« Quand vous achetez un appartement, quand vous achetez une maison, la plus-value est réalisée au moment où vous la vendez. C’est à ce moment-là qu’il faut la taxer, pas au moment de la détention ».
Cette phrase, lancée par le chef de l’Etat le 13 janvier dernier, résume à elle seule la ratio legis de la future réforme de la fiscalité, prévue pour avril prochain.
Ainsi, il s’agirait de mettre fin à une coexistence de ces deux impôts longue de 29 ans, 1982 marquant la création de l’ « impôt sur les grandes fortunes », ancêtre de l’ISF.
L’imposition sur la plus-value, qui s’applique lors de la cession d’un bien immeuble sur la différence entre le prix de vente et le prix d’achat du bien, majoré des frais d’acquisition, serait ainsi renforcée, au détriment de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Cet impôt, qui a pour principe de taxer la détention par un foyer fiscal d’un patrimoine dont la valeur excède un certain seuil au 1er janvier de l’année en cours, ne semble en effet plus satisfaire ni les contribuables ni l’Etat : inique, imparfait, fastidieux, peu rentable, répulsif, autant d’ingrédients pour un divorce consommé.
Le régime applicable à la plus-value de cession de bien immeuble par les particuliers, qui relève de l’impôt sur le revenu, a au moins pour mérite de s’appliquer au moment de la réalisation d’un actif et de la perception d’un revenu, donnant ainsi les moyens de l’acquitter.
Cette mesure va dans le sens du durcissement général de l’impôt sur le revenu, dont la plus haute tranche a ainsi été rehaussée.
Faut-il pour autant en déduire, comme d’aucuns le prévoient, la suppression pure et simple de l’ISF au profit d’un alourdissement du régime de la plus-value immobilière ?
Plus l’échéance proposée par le gouvernement se rapproche, et plus cette perspective semble s’éloigner.
Si l’on s’en tient la lettre, l’annonce ne vise que les biens immobiliers, voire la résidence principale, les autres immeubles faisant en effet déjà l’objet d’une taxation lors de leur revente, à l’exclusion a priori de tout autre type d’actif. Or l’ISF englobe tous types d’actifs, fonciers ou mobiliers.
Mais cette interprétation stricto sensu réduirait la grande réforme annoncée au rang de cosmétique à usage fiscal.
Le raisonnement du Président, qui rejette au nom de l’équité ou de la logique le principe de l’ISF pour celui de l’impôt sur le revenu, a une portée plus vaste que le simple champ immobilier. On peut y lire en filigrane l’abrogation totale de l’ISF, compensée par le renforcement du régime de la taxation des plus-values immobilières.
On peut toutefois s’interroger sur cette compensation, au moins sur le plan financier : la nouvelle mesure est-elle suffisante pour pallier la disparition des ressources liées à l’ISF ?
La France, liée par des conventions communautaires et contrainte par les exigences des marchés, ne peut guère se permettre de supprimer une recette fiscale sans en rétablir une de même ampleur, voire d’un montant supérieur.
La France, depuis la fin des Trente Glorieuses, a en effet laissé filer sa dette, et avec elle, une charge financière qui vient rogner toujours plus la marge de manœuvre des gouvernements successifs.
Ainsi, la dette publique de la France qui, en 1995, représentait déjà 55.5% du Produit Intérieur Brut, atteint désormais 83% du PIB. Et la charge de la dette, c’est-à-dire le paiement des intérêts de la dette, vient engloutir 48 milliards d’euros, soit la totalité des recettes de l’impôt sur le revenu !
Or, selon le Pacte de stabilité et de croissance qui lie les pays de la Communauté européenne, la France est censée limiter son déficit public à 3% du PIB et sa dette à 60% du PIB, des critères qu’elle est aujourd’hui loin de respecter.
Par conséquent, et sans préjudice des autres mesures extra immobilières (alourdissement des droits de succession, hausse de la fiscalité de l’assurance vie, instauration d’une TVA sociale) l’alourdissement de la fiscalité sur les plus-values devrait être particulièrement significatif.
Cela signifie que toutes les exceptions à la taxation de plus-values de cession immobilière devraient être supprimées.
C’est, d’une part, le cas de l’abattement pour durée de détention. Cette exception permet en effet aux propriétaires de biens immobiliers de bénéficier d’un abattement de 10% de leur valeur par année de détention au-delà de la 6ème.
C’est, d’autre part, le cas de la résidence principale, dont le statut fiscal, en cas de revente, est inscrit à l’article 150-U du Code Général des Impôts : « les plus-values réalisées par les personnes physiques (…) lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis (…) sont passibles de l’impôt sur le revenus (…) . [Ces] dispositions ne s’appliquent pas aux immeubles qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ».
L’imposition au moment de la revente de la résidence principale, c’est-à-dire au moment où cet élément du patrimoine devient liquide, et où on en tire un revenu, serait ainsi plus juste que l’imposition frappant ledit bien tant qu’il reste dans le patrimoine du contribuable, a fortiori s’agissant de la résidence principale qui par hypothèse, sauf cas isolés, ne procure pas de revenus fonciers à son propriétaire.
Combien de fois l’opinion s’est-elle insurgée devant le cas de la vieille dame dont le patrimoine se limite à une maison à l’île de Ré, reçue par héritage, obligée de quitter les lieux pour pouvoir acquitter un impôt injuste, assis sur l’incroyable flambée des prix du foncier sur l’île ?
La suppression de l’ISF est-elle la seule solution ? Le simple retrait de la résidence principale remplirait déjà cet office. La mesure peut ainsi paraître excessive, d’autant qu’une mauvaise réforme est souvent plus efficace qu’une belle révolution.
Mais, si l’objectif fixé est d’épargner les contribuables assujettis à l’ISF à cause de leur résidence principale pour taxer les plus hauts patrimoines qui y échappent aujourd’hui, il n’est pas certain qu’une demi-mesure permette de l’atteindre.
En effet, initialement, le bouclier fiscal avait été créé à cette fin : éviter qu’un contribuable ne doive acquitter des impôts au-delà de 50% de ses revenus. En l’occurrence, le contribuable qui touche une pension de retraite modeste mais vit dans une demeure d’une très grande valeur devrait bénéficier du bouclier de plein droit, la somme de ses impôts ne pouvant dépasser la moitié de ses revenus.
Nous avons pourtant, les uns par expérience, et les autres, par bon sens, que ce genre de contribuables sans histoire ignore l’existence du dispositif, et ne bénéficie pas d’un entourage suffisamment averti pour le lui signaler.
Au contraire, l’actualité récente nous l’aura suffisamment rappelé, certaines des plus grandes fortunes de France parviennent à user du bouclier si intelligemment qu’elles se retrouvent à payer un montant d’impôt de solidarité sur la fortune dérisoire par rapport à l’étendue de leur patrimoine.
Néanmoins, ce premier pas, si timide qu’il soit, permettrait de ne pas instaurer un alourdissement draconien du régime des plus-values immobilières.
A l’inverse, l’abolition de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune exige la refonte globale de l’imposition de la plus-value immobilière.
Il s’agit d’une interprétation plus audacieuse, plus radicale des propos du Président, mais notre pays n’incarne-t-il pas l’idéal révolutionnaire ?
Si l’interprétation stricto sensu peut faire figure d’un cosmétique à usage fiscal, l’interprétation lato sensu fera certainement l’effet d’un tsunami fiscal, 2011 marquant le décès de l’ISF et la renaissance de l’impôt sur le revenu.