Article paru dans Gestion de Fortune, septembre 2012
« Monsieur diplômé, (...) recherche en vue mariage jeune personne (...) avec dot minimum 500 000 et espérance possible » : notre société actuelle a relégué ces considérations aux oubliettes, mais ces quelques mots de Montherlant nous rappellent qu’un « bon parti » se mesurait, jusqu’au début du siècle dernier, à l’aune de ses « espérances », c’est-à-dire ses perspectives d’héritage.
A une époque où le mariage formait une cellule avant tout économique, cadre de la famille, l’héritage permettait aux jeunes gens de s’établir dans la vie, en leur transmettant l’outil de travail de leur auteur ou en les mettant en possession de capitaux.
Mais les progrès de la science ont perturbé cette mécanique : avec l’allongement de la durée de vie, les héritages se sont faits plus tardifs, privant les jeunes gens de cet apport au moment où ils en auraient eu besoin.
La donation est alors apparue comme le moyen de remédier à ce problème, devenant le mode de transmission privilégié. L’étude des statistiques de l’administration fiscale révèle une augmentation constante et exponentielle des donations. De 300 000 donations enregistrées fin 1998, on est passé à 510 910 en l’an 2000, et ce nombre n’a cessé de croître d’année en année.
Il est vrai que le législateur, conscient des effets positifs des transmissions sur l’économie, celles-ci facilitant la circulation des richesses, a accompagné les contribuables dans cette voie par des mesures fiscales favorables. L’abattement des droits de donation entre parent et enfant est ainsi passé de 46 000 euros en 2004 à 159 325 euros aujourd’hui.
La proposition du candidat François Hollande de réduire cet abattement à 100 000 euros semble donc annoncer la fin d’une ère propice aux libéralités. Rappelons-nous toutefois que le précédent gouvernement avait commencé, en fin de législature, à rogner sur les avantages passés : le délai de 6 ans nécessaires à la reconstitution de l’abattement entre deux donations était ainsi passé à 10 ans (loi de finances rectificative du 31 juillet 2011).
A l’annonce de son élection, les professionnels du droit ont multiplié les exhortations pour inciter les parents à réaliser au plus vite des donations à leurs enfants, pour profiter une dernière fois des aménités légales. Un peu comme si tous les parents disposaient de plusieurs centaines de milliers d’euros dormants et n’attendaient que leur signal pour les distribuer.
La majorité d’entre eux aimeraient donner, mais ne peuvent se déposséder d’un élément de leur patrimoine dont ils ont besoin pour se loger ou pour se procurer une source de revenus.
Le dilemme parental oscille donc entre intention libérale et besoin de sécurité.
La technique juridique peut offrir le moyen de concilier l’une et l’autre de ces aspirations. Le « démembrement de propriété », qui vise à dissocier l’usufruit, c’est-à-dire le droit d’user d’une chose et d’en percevoir les fruits, loyers ou intérêts, de la nue-propriété, droit de propriété futur en est une parfaite illustration.
Les applications sont nombreuses, dans la matière qui nous occupe. Si les donations en nue-propriété d’un bien immobilier s’avèrent assez connues, il est plus rare de transposer le raisonnement pour des placements financiers.
Nous vous proposons deux illustrations, que nous avons volontairement simplifiées dans un souci de clarté.
1er exemple : vous possédez un bien immobilier
Vous avez deux enfants, et percevez les loyers d’un appartement. Vous souhaiteriez allotir vos deux enfants de manière égale, en continuant à jouir de vos revenus.
Plusieurs options s’offrent à vous : si l’entente familiale est bonne, que la situation financière de vos deux enfants le leur permette et qu’ils souhaitent conserver le bien après votre décès, vous pouvez leur donner le bien en nue-propriété, en vous réservant l’usufruit. Vous continuerez donc à en percevoir les loyers jusqu’à votre décès, qui les rendra alors pleins propriétaires indivis sur le bien. L’avantage d’organiser la donation au lieu d’attendre la succession est le coût réduit des droits de mutation. Le calcul des droits de donation se limite à la nue-propriété, alors que les droits de succession porteraient sur la pleine propriété.
Autre variante, plus avisée : apporter le bien à une société civile immobilière, et donner la nue-propriété des parts à vos enfants. Cela permettra, entre autres, d’éviter de créer une indivision entre vos enfants et de poser des règles précises pour la répartition des recettes et dépenses.
C’est l’option que l’on privilégiera pour organiser la transmission de sa résidence principale : choisir de la placer dans une SCI pour en transmettre la nue-propriété des parts à ses enfants peut être une excellente solution, à condition d’organiser dans les statuts la protection des droits des parents usufruitiers (gérance statutaire, etc). L’enjeu est de taille : c’est parfois le seul moyen de conserver le bien dans le giron familial : le poids de la résidence principale dans le patrimoine tel que les droits de mutation peuvent obliger les héritiers à la céder contre leur gré.
Enfin, si les soucis de la gestion locative vous pèsent, ou que le rendement du bien n’offre plus de perspectives intéressantes, vous pouvez céder le bien et donner la nue-propriété des capitaux à vos enfants, avec obligation de remploi sur autant de contrats de capitalisation qu’il y a de nus-propriétaires, c’est-à-dire deux dans notre exemple.
Les atouts de la solution sont nombreux : outre le confort de percevoir des revenus sans avoir les soucis de la location, vous bénéficierez notamment de la fiscalité plus clémente des contrats de capitalisation (identique à celle de l’assurance vie pour la perception de revenus). A votre décès, vos enfants deviendront pleins propriétaires de leur contrat de capitalisation, qu’ils seront libres de conserver en l’état pour en percevoir à leur tour les revenus, ou qu’ils injecteront dans un nouveau projet.
2ème exemple : vous possédez un portefeuille de valeurs mobilières. Vous pouvez décider d’en donner la nue-propriété à vos enfants, ou l’apporter à une Société civile de portefeuille et transmettre les parts de cette société avec réserve d’usufruit.
En principe, la qualité d’usufruitier vous permettra de percevoir dividendes et intérêts, tandis que le nu-propriétaire aura droit aux plus-values. Ce dernier est d’ailleurs redevable de l’imposition sur les plus-values, sauf convention contraire. Le pouvoir de gestion, c’est-à-dire d’arbitrer les titres, appartient en général à l’usufruitier, à condition qu’il remploie le produit de la cession dans l’acquisition de nouveaux titres (principe de l’universalité, posé par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt de 1998). On ne peut que conseiller d’établir, à l’occasion du démembrement, une convention définissant les pouvoirs de chacun et, pourquoi pas, des orientations de gestion.
On le voit, les moyens d’initier la transmission de ses avoirs sans s’en déposséder totalement ne manquent pas. La réforme ne mettra pas fin aux donations, elle rendra toutefois encore plus incontournable le recours à des conseils, conseiller en gestion de patrimoine, avocat ou notaire, pour organiser progressivement la transmission de son patrimoine. On ne peut que saluer l’évolution des mœurs. Le « votum mortis » de jadis, l’attente malsaine de la mort de ses parents, a laissé place à la plus belle des intentions libérales, témoin de l’entente familiale.