TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON
N°1704646 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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Mme M O AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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Mme Eliot Magistrat désigné
Audience du 27 juin 2017 Lecture du 7 juillet 2017
335-01-04-01 C-DM
Le tribunal administratif de Lyon
Le magistrat désigné
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 24 juin 2017, Mme M O, représentée par Me Mboto Y’Ekoko Ngoy, demande au tribunal:
1°) de prononcer son admission à l’aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d’annuler les arrêtés des 20 juin 2017 par lesquels le préfet de la Loire a ordonné son transfert vers l’Italie et l’a assignée à résidence dans le département de la Loire jusqu’au 3 septembre 2017 dans l’attente de l’exécution de la mesure de réadmission dont elle a fait l’objet ;
3°) d’enjoindre au préfet d’enregistrer sa demande d’asile et de lui délivrer une autorisation de séjour au titre de l’asile, dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 150 jours de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l’État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour son conseil de renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu’elle n’a pas reçu notification des arrêtés attaqués dans une langue qu’elle comprend et que l’administration ne l’a pas informée des voies et délais de recours ;
En ce qui concerne l’arrêté ordonnant son transfert vers l’Italie :
- le préfet n’établit pas que l’auteur de l’arrêté attaqué aurait été compétent pour le signer ;
- l’arrêté n’est pas suffisamment motivé ;
- l’arrêté méconnaît l’article 22.3 du règlement 604/2013 dès lors que le préfet se borne à faire état d’un accord implicite de l’Italie sans en apporter la preuve ;
- l’arrêté méconnaît l’article 3.2.2° du règlement 604/2013 dès lors qu’il est démontré que l’Italie connaît des défaillances graves dans la procédure d’asile ;
-l’arrêté attaqué méconnaît l’article 4 du règlement 604/2013 du règlement dès lors qu’elle n’a pas disposé de l’information nécessaire sur la procédure d’asile dans la langue qu’elle comprend ; par suite, le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation de sa situation personnelle.
En ce qui concerne l’arrêté ordonnant son assignation à résidence :
- le préfet n’établit pas que l’auteur de l’arrêté attaqué aurait été compétent pour le signer ;
- l’arrêté n’est pas suffisamment motivé ;
- l’arrêté attaqué viole la liberté d’aller et venir ;
- son droit à l’information a été méconnu dès lors que l’arrêté en cause ne lui a pas été notifié dans une langue qu’elle comprend.
Par un mémoire, enregistré le 26 juin 2017, le préfet de la Loire conclut au rejet de la
requête.
Il soutient que :
- la requête de Mme O. M., enregistrée le 24 juin 2017, dirigée contre les arrêtés du 20 juin 2017 est tardive et par suite irrecevable ;
- à titre subsidiaire, les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu : - les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement UE n° 604/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays ou un apatride ;
- la directive CE n° 85/2005 du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- le code des relations entre le public et l’administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Vu la prestation de serment de Mme A, interprète en langue anglaise.
Le président du tribunal a désigné Mme Eliot en application de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique, assisté de M. Martinez, greffier d’audience : - le rapport de Mme Eliot,
- les observations de Me Mboto Y’Ekoko Ngoy, avocat, représentant Mme O M, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
- les observations orales de Mme OM, assistée de Mme A, interprète, qui confirme les moyens énoncés dans sa requête et ceux exposés oralement par son avocat et répond aux questions posées par le tribunal dans le cadre de l’instruction.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Considérant que Mme O M, ressortissante du Nigéria, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 21 novembre 2016 ; qu’elle a déposé une demande d’asile ;
Que par arrêté du 20 juin 2017, le préfet de la Loire a décidé de le remettre aux autorités italiennes, qu’il a estimées responsables de l’examen de sa demande d’asile ;
Que le même jour, le préfet de la Loire, par un arrêté distinct, a assigné l’intéressée à résidence dans le département de la Loire jusqu’au 3 septembre 2017 dans l’attente de l’exécution de la mesure de réadmission dont elle a fait l’objet ;
Que Mme O M demande l’annulation des ces deux arrêtés ;
Sur la fin de non recevoir opposée par le préfet de la Loire :
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 742-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 742-2 du même code : « L'autorité administrative peut, aux fins de mise en œuvre de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile et du traitement rapide et du suivi efficace de cette demande, assigner à résidence le demandeur. / (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 742-3 dudit code : « Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / (…) / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours (…) » ; et qu’aux termes de l’article L. 742-4 dudit code : « (…) / II.-Lorsqu'une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d’assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 est notifiée avec la décision de transfert, l'étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de transfert et de la décision d’assignation à résidence. / (…) » ;
3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 777-3 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : « Sont présentés, instruits et jugés selon les dispositions des articles L. 742-4 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les recours en annulation formés contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, le cas échéant, contre les décisions de placement en rétention prises en application de l'article L. 551-1 du même code ou d’assignation à résidence prises en application de l'article L. 561-2 de ce code au titre de ces décisions de transfert. » ; qu’aux termes de l’article R. 777-3-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : « (…) / II. - Conformément aux dispositions du II de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification simultanée d'une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence et d'une décision de transfert fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester ces décisions. » ; qu’aux termes de l’article R. 777-3-2 dudit code, dans sa rédaction applicable au litige : « Les délais de recours contentieux mentionnés à l'article R. 777-3-1 ne sont susceptibles d'aucune prorogation. / (…) » ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces au dossier que les arrêtés attaqués du 20 juin 2017 portant transfert de Mme O. M. aux autorités italiennes et ordonnant son assignation à résidence, lui ont été notifiés le même jour ; que, toutefois, les notifications de ces arrêtés produites par la requérante et non contestées par le préfet portent la mention, sur chacune d’entre elles: « l’intéressée s’est manifestée sans interprète ; le sens de la décision lui a été expliqué en anglais ; il lui avait été signifié par deux fois de se présenter avec un interprète parlant anglais » ; qu’au regard de ces mentions, Mme O. M. ne peut être regardée comme ayant été valablement informée des voies et délais de recours contre les arrêtés litigieux ; qu’au surplus, il ne ressort pas des mentions portées sur l’arrêté ordonnant le transfert de l’intéressée vers l’Italie que cet arrêté indiquait les voies et délais de recours ; que, par suite, le préfet de la Loire n’est pas fondé à faire valoir que la requête de Mme O. M., enregistrée le 24 juin 2017, est tardive ; qu’en conséquence, la requête de Mme O. M. est recevable ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
5. Considérant qu’aux termes de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : «Droit à l’information /1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement (...)/(...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 / Si c’est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l’entretien individuel visé à l’article 5.FR 29.6.2013 Journal officiel de l’Union européenne L. 180/37/3. La commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi qu’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article (....)»; qu’il résulte de ces dispositions que le demandeur d’asile auquel l’administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où celle-ci est informée de ce qu’il est susceptible d’entrer dans le champ d’application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l’autorité administrative décide de refuser son admission provisoire au séjour au motif que la France n’est pas responsable de sa demande d’asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu’il comprend ; qu’eu égard à la nature desdites informations, la remise par l’autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d’asile une garantie ;
6. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé les intéressés d’une garantie ; que la délivrance par l’autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d’asile une garantie, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l’omission ou de l’insuffisance d’une telle information à l’appui de conclusions dirigées contre un refus d’admission au séjour ou une décision de remise, d’apprécier si l’intéressé a été, en l’espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de cette décision ;
7. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l’une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention de l’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si l’administration a satisfait à l’obligation qui lui incombe en application des dispositions précitées ; que, dans un premier temps, seul le préfet est en mesure d’apporter les éléments relatifs à la délivrance d’une information écrite au demandeur ;
8. Considérant que la requérante, qui a produit le résumé de l’entretien dont elle a bénéficié le 3 janvier 2017 dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile, fait apparaitre qu’à cette occasion là, ni le guide du demandeur d’asile, ni « l’information sur les règlements communautaires », ne lui a été remis ; qu’en l’absence de toute autre pièce produite sur ce point, le préfet n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la délivrance de ces informations et il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intéressée aurait bénéficié par ailleurs de telles informations ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’espèce, cette omission a été de nature à priver effectivement Mme O. M. de la garantie prévue par les dispositions précitées ; que, par suite, l’arrêté ordonnant son transfert aux autorités italiennes est intervenu au terme d’une procédure irrégulière et est, pour ce motif, entaché d’illégalité ; que l’arrêté portant assignation à résidence doit, par voie de conséquence, être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
En ce qui concerne les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
9. Considérant que l’annulation des décisions ordonnant le transfert de Mme O. M. aux autorités italiennes, sur le fondement d’un vice de procédure n’implique pas, en elle-même, que soit délivrée à la requérante une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d’asile ; que, par suite, les conclusions aux fins d’injonction présentées par Mme O. M. en ce sens doivent être rejetées ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ; qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : « L’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l’article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge » ;
11. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat, partie perdante dans la présente instance, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, le versement à Me Mboto Y’Ekoko Ngoy de la somme de 700 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
D E C I D E :
Article 1er : Mme O. M. est admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Les arrêtés préfectoraux attaqués en date du 20 juin 2017 pris à l’encontre de Mme O. M. sont annulés.
Article 3 : L’Etat versera à Me Mboto Y’Ekoko Ngoy, avocat, la somme de 700 euros, au titre des dispositions combinées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent jugement sera notifié à Mme O. M. et au préfet de la Loire.
Prononcé en audience publique le 7 juillet 2017.
Le magistrat délégué, Le greffier
A.Eliot D.Martinez
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
Le greffier,