II) Le tsunami fiscal de l’an 2011 : l’ISF est mort, vive l’IRF
Pourquoi 2011 ne marquerait-elle pas enfin le triomphe du pragmatisme économique que beaucoup appellent de leurs vœux ? Cette solution, bien que tentante, ne doit cependant pas faire oublier ses limites.
A) Le triomphe du pragmatisme économique :
Si de nombreux motifs président au triomphe du pragmatisme économique, celui-ci n’aura qu’une conséquence majeure : aboutir à un impôt plus rationnel.
1) Les motifs de la suppression de l’ISF
a) Un alignement sur la position de nos voisins européens
Les arguments des détracteurs de l’impôt sur le patrimoine (coût de collecte, fuite des capitaux, effet dissuasif sur l’épargne, inégalités) ont peu à peu débarrassé l’Europe, et plus largement les démocraties occidentales, de la plupart de ses avatars.
Ainsi, l’Autriche, l’Allemagne, dans les années 90, suivis de près par les Pays-Bas, l’Italie, et, plus récemment, la Suède et l’Espagne, ont mis fin à cet impôt, marginalisant du même coup l’hexagone, l’un des rares pays à l’avoir conservé.
Il est d’ailleurs remarquable de constater que la question transcende les clivages politiques : l’ISF est un impôt traditionnellement plébiscité par la gauche puisque, ponctionnant les propriétaires, ses recettes sont redistribuées au profit de tous. L’Espagne et l’Allemagne socialistes ont pourtant su l’abolir, là où la France, malgré les nombreuses accessions au pouvoir de la droite depuis l’instauration de l’ISF sous la présidence de Mitterrand, ce dernier perdure.
L’alignement sur les voisins européens est l’argument du ralliement de la majorité. Cet argument connaît une vaste pratique en Europe : c’est un principe qui gouverne très souvent les évolutions de notre droit interne, à travers les jugements de la Cour Européenne des Droits de l’homme.
Cette institution, instaurée par le Traité de Rome de 1950, est en effet régulièrement saisie par des particuliers européens qui, ayant épuisé toutes les voies de recours interne, estiment que le droit de leur pays d’origine n’est pas conforme aux droits de l’homme tels que définis dans la Convention européenne des droits de l’homme.
Pour rendre ses jugements, la Cour dresse un tour d’horizon des pratiques juridiques dans l’ensemble des pays membres de la Convention. Si une majorité se dégage clairement et qu’il s’avère que l’Etat dont il est question se retrouve isolé dans sa position, la CEDH rend un jugement défavorable à ce dernier, en lui indiquant les dispositions qu’il doit prendre pour respecter la convention.
Appliqué à la fiscalité française, il éviterait que celle-ci ne fasse l’effet d’un repoussoir pour nos propres nationaux comme pour les étrangers, séduits par notre mode de vie ou notre mosaïque de paysages.
L’abolition de l’ISF pourrait lever un tabou, l’interdiction silencieuse d’afficher sa réussite sociale.
b) L’amorce d’un processus de désinhibition ?
Du French kiss au French lover, la France est partout célébrée comme la patrie où l’amour peut s’afficher et se pratiquer librement. Il n’en est pas de même avec l’argent : les rémunérations, comme les patrimoines, sont soigneusement tus, sous le coup d’une inexplicable pudeur.
S’il est de bon ton, Outre-Atlantique, de montrer sa réussite sociale en exhibant son argent, qu’il s’agisse de le gaspiller en d’inutiles objets ou d’en faire don lors des galas de charité, en France, le silence s’impose : celui qui a réussi est forcément parvenu au détriment de ses compatriotes, il serait donc mal venu d’en rajouter.
Or l’ISF, instauré par les socialistes, participe de la stigmatisation des « riches ». Il faut faire payer ceux qui possèdent, pour redistribuer à ceux qui ont moins.
Il s’agit ici d’un jugement moral que l’Etat n’a pas, en théorie, à véhiculer, puisqu’il est garant de l’égalité entre les citoyens.
Il serait donc appréciable que cet impôt sanction fasse place à un impôt plus neutre sur le plan affectif, puisqu’il concerne une plus vaste part de la population, non assimilable aux « riches ».
Il n’est toutefois pas certain que ce processus de désinhibition soit un élément déterminant pour le pouvoir en place.
Deux déclarations récentes du chef de l’Etat illustrent notre propos.
La première concerne le loyer des chambres de bonnes à Paris. Celui-ci s’est en effet insurgé du prix exigé par des bailleurs pour la location de quelques mètres carrés sous les toits, menaçant d’instaurer une limitation des prix.
Si le fond d’une telle mesure n’est pas discutable, il semble qu’une fois de plus il ne revienne pas à l’exécutif de porter un jugement moral sur de telles pratiques.
La seconde déclaration du Président de la République porte sur l’impôt sur le revenu. L’administration fiscale a ainsi révélé que les plus hauts revenus, en France, seraient ainsi de source financière (dividendes ? salaires ? les deux ?). Et le Chef de l’Etat d’exiger derechef une taxation plus élevée des revenus de source financière, jugés immoraux.
2) Vers un impôt plus rationnel
Supprimer l’ISF pour lui substituer une imposition au titre des revenus contribuerait doublement à rendre l’impôt plus rationnel : cela reviendrait à remplacer une passoire par un tamis extrêmement fin.
a) Vers un impôt plus efficace
L’impôt nouvellement institué serait plus efficace à deux titres au moins : outre un élargissement de l’assiette, il permettrait une collecte plus systématique.
La réforme aurait pour effet un élargissement considérable de l’assiette de l’impôt. Il toucherait plus de personnes, et aurait une meilleure efficacité car d’ impôt déclaratif, il deviendrait un impôt retenu à la source.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’ISF est dû sur la base d’une simple déclaration. Le contribuable est censé évaluer le patrimoine de son foyer fiscal au 1er janvier pour savoir s’il dépasse la barre fatidique des 800 000€ pour 2011, non sans avoir au préalable appliqué un certain nombre d’exonérations et abattements, au rang desquels figure le fameux abattement de 30% sur sa résidence principale.
Si les plus honnêtes ou les plus inquiets s’adonnent chaque année au fastidieux inventaire orchestré par le formulaire Cerfa 2725, d’autres, insouciants, négligents ou plus joueurs, s’abstiennent d’y souscrire.
Cette situation crée des inégalités entre contribuables que peinent à compenser les quelques centaines ou milliers de contrôles annuels, le plus souvent motivés par des dénonciations.
Le passage de cet impôt déclaratif à un impôt calculé puis prélevé par le notaire aura pour mérite de rétablir l’équité entre tous les contribuables.
Le plus grand bénéficiaire de la réforme sera toutefois l’Etat, la passoire de l’ISF laissant place au tamis beaucoup plus serré de l’imposition sur la plus-value : généralisation de l’impôt, et exactitude des valeurs retenues pour le calcul de l’impôt feront place aux déclarations trop rares et communément sous-estimées.
Ainsi, l’ « expert en partage », comme dans la fable « Le Renard et les deux Oursons » trouvera dans cette égalisation des situations une belle occasion pour, si ce n’est faire un bon repas, du moins remplir ses caisses à la faveur des contribuables.
La disparition de l’ISF et la recherche d’une source de revenus en compensation passe nécessairement, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut, par une refonte du dispositif des plus-values.
Pourquoi ne pas les intégrer directement à l’impôt sur le revenu, comme c’est le cas en matière d’impôt sur les sociétés ?
En effet, l’impôt sur les sociétés a l’avantage de la simplicité : en-dessous de 38120 euros de bénéfices, c’est le taux réduit de 15% qui s’applique, et au-delà, le taux de 33 1/3. Ainsi, l’ensemble des revenus générés par la société, y compris en cas de revente d’un immeuble, sont taxés à ce taux
b) Recettes indirectes attendues
L’un des arguments agités par les partisans de la suppression de l’ISF est celui du retour des exilés fiscaux: ceux-là mêmes qui, Johnny en tête ont fui la France pour des contrées plus clémentes, comme la Suisse, reviendraient à peine l’impôt sur la fortune aboli.
Or l’impatriation de ces grandes fortunes génèrerait des recettes économiques et fiscales importantes : ces « very high net worth individuals », par leur train de vie, et par leur contribution à l’impôt sur le revenu, apporteraient de nouvelles recettes à l’Etat.
B) Les limites de la réforme
On peut s’interroger sur les conséquences de l’instauration d’une plus-value de cession pour les résidences principales.
A cette fin, l'étude des effets du dispositif déjà existant en matière de résidences secondaires est particulièrement éclairante.
En témoigne un rapport d'information du Sénat daté du 15 octobre 2003 sur le marché immobilier locatif français. Celui-ci, pointant les dysfonctionnements dudit marché, dénonce la soumission des cessions de tels biens à l'imposition sur les plus-values comme l'une des causes de l'inertie de son inertie.
Il est édifiant du reste de constater que l'impôt de solidarité sur la Fortune figure aussi au rang des causes de dysfonctionnements.
D'où une conclusion en vue de la suppression de ces freins fiscaux au changement de main.
Pourquoi vouloir étendre ce tableau déjà peu flatteur aux résidences principales, au risque de porter un coup supplémentaire à l'économie, traditionnellement soutenue par les métiers de l'immobilier (bâtiment, agents immobiliers, promoteurs, notaires, banques, etc).
L'idée que nous retiendrons finalement est celle d'une convergence européenne: notre nation ne peut plus agir comme si elle était seule. Si notre ISF fait fuir nos résidents et non résidents vers nos voisins limitrophes, c'est que nous les rendons attractifs.
Pourquoi ne pas voir ce qui se pratique en termes d'impôts dans ces "paradis" pour riches?