La qualification du site d’enchères en ligne E-Bay, hébergeur et éditeur ?
CA Paris, 4 avril 2012, n° 10/00878
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 4 avril 2012, retient que la société E-Bay peut bénéficier du statut d’hébergeur et du régime de responsabilité dérogatoire prévu par la LCEN.
Le Groupement des Brocanteurs de Saleya dit GBS et le Collectif des Brocanteurs et Antiquaires (CBA), reprochaient aux sociétés E-Bay France et E-Bay International AG de fournir aux particuliers les moyens d’une concurrence déloyale et d’agir en faux professionnel de la vente d’objets mobiliers.
Le CBS et le CBA furent déboutés de leurs demandes en première instance[1]. Ils recherchaient la responsabilité de droit commun des sociétés E-Bay qui encourageraient (en particulier par un système de “pseudos” et une assistance dans l’organisation des ventes) des pratiques illicites (travail dissimulé et concurrence déloyale), qu’elles seraient en mesure de reconnaître (à raison notamment de la fréquence des mises en vente, de la nature des articles proposés, du nombre des évaluations, du chiffre d’affaires réalisé, de la valeur des invendus et du statut déclaré par le vendeur).
La Cour d’appel de Paris par cet arrêt, déboutait les appelants de leurs demande au motif qu’ en réalité « aucun élément ne démontre que les intimées auraient un rôle actif de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des annonces stockées mises en ligne par les vendeurs, étant observé que le fait de fixer les modalités de son service et de vouloir vérifier la situation d’un vendeur professionnel en lui demandant de fournir des éléments sur ce point ne saurait relever d’un acte d’édition, mais participe du souci légitime d’un service technique d’assurer une mise en relation plus sécurisée de ses utilisateurs ».
La Cour d’appel de Paris fait donc fi de sa jurisprudence antérieure (I) et semble participer à une application distributive du statut d’hébergeur ou d’éditeur (II).
I- L’application antérieure du statut d’hébergeur à E-Bay.
Contrairement au présent arrêt, la Cour d’appel de Paris avait scrupuleusement appliqué la jurisprudence de la CJUE (A) afin de retenir la qualité d’éditeur des sociétés E-Bay (B).
A- L’application de la jurisprudence de la CJUE.
Ainsi et selon la CJUE, l’hébergeur a une activité qui revêt « un caractère purement technique, automatique et passif » impliquant que ledit prestataire « n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ».
Ce critère dégagé par la CJUE est aussi appelé critère de neutralité.
La Cour ajoutait que (contrairement à la responsabilité de l’éditeur qui est celle du droit commun) la responsabilité de l’hébergeur pouvait être alors engagée, « si ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou de l'activité de l'annonceur, elle n'aurait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles ces données ».
La Cour rappelait le régime transposé par la LCEN en France, qui prévoit une procédure de notification en son article 6-I-5. (Dès cette notification, une présomption de connaissance du caractère illicite du contenu pèse sur le fournisseur d’hébergement, qui en toute hypothèse devra retirer le contenu litigieux promptement sous peine de voir sa responsabilité engagée).
La Cour, par un arrêt du 12 juillet 2011[3] « L’oréal c/ Ebay » a ensuite précisé les conditions dans lesquelles la responsabilité de droit commun d’Ebay pouvait être retenue en tant qu’éditeur.
Elle considère que lorsqu' il « prête une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci (...), il joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres ».Il ne peut alors être considéré comme hébergeur et ne peut pas se prévaloir de l'exonération de responsabilité de l’hébergeur prévue sous conditions par l’article 15 § 1 de la directive « commerce électronique » du 8 juin 2000.
En application de la jurisprudence de la CJUE, la Cour d’appel de Paris déniait ainsi sa qualité d’hébergeur, contrairement à l’arrêt rendu le 4 avril 2012.
B- La Cour d’appel de Paris déniait à E-Bay la qualité d’hébergeur.
L’arrêt qui fait l’objet du présent commentaire fut rendu la 12ème chambre du pole 5 de la Cour d’appel de Paris, qui quelques mois auparavant décidait que le statut d’hébergeur ne pouvait bénéficier à E-Bay. Les magistrats qui rendirent cette décision étaient cependant différents.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 23 janvier 2012[4] « E-Bay International / Burberry Ltd et autres », refusait donc le bénéfice de la qualité d’hébergeur à E-Bay.
Elle considérait « que le site “eBay” n’occupe pas une position neutre entre le client vendeur et les acheteurs potentiels, mais joue un rôle actif, en leur proposant de profiter d’un “gestionnaire de ventes”, “d’assistants vendeurs” ou de créer une “boutique” en ligne ou même de devenir “powerSellers(…)
-qu’il est patent, que l’hébergement des annonces n’est que le support de l’activité principale d’ “eBay”, à savoir l’intermédiation entre vendeurs et acheteurs pour laquelle elle a mis en place des outils destinés à promouvoir les ventes et à les orienter pour optimiser les chances qu’elles aboutissent à des transactions effectives sur le montant desquelles elle percevra une commission ;
-qu’il en résulte que la société eBay, qui tire profit non pas uniquement du stockage des données mais également de la valeur attractive des marchandises mises aux enchères, perd son caractère de neutralité par rapport aux données qu’elle ne se contente pas d’héberger mais qu’elle exploite ;
Considérant en conséquence que la société “eBay international AG” ne peut prétendre au statut d’hébergeur tel que défini dans la LCEN et à son statut dérogatoire ».
La Cour avait qualifié E-Bay d’éditeur en retenant comme l’y invitait la CJUE que les sociétés E-Bay participent à la promotion des ventes et à leur orientation.
Pourtant, la Cour d’appel par l’arrêt rendu le 4 avril 2012 décide d’appliquer à E-Bay le statut favorable et dérogatoire d’hébergeur.
En lui appliquant ce statut favorable, elle relève que les appelants n’avaient en tout état de cause pas notifié dans les formes légales prévues par la LCEN, les données prétendument illicites présentes sur le site. De facto, la responsabilité d’E-Bay fut écartée.
II- Vers une application distributive de la qualité d’hébergeur à E-Bay ?
La Cour d’appel à considéré dans cette affaire que le site de vente aux enchères était neutre, et semble s’orienter vers une qualification distributive de la qualité d’hébergeur et d’éditeur.
A- L’application par la Cour d’appel du critère de neutralité conduit à la qualification d’hébergeur.
Les appelants faisaient état des choix éditoriaux fait par le site pour promouvoir les offres de vente, de la même manière que dans l’arrêt du 23 janvier 2012 précité qui avait en conséquence retenu la qualité d’hébergeur d’E-Bay.
La Cour retient pourtant en sens contraire que les « prestations d’optimisation de présentation des annonces si elles concourent à la promotion des offres de vente en facilitant la lisibilité des annonces, n’en demeurent pas moins automatisées et sans incidence sur leur contenu, mais s’avèrent justifiées par la nécessité, en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l’organisation du service et d’en faciliter l’accès aux utilisateurs sans pour autant leur commander un quelconque choix en particulier quant au contenu qu’ils entendent mettre en ligne ».
L’argumentaire de la Cour d’appel se démarque donc des considérations de la CJUE[5] pour qui le site E-Bay, lorsqu' il « prête une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci (...), joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres ».
Pour la Cour d’appel de Paris, E-Bay ne peux être qualifié d’éditeur, pour avoir simplement assuré une mise en place plus sécurisée des relations acheteurs/vendeurs, et avoir voulu vérifier la qualité effective du vendeur professionnel.
Elle retient ainsi « qu’en réalité aucun élément ne démontre que les intimées auraient un rôle actif de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des annonces stockées mises en ligne par les vendeurs, étant observé que le fait de fixer les modalités de son service et de vouloir vérifier la situation d’un vendeur professionnel en lui demandant de fournir des éléments sur ce point ne saurait relever d’un acte d’édition, mais participe du souci légitime d’un service technique d’assurer une mise en relation plus sécurisée de ses utilisateurs ».
La Cour d’appel considère ainsi que les sociétés E-Bay n’ont pas la connaissance ni le contrôle des données stockées.
E-Bay a bien connaissance des informations qui lui sont transmises sur les vendeurs présents sur son site français. Selon la Cour d’appel cela ne peut pas caractériser sa qualité d’éditeur car le critère de connaissance doit s’entendre d’une connaissance humaine et non automatique au sens de l’arrêt du 4 avril 2012, et selon une jurisprudence établie de la Cour[6].
E-Bay possède bien un contrôle des informations sur ses vendeurs puisqu’elle s’en sert pour optimiser ses ventes. Pourtant la Cour considère que cette optimisation est sans incidence sur le contenu des annonces.
B-Une qualification appréciée in concreto, selon le service du site en cause.
La présente affaire mettait en cause le processus d’identification des vendeurs sur le site E-Bay et l’absence de contrôle suffisant de la véracité des informations sur les vendeurs par les sociétés E-Bay.
Contrairement à la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel de Paris, cet arrêt se focalise particulièrement sur la connaissance et le contrôle des données sur les vendeurs par la société E-Bay sans prendre en considération l’ensemble des services proposés par E-Bay, elle retient ainsi que « le fait de fixer les modalités de son service et de vouloir vérifier la situation d’un vendeur professionnel en lui demandant de fournir des éléments sur ce point ne saurait relever d’un acte d’édition » comme motif déterminant pour rejeter la qualité d’éditeur d’E-Bay.
Si cet arrêt ne constitue pas un revirement, il semble révéler que la Cour d’appel se livre à une appréciation in concreto des actes litigieux pour déterminer le régime de responsabilité du site. La Cour permet donc une application distributive du régime d’hébergeur selon le service qui est en cause.
Se pose maintenant le problème d’une éventuelle cassation (a priori évitée puisque en droit, la décision est bien motivée), celui de la contrariété apparente avec la jurisprudence de la CJUE, mais surtout, celui d’un éventuel problème de divergence entre les différentes formations qui siègent à la Cour d’appel.
L.B.V
[1] Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 11 décembre 2009
[2] CJUE, 23 mars 2010, affaires jointes, Google France SARL, Google Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, Google France SARL c/ Viaticum SA, Luteciel SARL, Google France SARL c/Centre national de recherche en relations humaines.
[3] CJUE, 12 juill. 2011, Gd . Ch., aff. C-324/09,RLDI 2011/74, no 2444.
[4] Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 12 Arrêt du 23 janvier 2012
[5] CJUE, 12 juill. 2011, Gd . Ch., aff. C-324/09,RLDI 2011/74, no 2444.
[6] CA Paris, 19 nov. 2010, n° 08/00620