « passerelle » n’est toujours pas en voie d’abrogation. De même que les doctorants infiltrent la profession par de biais de « niches » juridiques ou ils sont recherchés pour leurs spécialités, et qu’ils sont une minorité à le faire. Ces arguments sont entre autres portés par le collectif pour une valorisation professionnelle du doctorat en droit dont les propos indignés ont étés relayés récemment[9].
Pour toutes ces raisons, nous espérons que face à des propositions établies dans l’urgence, la Chancellerie prendra le temps de la concertation. Il appartient désormais aux différents acteurs intéressés de prendre part a ce débat important.
[1]Selon le rapport d’étape relatif aux propositions de réforme de l’accès aux écoles d’avocats.
[5] L’avocat et la morale, Maurice Garçon, Ed. Buchet/Chastel, 1963, p.32.
[6] Jean-Claude Woog, Stéphane Woog, Devenir avocat, Litec 3ème ed..
[7] Rapport d’étape relatif aux propositions de réforme de l’accès aux écoles d’avocats- Rapport LECA
[8] Retour de la concertation de la profession sur le rapport d’étape relatif a la proposition de reforme de l’accès aux écoles d’avocats.
[9] Gazette du Palais professionnelle, dimanche 7 au dimanche 9 Octobre 2012, La « passerelle » entre le doctorat et le CRFPA n’est pas un « passe-droit », p11.