Instauré par la loi du 30 décembre 2005, l’abattement pour durée de détention applicable aux cessions de valeurs mobilières avait été unanimement salué.
Le dispositif, codifié à l’article 150-0-D bis du Code Général des Impôts, prévoyait qu’à l’expiration d’un délai de détention de 5 ans révolus, chaque année de détention supplémentaire procurerait une exonération d’un tiers de la plus-value au cas de revente. Au terme de 8 années de détention, les contribuables pouvaient donc céder leurs titres (européens) en totale franchise d’imposition sur la plus-value.
Le point de départ du délai de détention était fixé, au plus tôt, au 1er janvier 2006, de sorte que le dispositif ne devait commencer à jouer, pour l’abattement d’un premier tiers de la plus-value, que pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2012.
S’appuyant sur ce mécanisme profondément ancré dans le temps, nombre de spécialistes s’étaient alors employés à l’inclure dans leurs stratégies patrimoniales, pour aider leurs clients à se défaire progressivement de leurs titres pour générer des revenus complémentaires pour leur retraite, aider leurs enfants à devenir propriétaires, etc.
Quel ne fut pas alors leur déplaisir de constater qu’au détour de la Loi de Finances pour 2012, l’article 150-O-D-bis du CGI avait été totalement refondu.
Le nouveau dispositif, corrigé par la Loi de finances pour 2012, prévoit un report d’imposition, éventuellement muable en une exonération totale, soumis à de très (trop) nombreuses conditions, tant sur la forme que sur le fond.
I) Les conditions pour bénéficier du report d’imposition
Les conditions de forme sont des rajouts par rapport à l’ancienne version de l’article : le bénéfice du dispositif n’est plus automatique, le contribuable doit formuler une demande écrite et adresser au fisc une déclaration spécifique.
Les conditions de fond, si elles existaient déjà dans la précédente version, ont été considérablement alourdies. Le législateur de 2011 en a dressé trois séries. Elles tiennent aux caractères de la détention, à la société dont les titres sont cédés, ainsi qu’au remploi du produit de la cession.
1) Les conditions tenant aux caractères de la détention.
Comme dans la précédente mouture, l’article réclame une détention continue pendant 8 ans. L’alinéa 1 bis du paragraphe II introduit toutefois une nouveauté de taille : les titres doivent représenter 10% des droits de vote ou des droits aux bénéfices de la société dont les titres (ou parts) sont cédés.
Le groupe familial (mandataire du cédant, allié, ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés) doit ainsi détenir, soit en pleine propriété, soit en nue-propriété (droit de vote), soit en usufruit (droit aux bénéfices sociaux) 10% du capital social de l’entreprise objet de la cession.
Derrière cet alinéa de quatre lignes, comme enfoui sous son « bis », se trouve la plus redoutable des conditions de fond, celle qui évince tous les petits porteurs de parts autrefois concernés par le dispositif d’abattement.
2) Les conditions tenant à la société dont les titres/parts sont cédés
Pas de changement majeur n’est à noter : comme dans la précédente version, la société doit être assujettie à l’impôt sur les sociétés, ou du moins, pouvoir l’être, sur option. Ainsi, une SCI ou une SARL de famille, par hypothèse à l’impôt sur le revenu, pourrait bénéficier du dispositif.
En revanche, si la société peut avoir toute sorte d’activité, elle ne peut être consacrée à la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ni avoir pour objet de prendre des participations dans ce titre de société. En clair, le dispositif favorise les sociétés véritablement créatrices de valeur.
Enfin, très classiquement, la société doit avoir son siège dans la Communauté européenne ou dans un pays de l’Espace Economique Européen ayant signé une convention spécifique avec la France.
3) Les conditions tenant au remploi du produit de la cession
La troisième série de conditions nous permet de rentrer réellement dans le cœur du dispositif fiscal.
a) Un double seuil : 80% de la plus-value et 5% minimum du capital de la société bénéficiaire
Le report d’imposition de la plus-value est en effet autorisé à la double condition que le contribuable utilise une partie importante des fonds que la cession aura libérés au capital d’une société, soit lors de sa création (souscription en numéraire), soit ultérieurement par augmentation de capital, et que son apport au capital de ladite société représente au moins 5% de celui-ci.
La fraction du produit de la cession devant être remployée est fixée à 80% de la plus-value dégagée lors de la cession des titres.
b) Condition temporelle : le remploi doit intervenir dans le délai de 36 mois à compter de la cession des titres.
c) La société bénéficiaire de l’apport doit présenter les mêmes caractéristiques que celle dont les titres et parts ont été cédés. (nature de l’activité, fiscalité, domiciliation)
d) Le remploi doit porter sur des titres en pleine propriété et entièrement libéré.
Il n’est par conséquent pas question, par une subrogation réelle conventionnelle, de reporter sur les nouveaux titres un démembrement préexistant sur les titres cédés.
e) L’absence de liens préexistants entre la société bénéficiaire de l’apport et le cercle familial
Les alinéas e) et f) du paragraphe II énumèrent les interdictions : les membres du cercle familial, cédant y compris, ne doivent pas avoir été ou devenir dans les 5 ans de l’apport associé ou dirigeant de la société bénéficiaire de l’apport. Ils ne doivent pas non plus avoir bénéficié d’un remboursement de leur apport à cette même société dans les 12 mois précédant le remploi.
II) Les conditions pour muer le report en une exonération totale de la plus-value
Pour pouvoir transformer le report d’imposition en exonération pure et simple, une dernière condition est exigée. Il s’agit d’une prorogation du délai de détention : il faut ainsi conserver les titres ou parts pendant les cinq années postérieures au remploi pour pouvoir céder ses titres, cette fois en franchise totale d’imposition sur la plus-value (hors prélèvements sociaux bien entendu).
Belle façon de récompenser l’opiniâtreté de la poignée de contribuables qui parviendront à satisfaire aux conditions posées par l’article.
Cette condition n’est pas sans rappeler la condition de durée de détention fixée par le Pacte Dutreil, qui exige également une détention quinquennale des parts ou actions par les bénéficiaires du pacte.
Le principe connaît toutefois une série d’exceptions limitativement énumérées, pour permettre à l’actionnaire/associé ou à ses héritiers de céder les titres en cas de coups durs (licenciement, invalidité, décès, etc). Ces cas s’inspirent des exceptions prévues pour le déblocage anticipé du PERCO.
III) Une réforme décevante
Si la réforme de 150 0 D bis est censée s’inscrire dans le cadre de la lutte contre les niches fiscales, elle nous semble, d’une part, mal fondée, et, d’autre part, mal réalisée.
Au niveau des motivations qui ont conduit à la réforme de ce dispositif, si l’objectif de suppression des réductions d’impôt peut se défendre, on comprend mal pourquoi ce dernier en fait les frais : en effet, le dispositif n’a, à ce jour, jamais été appliqué. Comment l’accuser, dès lors, d’avoir participé au creusement du déficit public ? Que le législateur sonne la fin de la récréation pour le dispositif Scellier, en bravant le risque retombées négatives pour le secteur de la construction et de l’immobilier, pourquoi pas, puisque le dispositif a eu le temps de générer ses effets, mais en l’espèce ?
L’abrogation précède ici l’application, pratique emblématique d’une bien triste tendance. Le législateur moderne laisse plus les textes instiller leurs effets dans le temps.
Au niveau de la réalisation de la loi, elle nous semble aboutir aux antipodes de l’objectif poursuivi.
En effet, elle transforme un mécanisme à dimension quasi universelle, puisque tous les contribuables actionnaires pouvaient y prétendre, en un dispositif ouvert aux seuls actionnaires ou associés privilégiés. A l’extrême, si on voulait se référer à l’actualité récente, une Mme Bettencourt pourrait profiter du report, voire de l’exonération d’imposition, là où le bon père de famille, qui ne peut détenir, même avec l’aide de son cercle familial, 10% des droits de vote ou des droits aux bénéfices sociaux de l’Oréal, ne pourra jamais bénéficier du mécanisme.
Dès lors, si elle semblait œuvrer dans le sens d’une moindre rotation des titres, puisque la durée de détention passe de 8 à 13 ans, elle risque surtout de décourager les petits porteurs qui, autrefois incités à conserver leurs titres pour bénéficier du dispositif, n’ont désormais plus rien à gagner à être patients. On peut craindre qu’ils adoptent des comportements plus spéculatifs, ce qui serait dommageable in fine pour les entreprises. Il faudrait au contraire, pour pallier les écueils actuels, inscrire ces participations dans le temps.
Comme Blanche Segrestin et Armand Hatchuel le démontrent avec brio dans leur contribution « Pour un nouveau droit de l’entreprise », in Refaire société , la crise financière actuelle est en réalité une crise managériale : avec l’essor de la corporate governance, les actionnaires ont pris l’ascendant sur le dirigeant, qui a pourtant entre ses mains le destin des salariés. Ce déséquilibre entraîne la prise de mesures favorables aux actionnaires, au risque de vider l’entreprise de sa substance.
Ils proposent, pour y remédier, de créer un nouveau « contrat spécial d’entreprise », différent du contrat de société, qui associerait dans un projet collectif apporteurs de capitaux et salariés.
Il est regrettable que 150-O-D bis du CGI, qui aurait pu être la pierre angulaire de ce nouvelle philosophie, semble encore plus s’en écarter depuis sa refonte.