Une fois n'est pas coutume, au risque de décevoir mes lecteurs, le présent billet ne traitera en aucune façon de gestion de patrimoine, mais d'un sujet qui m'est plus personnel.
Alors que les rues de Cannes s'étourdissent sous les accents endiablés de notre rockeur national, disparu aujourd'hui, je me décide à rédiger ces quelques lignes sur la mort d'un homme qui a beaucoup compté pour moi, comme pour des générations d'étudiants, notre cher Professeur Jean Hauser. Je vous renvoie à la très belle page que Maître Christophe Gris lui a dédié sur son site http://christophe-gris-avocat.fr/le-professeur-jean-hauser-nous-a-quitte/.
Si mes premiers pas, mes premiers mots ou mes premiers émois ont largement déserté ma mémoire, mon premier cours magistralement prodigué par Monsieur Hauser restera gravé en moi.
Le tumulte, la promiscuité dans l'amphithéâtre Aula Magna, les ricanements des premières années mal dégrossis, et soudain, une voix s'élève, assez aigüe pour un homme, peu mélodieuse et pourtant chaleureuse, qui de suite, capte l'attention. Quelques mots, et tout s'éclaire, tout s'anime, les formalités les plus inintéressantes deviennent limpides, elles ont une raison d'exister, elles s'expliquent simplement, et trouvent des résonances dans tous les pans du droit. Ce fut pour moi une Révélation.
J'ai assisté, subjuguée, à tous les cours de notre cher doyen, qui maniait avec une aisance foudroyante les concepts les plus complexes, avec l'impatience d'une accroc aux séries en attente du prochain épisode.
J'ai lu avec regret la polémique déclenchée suite à un éditorial publié dans la Semaine juridique l'an dernier, et dont Wikipedia porte encore les stigmates. Si l'édito en question n'était pas le plus heureux que le Maître ait jamais commis, il ne méritait certainement pas une telle attaque de la part de ses détracteurs.
Etant moi-même une femme, qu'on accusera moins facilement de tenir des propos sexistes, je tiens à préciser que:
1) Jean Hauser n'a jamais été anti féministe, bien au contraire.
Je me souviens parfaitement de ses exhortations, qui s'adressaient directement à nous, les filles, qui formions la majorité des effectifs. "Ayez un bon métier et surtout, ne démissionnez sous aucun prétexte. Quand vous aurez vieilli et que votre mari en aura trouvé une plus jeune pour poursuivre sa route, c'est tout ce qu'il vous restera. C'est le prix de votre liberté". Cruel, mais tellement vrai, au vu des statistiques sur le divorce.
2) Contrairement à ce qui a été affirmé par ses détracteurs, il est vrai que le législateur a progressivement fait sortir les notions sexuelles hors de la sphère du couple marié. Voir la dépénalisation de l'adultère, dans les années 1970, puis la disparition progressive du divorce pour faute.
Les liaisons extraconjugales ont été tellement banalisées dans les faits que l'on n'a plus voulu que "les histoires de petites culottes n'encombrent les prêtoires" (l'expression est de Jean Hauser). D'où son agacement à voir ressurgir leur spectre derrière le harcèlement sexuel.
Si l'on me permet un aparté sur ce sujet, d'ailleurs, c'est bien que la parole se libère, mais de là à occuper tout l'espace médiatique, c'est assez pénible. Encore plus pour les victimes de harcèlement sexuel, qui ont tendance à revivre en boucle les évènements passés. Pour elles, au moins, il serait bon de varier les sujets.
Pour en revenir à la polémique, l'édito visait essentiellement, à mon sens, à dénoncer l'hypocrisie de la société qui oscille entre hypersexualisation et pudibonderie. Une plaisanterie grivoise n'est pas en soi interdite, et peut même au besoin détendre l'atmosphère. Charge à ceux qui en racontent de vérifier qu'ils ne mettent pas leurs interlocuteurs mal à l'aise. C'est là tout l'enjeu du problème: la frontière entre "avance" et harcèlement, une frontière mouvante, qui varie en fonction des protagonistes.
La définition légale de ce délit, modifiée en 2002 puis en 2012, porte elle-même les traces de cette confusion. Entre 2002 et 2012, l'article 222-33 du Code pénal se bornait à relever que " Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
ce qui ne nous fournissait guère d'indice pour qualifier le délit. L'article est, depuis 2012, plus précis, sans nous éclairer totalement sur la frontière entre l'avance (qui a évidemment pour but d'obtenir des faveurs sexuelles) et le harcèlement sexuel.
"Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante."
Pour illustrer la difficulté relevée, je vais me fendre d'un exemple, la prescription étant désormais largement acquise. Il fut un temps où, encore étudiante (majeure, je rassure mon public) défendant fougueusement mes idées, j'ai attiré l'attention d'un magnifique spécimen de brun ténébreux. Qui n'était autre que l'un de mes professeurs de droit.
Préférant éviter les fins de soirée d'études où fatigue et alcool font difficilement bon ménage, j'ai ainsi échappé à la tentative de rapprochement de ce trop charmant enseignant, qui m'a avoué à l'oreille regretter que mon départ prématuré l'ait privé d'une danse avec moi.
Poussant la conscience professionnelle très loin, le flamboyant quadragénaire s'est rendu sur le lieu de mon stage pour m'offrir une rose rouge en personne. Mais Apollon trouva porte close, sa Daphné ayant été envoyée suivre sa formation sécurité. Don Juan a fini par se lasser pour sans doute reporter son attention sur des proies plus faciles.
Le harcèlement sexuel est-il caractérisé?
Etant donné nos qualités respectives, le rapport de verticalité est établi. Le but d'obtenir des faveurs sexuelles est lui aussi incontestable. Son intérêt marqué m'a valu les foudres de certaines de mes camarades, qui auraient bien voulu être à ma place, et a causé bien des inquiétudes à mon fiancé.
Pour autant, il ne me semble pas qu'il y ait délit de harcèlement sexuel, et fort heureusement, puisqu'à aucun moment, il n'a fait usage de menace, physique ou verbale. Il a juste tenté, à tous les sens du terme. On aurait tort de vouloir encadrer cette liberté suprême, liberté de proposer, liberté de refuser.
C'est cette liberté que défendait avec ardeur notre cher Professeur, à qui j'ai envie d'écrire, à défaut d'avoir pu le lui dire, merci, de tout mon coeur. Et au revoir, cher Professeur.