Les plaideurs obtenant gain de cause doivent se satisfaire de leur victoire en justice et veiller à ne pas publier de façon malveillante les jugements qui leur ont donné raison pour nuire à la réputation de leur adversaire.
La diffamation est constituée par « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé[1] ».
La Cour d’appel de Versailles a pris soin de rappeler la jurisprudence de la Chambre criminelle selon laquelle la diffamation qui résulte de la publication d’un jugement ne va pas de soi.
En effet, un prévenu peut toujours rapporter la preuve que les faits argués de diffamation sont vrais pour échapper sa responsabilité pénale, or la publication d’un jugement est une vérité judiciaire qui, intrinsèquement, ne peut être considérée comme diffamatoire[2].
De surcroît tout jugement n’est pas susceptible de porter atteinte à la considération d’une personne, en revanche et comme l’ont rappelés les juges, une condamnation pénale est en soi infamante et de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération du condamné.
Sur internet, tout individu peut être diffamé par un jugement selon le contexte dans lequel s’effectue sa publication car classiquement "les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais interprétés les uns par rapport aux autres" et parce que la diffamation peut être constituée même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative par voie d'insinuation.
Reprenant ces critères jurisprudentiels et la jurisprudence de la chambre criminelle, cet arrêt illustre le caractère diffamatoire de la publication d’un jugement selon le contexte malveillant dans lequel il est publié, contexte lui donnant une publicité particulière et supplémentaire de nature à insinuer qu’une personne est un délinquant.
En l’espèce, le litige opposait un avocat spécialisé dans le droit routier s’estimant diffamé par l’ancien patron de la société pour laquelle il travaillait et ayant la même spécialisation. Ce dirigeant avait publié le jugement concernant des violences exercées par l’avocat sur une consœur sur la première page d’un site internet, permettant par ailleurs l’accès à la décision via un lien hypertexte.
Les juges ont relevés en premier lieu que « la publicité faite à la condamnation pénale de Me D. sur internet, accompagnée d’une reproduction du panneau routier signifiant "attention danger", constitue une allégation d’autant plus manifestement malveillante qu’elle est destinée à des internautes susceptibles de recourir aux services de cet avocat ; qu’en outre il s’agit d’une décision de dispense de peine, concernant des faits étrangers au contentieux routier, dont la publication ne comporte pas en soi d’intérêt, contrairement à ce que soutient le prévenu, si ce n’est de nuire à la réputation de Me D ».
Ils en ont conclus que « dans un contexte concurrentiel, sur fond de séparation entre deux anciens associés, la publication de cette condamnation pénale a été faite avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire car elle insinue que Me D., condamné pour violences, peut être considéré comme un délinquant ».
Une publication dépassant celle de la publication légale est une publicité supplémentaire et particulière qui sera sanctionnée sur le terrain de la diffamation dès lors que l’intention malveillante du responsable de la publication pourra être caractérisée.
Enfin, il y a lieu de rappeler que l’anonymisation des jugements est un préalable nécessaire afin de ne porter atteinte à la vie privée des parties et de respecter leur droit à l’oubli numérique et leurs données à caractère personnel, tels que protégés par la Commission Nationale de Informatique et des Libertés.