THESE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PRIVE ET SCIENCES CRIMINELLES
Présentée et soutenue publiquement le 12 novembre 2012 à 9hoo
Jean Pierre MBOTO Y’EKOKO NGOY
Mention : Très honorable. L'auteur a reçu l’autorisation de publication
Directeur de recherche
Monsieur Marc VERICEL
Professeur agrégé de l’Université Jean Monnet Saint- Étienne et Doyen de la faculté de droit
Membres du jury
1. Monsieur Stéphane CAPORAL, Professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne et Doyen honoraire
2. Monsieur Grégoire BAKANDEJA, Professeur ordinaire des Universités de Kinshasa, Brazzaville et Paris I Sorbonne et Doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université de Kinshasa
3. Madame Corinne BLERY, Maître de conférences à la faculté de droit de l’Université de Caen
4. Monsieur Marc VERICEL, Professeur agrégé de l’Université Jean Monnet Saint- Étienne et Doyen de la faculté de droit
Avant de vous présenter mon rapport de recherche, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Monsieur Stéphane CAPORAL, Professeur agrégé à la faculté de droit de l’Université Jean Monnet Saint Étienne et Doyen honoraire, pour avoir accepté de présider ce jury. Monsieur le Doyen, je vous remercie aussi pour vos conseils et vos indications qui m’ont permis de bien réaliser ce travail.
Je vous remercie également Madame Corinne BLERY, Maître de conférences à la faculté de droit de l’université de Caen, pour avoir accepté de jouer le rôle de rapporteur de ce jury, côté français, et avoir consacrer un temps précieux aussi bien pour la lecture de ma thèse que pour la rédaction du rapport de soutenance. Merci madame pour votre déplacement.
J’exprime mes sentiments de profonde gratitude à monsieur Grégoire BAKANDEJA Wa MPUNGU, Professeurs ordinaire des Universités de Kinshasa, Brazzaville et Paris I Sorbonne, Doyen honoraire à la faculté de droit de l’université de Kinshasa, pour avoir d’abord facilité la signature de la convention de coopération entre l’Université de Kinshasa et l’Université Jean Monnet Saint Étienne et, ensuite, avoir accepté d’être rapporteur de ce jury, côté congolais. Vos observations, monsieur le Doyen, m’ont été d’une grande importance pour la mise au point de certains aspects de ma thèse. Merci pour avoir accepté d’effectuer un très long voyage pour venir composer ce jury.
Je tiens à présenter tous mes hommages à mon Maître, monsieur Marc VERICEL, Doyen de la faculté de droit de l’Université Jean Monnet Saint Étienne et Professeur agrégé, pour avoir accepté d’assurer la direction de ma thèse. Monsieur le Doyen, Vous n’avez pas été pour moi qu’un directeur de thèse en charge des questions scientifiques, mais aussi un soutien sur les plans social et moral. Sans votre soutien, vos remarques, vos observations pertinentes et votre esprit critique humble et savant, la présente thèse n'aurait jamais pu voir le jour.
Sous le titre : « La question de la justice de proximité au Congo », ma thèse a pour objectif : la recherche de l’existence d’une telle justice dans mon pays d’origine, la République Démocratique du Congo (RDC). Il m’a paru important d’exposer dans la partie introductive l’évolution de la justice congolaise avant, pendant et après la période d’occupation, ainsi que les contours du concept « justice de proximité ».
Cette approche historique permet de bien comprendre le fonctionnement actuel du système juridictionnel congolais de proximité à travers son passé, afin d’envisager son avenir.
En droit congolais, malgré son usage par les législateurs aussi bien colonial que de l’après indépendance, la thématique « justice de proximité » n’a pas encore de définition légale.
Face à cette lacune, je me suis référé à la doctrine congolaise. Malheureusement, les auteurs congolais ont encore peu écrit sur cette thématique. Une définition, empruntée dans un glossaire, a été donnée par l’organisation non gouvernementale, RCN Justice & Démocratie, qui a étudié en 2009 "La justice de proximité au Bas-Congo » (Une province de la RDC). Dans cette définition, la justice de proximité serait un "ensemble des structures juridictionnelles et des réseaux d’accès au droit assurant la prévention ou le dénouement de certains litiges et privilégiant le règlement des conflits"[1]. Ce concept (justice de proximité) "part du postulat selon lequel la justice est un service public qui doit être mis au service des citoyens et notamment des populations les plus vulnérables[2]. Mais cette définition m’a paru réductrice du sens à donner à ce concept et à l’étendue des mes ambitions. - Elle ne m’a donc pas semblé devoir être retenue.
La seule possibilité qui me restait de cerner les contours de cette thématique était de recourir à la doctrine étrangère, notamment celle française. - Après avoir consulté un nombre important d’ouvrages de droit français, mais aussi des droits d’autres pays, j’ai retenu les définitions de cinq auteurs : (Anne WYVEKENS et Jacques FAGET, Didier PEYRAT, Romain MONTAGNON, Eveline Severin, auxquelles on peut ajouter celle contenue dans l’étude du Centre de Recherche Critique sur le Droit (CERCRID) sur Les juridictions et juges de proximité » publiée aux éditions l’Harmattan en 2009.
De manière générale, ces auteurs s’accordent sur trois critères canoniques d’une justice de proximité. Il s’agit de :
1° La réduction de la distance géographique ;
2° La réduction de la distance temporelle ;
3° La réduction de la distance sociale ou humaine
A ce troisième critère, j’ai ajouté la dimension économico-culturelle car, ai-je estimé, le manque de moyens financiers et certaines cultures sont des obstacles à l’accès à la justice voire au droit.
Mais, cette définition m’a amené à me poser plusieurs questions :
- Il y a-t-il une véritable justice de proximité au Congo ?
- Si oui, remplit- elle les trois critères canoniques que je viens de cerner ?
- Les juges congolais de proximité arrivent-ils à résoudre l’essentiel des petits litiges ?
- Dans la négative, quelles sont les conséquences de cette incapacité ?
- Comment peut-on remédier à cette situation ?
Telles ont été les préoccupations de ma recherche.
Pour être crédible les résultats de mon étude ne devaient pas s’appuyer uniquement sur des données théoriques, sans que ne soit effectuée une vérification concrète et préalable de terrain. C’est pourquoi, j’ai adopté, non seulement une approche documentaire, mais aussi, celle d’enquête de terrain. Cette démarche très complexe a suscité deux difficultés majeures :
1° La quasi-absence d’ouvrages de droit congolais qui traitent la thématique de mon étude ;
2° La réticence de certains interlocuteurs, notamment les juges, à me fournir l’information nécessaire ;
Pour résoudre la première difficulté, j’ai consulté, soit un petit nombre d’ouvrages de droit congolais datant de l’époque coloniale ou des années qui ont immédiatement suivi l’indépendance, soit des textes législatifs coloniaux, dont certains sont complétés ou modifiés par des lois récentes.
Il faut préciser que dans le cadre de mon étude, il était difficile d’éviter l’utilisation de ces documents, car ils sont étroitement liés à l’histoire de la justice congolaise. Cependant, cette lacune a été vite comblée par la consultation de plusieurs ouvrages de publication récente écrits par des auteurs étrangers, mais aussi par très peu d’auteurs congolais, que j’ai mentionnés dans la bibliographie.
S’agissant de la réticence des juges, je me suis efforcé de convaincre les uns, et de m’adresser également aux anciens fonctionnaires de la justice pour obtenir certaines données.
Comme vous l’avez constatez, le plan de ma thèse comporte deux approches différentes qui pourraient laisser penser à deux thèses regroupées en une seule : une partie de droit comparé, et une autre de pur droit congolais de proximité. Mais il s’agit bien en réalité d’une seule thèse. Au départ, il était envisagé d’opérer une étude comparative entre la justice de proximité au Congo et en France. Mais en cours de route, mon directeur de thèse et moi avons constaté qu’une telle comparaison n’avait pas de sens en raison de la différence totale de problématiques entre la justice de proximité au Congo et en France.
Cependant, pour faire comprendre aux lecteurs français le schéma général de l’organisation juridictionnelle au Congo, dans lequel s’insère la justice de proximité, il restait opportun de conserver l’aspect comparatif pour la première partie. Ce schéma de l’organisation juridictionnelle demeure, pour des raisons historiques, très proche de celui de la France. Mais il n’y a pas pour autant totale identité, car chaque système a ses particularités tenant de son passé et de sa culture.
La justice congolaise de proximité est fort complexe. Une complexité qui résulte, d’une part, du dualisme juridictionnel et, d’autre part, du dualisme juridique : Il y a des tribunaux coutumiers qui appliquent, en principe, un droit coutumier d’essence oral (sous réserve de l’application à titre exceptionnel du droit écrit pour des litiges de faible gravité leur attribués par le législateur), et des tribunaux de droit écrit, composés des les tribunaux de police et les tribunaux de paix, qui appliquent un droit codifié. Il faut signaler que les juridictions de droit écrit sont aussi autorisées d’appliquer des règles de droit coutumier, mais dans des cas rares.
Les tribunaux coutumiers sont répartis en deux catégories : Ceux installés en milieu urbain et ceux installés en milieu rural. Ils sont administrés par les chefs locaux, agents de l’exécutif, assistés éventuellement des notables du milieu.
Les tribunaux de police sont installés dans chaque chef-lieu du territoire rural et administrés par les administrateurs de territoire et leurs adjoints, tous agent de l’exécutif (équivalent des Maires et des adjoints aux Maires en France). Il y avait aussi des tribunaux de police installés en ville, administrés par des juges de carrière. Mais ces tribunaux sont aujourd’hui quasi-inexistants.
L’exercice de la fonction de juge dans tous ces tribunaux par ces agents de l’exécutif constitue une violation du principe de séparation des pouvoirs (c’est donc une confusion des pouvoirs). C’est notamment pour cette raison que le législateur de 1968 avait décidé de supprimer progressivement ces tribunaux en faveur des tribunaux de paix.
Mais, depuis cette réforme de 1968, soit environs 44 ans après, seuls 58 tribunaux de paix sur 167 prévus pour l’ensemble du pays sont installés. - Dans la pratique, il n’y a que 45 tribunaux qui fonctionnent effectivement[3].
Pour vérifier concrètement mes hypothèses de travail, j’ai procédé à une étude de terrain, afin d’évaluer le fonctionnement des tribunaux de paix en 2006. - Cette enquête a eu lieu de décembre 2007 à janvier 2008 auprès des huit tribunaux de paix qui existe à Kinshasa.
Mon échantillon d’enquête était largement représentatif pour plusieurs raisons :
1° Dans les Kinshasa, capitale de la RDC, il y a une forte concentration des juges dans des tribunaux de paix ;
2° Kinshasa est habité par toutes les couches de la population, ayant des coutumes diverses (congolaise et étrangère) ;
3° Actuellement il y a un très petit nombre des tribunaux de paix qui fonctionnent effectivement
Le choix de l’année 2006 pour cette enquête, a été motivé par la publication de la nouvelle constitution de la RDC intervenue en février 2006, supposée être le point de départ de la restauration de l’État de droit et de la réorganisation de la justice.
Avant de procéder à cette enquête, j’ai d’abord élaboré trois types de questionnaire destiné aux juges professionnels, juges assesseurs et greffiers titulaires, et j’ai formé une équipe de trois personnes, y compris moi-même, chacune ayant une tâche précise.
Au total 136 questionnaires ont été distribués. - Au moment du dépouillement, j’ai reçu 121 items remplis, soit 89% de réponses.
Compte tenu de la courte durée de cette enquête qui ne m’a pas permis de vérifier tous les aspects de ma recherche, et au risque de rendre peu crédibles ses résultats, je me suis référé aux enquêtes antérieures de terrain réalisées par d’autres chercheurs, notamment l’étude du professeur Jean Pierre FOFÉ DJOFIA MALEWA sur Justice pénale et réalité sociétale publiée aux édition l’Harmattan en 2007.
Grâce à l’analyse et à la confrontation des éléments récoltés et qui m’ont permis d'élaborer des tableaux et graphiques pour mettre en lumière mon étude, j’ai obtenu les résultats suivants :
Pour la distance géographique : À Kinshasa, plusieurs tribunaux de paix sont éloignés géographique du justiciable. - C’est le cas du tribunal de paix de Kinkole dont le ressort a une superficie de 8 847,58 km2 et qui n’avait enregistré en 2006 que 41 affaires civiles.
Au niveau national, il existe nombre des territoires ruraux ayant des superficies équivalentes à celles de certaines régions françaises, mais qui n’ont pas de tribunal de paix. C’est le cas du territoire de Bondo dans la province Orientale qui a une superficie de 38 075 km2, et du territoire de Fizi dans la province du Nord-Kivu qui a une superficie de 41 745 km².
Concernant la réduction de la distance temporelle : La durée de traitement d’une affaire en 2006 était de 24 mois maximum devant les tribunaux de paix de Kinshasa. Ce qui montre suffisamment que la réduction de la distance temporelle est encore un problème à résoudre au Congo.
Quant à la réduction de la distance socio-économique : Les juges congolais de paix accordent beaucoup plus de temps d’écoute aux plaideurs. Mais cela se justifie notamment par le nombre moins important des affaires inscrites au rôle des audiences. Il n’y a pas de services d’accueil, d’orientation et d’information dans ces tribunaux. La procédure est très couteuse et fort complexe.
Au regard de ces résultats, je peux conclure qu’en l’état actuel de chose, il n’existe pas encore de véritable justice de proximité au Congo.
Il y a un réel dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. C’est ce dysfonctionnement qui est à la base de la création de plusieurs structures informelles de résolution des conflits.
Quant aux juridictions coutumières qui fonctionnent encore, elles sont géographiquement proches des justiciables, et rendent des décisions en temps utiles, la procédure applicable est moins formaliste. Il n’est donc pas approprié de les supprimer comme l’avait prévu le législateur de 1968.
Compte tenu de tous ces éléments, je propose dans ma thèse de repenser le système juridictionnel actuel de proximité.
A titre de remèdes, j’envisage :
1° La suppression des tribunaux de police ;
2°La suppression des tribunaux de secteur et de chefferie pour éviter l’enchevêtrement ;
3°Le maintien des tribunaux de territoire en attendant l’installation des tribunaux de paix ;
4° Le maintien des tribunaux de groupement et la création des tribunaux de quartier ;
5° La création des Guichets d’accueil et d’orientation dans toutes les juridictions de premier degré, exceptés les tribunaux de groupement et de quartier ;
6° La création des Maison de Conciliation et de Médiation (MCM) dans des groupements et des quartiers pour rassembler toutes les structures parallèles ;
7° La répartition des pôles de compétence entre les juridictions de premier degré ;
8° La cessation de service des anciens juges (agents de l’exécutif : administrateurs du territoire et leurs adjoints, les chefs de secteur, chefferie et groupement) et la désignation des nouveaux juges de groupement, de quartier et de territoire (simples citoyens).
Cette désignation devrait se faire par :
1° Le tirage au sort pour les conciliateurs, les juges de groupement, et quartier ;
2° la désignation des médiateurs (parajuristes) par les associations y compris les ONG de droit congolais ;
3° La nomination des juges des tribunaux de territoire par le pouvoir exécutif, après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Ces propositions ne constituent évidemment qu’une première approche. D’autres chercheurs pourront sans doute trouver dans cette étude, des sujets de recherche pour approfondir ce travail et permettre la mise en œuvre de mes propositions, afin que les congolais obtiennent une justice de proximité à la hauteur de leurs ambitions.
[1] "Glossaire de Vie Publique", inhttp://www.vie-publique.fr/th/glossaire/justice-proximite.html, cité par RCN Justice & Démocratie, La justice de proximité au Bas-Congo : Ville de Matadi et District des Cataractes, RCN Justice et Démocratie - Japan International Cooperation Agency, 2009, p. 20.
[2] RCN Justice & Démocratie, op.cit.
[3] International Bar Association et l’International Legal Assistance Consortium, « Reconstruire les tribunaux et rétablir la confiance : une évaluation des besoins du système judiciaire en République démocratique du Congo », Août 2009, p. 19.