Cass. 1e civ. 20 décembre 2012 n° 11-19.682 (n° 1507 FS-PBI), Roncin c/ Sté Cilaos et a.
Suivant promesse synallagmatique du 23 avril 2004, des propriétaires en indivision s'engagent à vendre une parcelle de terrain à une société. La réitération par acte authentique doit intervenir dans les 2 ans au plus tard, avec prorogation tacite par périodes successives de 3 mois sauf dénonciation. Le 12 avril 2005, les coïndivisaires signent avec la commune une autre promesse synallagmatique de vente de la même parcelle.
L'acte authentique de vente au profit de la commune est signé le 26 septembre 2006 puis publié le 31 octobre suivant. Pourtant, par lettre du 19 septembre 2006, la société informait le notaire rédacteur de l'acte de l'existence de la première promesse et de son intention de la réitérer par acte authentique. Las ! Par courrier du 22 septembre, le notaire se contentait de répondre qu'il avait déjà été chargé de régulariser un [second] compromis de vente, signé par la commune.
En appel, le notaire est condamné, solidairement avec la commune, à indemniser la société. Ayant régularisé un acte authentique en méconnaissant les droits antérieurs de la société, lesquels avaient été portés à sa connaissance quelques jours auparavant, le notaire a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Censure de la Cour de cassation. Le premier compromis de vente n'ayant pas été publié, il était inopposable aux tiers. Le notaire ne pouvait donc pas refuser d'instrumenter l'acte de vente requis par la commune.
La cassation est prononcée au visa de l'article 1382 du Code civil et de l'article 3 de la loi du 25 ventôse an XI (loi contenant organisation du notariat) selon lequel les notaires « sont tenus de prêter leur ministère lorsqu'ils en sont requis ». Cette obligation d'instrumenter disparaît toutefois et mute même en devoir contraire lorsqu'il existe des motifs légitimes obligeant le notaire à refuser de prêter son ministère à une opération donnée. La solution ne pose guère de difficultés lorsqu'il s'agit d'une opération contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, ou encore lorsqu'elle conduirait le notaire à transgresser un devoir professionnel. La question est en revanche plus délicate lorsque l'acte à recevoir le serait en fraude des droits des tiers (F. Hébert, note sous Cass. 1e civ. 11-7-2006 n° 03-18.528 : Defrénois 2006 art. 38506). Mais la Cour de cassation tire manifestement ici toutes les conséquences de l'objectivation de la publicité foncière réalisée ces dernières années en cas de conflit entre acquéreurs successifs d'un même bien, laquelle consacre le triomphe du second acquéreur, pourvu qu'il ait publié le premier et peu important qu'il ait eu connaissance de la première cession (Cass. 3e civ. 10-2-2010 n° 08-21.656 : Bull. civ. III n° 41 ; Cass. 3e civ. 12-1-2011 n° 10-10.667 : Bull. civ. III n° 5). Ce qui conduit ici les magistrats de la première chambre civile à énoncer que « la promesse synallagmatique de vente du 23 avril 2004, n'ayant pas été publiée, était inopposable aux tiers en sorte que le notaire ne pouvait refuser d'instrumenter l'acte de vente requis par la commune (…) ». La cour d'appel avait d'ailleurs rejeté l'action en nullité exercée par la société à l'encontre de la vente du 26 septembre 2006 au profit de la commune. Seule consolation pour la société évincée, la cassation n'est prononcée que du chef de la condamnation du notaire, la commune restant tenue de verser les dommages intérêts accordés en appel.