Article publié dans Gestion de Fortune, Octobre 2012
3,96 milliards d’euros : tel est le record de collecte nette enregistré par le Livret A en janvier 2012, un chiffre en hausse de 11% par rapport à la collecte enregistrée il y a un an.
Créé en 1818 à l’initiative de Benjamin Delessert, banquier de Louis XVIII, sa vocation initiale était de rétablir un équilibre dans les finances publiques mises à mal par les guerres napoléoniennes.
S’il sert désormais au financement du logement social, il est aujourd’hui au cœur du débat politique. François Hollande avait ainsi érigé le doublement de son plafond en mesure phare de son programme de candidat à la Présidence, qui devait prendre effet dès juillet.
Mais l’adoption de la mesure s’avère plus compliquée que prévu : le doublement du plafond du livret A a un coût, tant pour les organismes financiers, banques ou compagnies d’assurance, que pour les finances de l’Etat. L’épargne des ménages sera ainsi drainée vers le Livret A, au détriment des autres placements, mais aussi de l’impôt, les intérêts étant intégralement défiscalisés.
Le calendrier de la réforme a donc été retardé, au grand dam de la majorité des épargnants. Le gouvernement a ainsi évoqué un déploiement progressif de la mesure, à partir de l’automne au mieux. Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire de ses détracteurs, lisant dans cette « reculade » le début d’une longue série de dédits.
Dernier rebondissement en date, le gouvernement Ayrault a annoncé une augmentation du plafond échelonnée dans le temps : 25% de plus en septembre, puis en décembre.
Pour autant, l’âpreté des débats ne doit pas nous faire oublier le fond de la question : l’augmentation du plafond du Livret A est-elle souhaitable pour les épargnants ?
S’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le problème du financement des logements sociaux, nous pouvons, en revanche, tenter de donner notre avis sur l’intérêt de la mesure pour l’épargnant.
Les avantages du Livret A sont connus : placement sûr, il offre une totale disponibilité des capitaux, et ses intérêts sont exonérés de fiscalité et de prélèvements sociaux.
Tout cela est vrai, mais un particulier a-t-il réellement intérêt à immobiliser –puisque c’est bien souvent le cas dans les faits- 30 600, voire 42 600 euros demain, avec le doublement du plafond du livret de développement durable lui aussi évoqué ?
On admet généralement que son rendement est faible (2,25% aujourd’hui), mais c’est peu de le dire.
Ainsi, sur 2011, le taux de rémunération du Livret A, lissé sur l’année, était de 2,08%. Mais l’inflation constatée la même année par l’INSEE s’est élevée à 2,1%, ce qui se traduit donc par un rendement négatif pour l’épargnant : l’euro placé pendant une année, majoré des intérêts du Livret A, ne permet plus l’année suivante d’acquérir la baguette de pain qu’il permettait d’acheter un an auparavant.
Il n’a donc vocation qu’à accueillir une épargne de précaution, représentant, en fonction des situations de chacun, entre 3 et 6 mois de salaires.
Le doublement du plafond apparaît donc davantage comme un piège que comme une aubaine : sous couvert de sécurité et d’exonération fiscale, il paralyse la prise de décisions sur des sujets fondamentaux pour l’épargnant, lui faisant perdre un temps précieux. La valorisation d’un apport pour un projet futur, ou la constitution d’une source de revenus complémentaires pour la retraite s’organisent dans la durée, ce qui suppose avoir entrepris une réflexion dès qu’on est en mesure d’épargner.
Dès lors, l’afflux massif de capitaux vers cette épargne faiblement rémunérée pose question : les Français auraient-ils renoncé à toute perspective de profit financier ?
Historiquement, l’idée que l’argent puisse rapporter a été bannie des siècles durant. Reprenant les considérations d’Aristote sur l’argent stérile, l’Eglise a prohibé le prêt à intérêt, ce qui a, du reste, donné naissance à la lettre de change, le prix du prétendu change de devises masquant en réalité l’intérêt dû pour la somme prêtée.
Bien qu’apparemment lointaine, cette culpabilisation du profit est encore bien vigoureuse, à l’heure où taxation à 75% et durcissement de l’ISF s’apparentent plus à des symboles politiques qu’à d’efficaces moyens de redresser les finances de l’Etat.
Mais cet argument ne nous semble pas décisif, à voir le nombre de placements exotiques fleurir ces derniers temps, de l’investissement dans un troupeau de vaches laitières à l’achat de manuscrits anciens, le tout assorti de « promesses » de rendement alléchantes.
C’est sans doute la peur, et donc la recherche de sécurité, qui pousse nos concitoyens à concentrer leurs avoirs sur des placements de trésorerie. Les craintes concernant l’avenir, sur fond de crise de dettes souveraines, se mêlent à une incompréhension croissante des marchés, auxquels les petits porteurs ont payé le plus lourd tribut ces dernières années. Plus de 2 millions de petits actionnaires qui auraient ainsi renoncé à la Bourse depuis 2008.
Un juste milieu peut toutefois être trouvé, entre l’abstinence repentie des livrets rémunérés et les excès spéculatifs d’un univers mal maîtrisé. Bâtir des solutions solides, avec des taux de rendement interne avoisinant les 5%, c’est possible aujourd’hui. Reste à trouver l’interlocuteur de confiance qui aura l’expertise et la sagesse nécessaires pour la mettre en œuvre dans la durée. Comme le veut la formule consacrée, « méfiez-vous des…contrefaçons » !