Par Muriel Suquet-Cozic, Diplômée notaire, Chargée d’enseignement notarial
Grâce à la loi du 28 mars 2011, adieu les fastidieuses pages d’écriture ? La réponse pourrait ne pas être si simple. Car les mentions manuscrites restent obligatoires pour certains actes notariés, de même que pour les actes sous seing privé dressés par le notaire.
1.
Mesure phare de la loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques (Loi 2011-331 du 28-3-2011 : JO 29 p. 5447 ; pour une présentation d’ensemble, voir BPIM 3/11 inf. 175), l’instauration de l’acte d’avocat a eu tendance à occulter d’autres dispositions dont l’impact sur la pratique quotidienne du notaire est bien plus immédiat.
Doit en particulier retenir l’attention la dispense de mention manuscrite, en vigueur depuis le 30 mars 2011, introduite au Code civil en ces termes : « L’acte reçu en la forme authentique par un notaire est, sauf disposition dérogeant expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi. » (C. civ. art. 1317-1 nouveau). Notons que l’acte sous seing privé contresigné par un avocat a été doté d’une disposition strictement identique (Loi 71-1130 du 31-12-1971 art. 66-3-3 nouveau), ce qui a contraint le législateur à montrer la même mansuétude envers l’acte notarié.
2.
Cette dispense étant une règle d’exception, il convient d’en circonscrire le domaine avec précision. En visant « l’acte reçu en la forme authentique par un notaire », le nouveau texte désigne l’acte notarié pris en sa qualité d’instrumentum et non de negotium, ce qui impose d’examiner l’application de la règle à tous types d’écrits notariés et non aux seuls « actes juridiques » au sens civiliste.
Mentions manuscrites concernées
3.
La loi prévoit de nombreux cas dans lesquels l’une des parties - jugée la plus faible - doit apposer une mention manuscrite au sein de l’acte qu’elle signe. Parmi les principales dispositions en ce sens, certaines indiquaient expressément, dès avant la loi du 28 mars 2011, qu’elles ne concernaient que l’acte sous seing privé :
- la mention en lettres et en chiffres de la somme d’argent objet d’un engagement unilatéral (C. civ. art. 1326) ;
- le cautionnement par une personne physique d’un crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier (C. consom. art. L 313-7) ;
- le cautionnement par une personne physique au profit d’un créancier professionnel (C. consom. art. L 341-2).
Quant aux autres dispositions, la jurisprudence n’a pas attendu l’intervention tardive du législateur - réclamée de longue date par le notariat - pour écarter leur application à l’acte authentique. Il en va ainsi des mentions suivantes :
- la mention de solidarité dans le cautionnement par une personne physique d’un crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier imposée par l’article L 313-8 du Code de la consommation (Cass. 1e civ. 24-2-2004 n° 01-13.930 : RJDA 8-9/04 n° 1029) ;
- la mention de solidarité dans le cautionnement par une personne physique au profit d’un créancier professionnel imposée par l’article L 341-3 du Code de la consommation (Cass. com. 6-7-2010 n° 08-21.760 : RJDA 12/10 n° 1186) ;
- les mentions imposées par l’article 22-1 de la loi 89-462 du 6 juillet 1989 en cas de cautionnement d’un bail d’habitation (Cass. 3e civ. 9-7-2008 n° 07-10.926 : RJDA 10/08 n° 997).
En pratique, la seule mention manuscrite bénéficiant véritablement de la dispense est celle de la loi Scrivener.
4.
En fin de compte, la seule mention manuscrite que l’on rencontrait encore fréquemment dans les actes notariés jusqu’à l’intervention de la loi du 28 mars 2011 était la mention de renonciation à la condition suspensive d’emprunt imposée par la loi Scrivener.
La dispense introduite par la loi du 28 mars 2011, aussi appréciable soit-elle, a donc pour l’acte notarié un impact bien plus limité que pour l’acte sous seing privé d’avocat.
La mise en œuvre de la dispense suppose quelques précautions.
Dans l’acte notarié principal
Un devoir d’information renforcé
5.
Dispenser signifie permettre à quelqu’un de ne pas faire quelque chose qui est ordonné (Littré). Malgré la formulation maladroite de l’article 1317-1 du Code civil, ce n’est pas l’acte notarié lui-même qui est dispensé de toute mention manuscrite, pas plus qu’il ne saurait être tenu d’une quelconque obligation. Ce sont ses signataires : son rédacteuren premier lieu, qui est dispensé de prévoir la mention manuscrite au sein de l’acte ; les parties ensuite qui sont dispensées de l’apposer.
6.
Mais les autres obligations demeurent, au premier rang desquelles le devoir d’information du notaire (Règlement national approuvé par arrêté du Garde des Sceaux du 24-12-2009, introduction et art. 3.2.1 : JO 16-1-2010), qui est laraison d’être de la dispense.
En effet, les mentions manuscrites ont été imaginées par le législateur essentiellement dans le domaine consumériste pour s’assurer que la partie faible avait pleinement conscience de son engagement. La suppression de toute mention doit donc être compensée par une information équivalente fournie par le notaire. Il en ressort que, lorsqu’une mention manuscrite en principe obligatoire est évitée en vertu de l’article 1317-1, le devoir d’information du notaire - et sa responsabilité - en est renforcé d’autant. Cette « dispense », qui peut paraître un cadeau, n’en est donc pas un, bien au contraire.
La preuve de l’information délivrée
7.
Dès lors, la suppression de toute mention manuscrite ramène à un problème bien connu : celui de la preuve que le conseil a été délivré au client. En l’occurrence, il s’agit pour le notaire d’établir que le client a signé l’acte en parfaite conscience de l’étendue de son engagement.
Pour cela, plusieurs techniques sont offertes. La plus simple, et qui constitue désormais un minimum en pareille hypothèse, consiste à faire déclarer verbalement au client la teneur de la mention manuscrite et à rapporter cettedéclaration dans l’acte.
Exemple : Pour la mention manuscrite de renonciation à la condition suspensive de prêt (C. consom. art. L 312-17), on indiquera dans l’acte authentique contenant vente en l’état futur d’achèvement : « L’acquéreur a déclaré au notaire soussigné que le solde du prix serait payé sans l’aide d’un prêt. En conséquence, il a déclaré avoir été informé que s’il recourait néanmoins à un prêt, il ne pourrait se prévaloir de la non-obtention de ce prêt pour mettre fin à son acquisition et ne pas payer le solde du prix. »
8.
La reconnaissance de conseil donné - ou, plus précisément ici, de l’information donnée - peut théoriquement être aussi une solution mais sa lourdeur lui confère bien peu d’avantages par rapport à la mention manuscrite qu’il s’agit d’éviter.
9.
Enfin, rien ne semble empêcher le notaire de continuer à insérer la mention manuscrite à l’acte s’il le souhaite. Qui peut le plus peut le moins. Les circonstances de l’espèce pourront en effet l’amener à privilégier un mode de preuve quasiment incontestable par le client établissant que l’information a été portée à sa connaissance.
Actes notariés non concernés
10.
Notons que certains actes notariés ne pourront pas échapper aux mentions manuscrites. Ce sera le cas lorsque la mention est imposée par une disposition dérogeant expressément à l’article 1317-1 du Code civil. Ce texte réserve en effet la possibilité d’exceptions si elles visent spécialement cet article.
Au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2011, ces exceptions n’existaient par définition pas encore. Elles seront a priori rarissimes car l’obligation d’apposer une mention manuscrite ne peut désormais s’expliquer que par une insuffisance du devoir d’information et de conseil du notaire pour protéger les parties. On conçoit donc mal leshypothèses qui pourraient être concernées. A noter que la situation est différente pour l’acte sous seing privé d’avocat malgré l’existence d’un semblable devoir de conseil, en raison des risques de falsification ultérieure de l’acte (sur cette question voir L. Leveneur, La loi du 28 mars 2011 et les mentions manuscrites : Contrats, conc., consom. 2011 repère 5).
Dans les autres types d’actes
11.
En ne visant que « l’acte reçu en la forme authentique par un notaire », autrement dit l’acte notarié, le législateur laisse subsister les mentions manuscrites dans les actes sous seing privé dressés par le notaire. Ainsi, les mentions manuscrites imposées par la loi demeurent obligatoires dans :
– les promesses de vente sous seing privé. Cela devrait être de nature à susciter un regain d’intérêt pour les promesses authentiques (l’interdiction, édictée par la même loi, de procéder aux formalités de publicité foncière d’un acte sous seing privé déposé au rang des minutes d’un notaire va également en ce sens) ;
– les procurations sous seing privé. En la matière, le système est le suivant. La dispense de mention manuscrite dépend uniquement de la forme de la procuration, quel que soit l’acte auquel elle est destinée. Dans l’acte principal, qu’il soit sous seing privé ou authentique, le mandataire n’appose pas lui-même de mention manuscrite puisqu’il ne s’engage pas pour son propre compte. Il ne fait que relater la mention manuscrite apposée par son mandant dans la procuration (si elle est sous seing privé) ou la déclaration de son mandant dactylographiée dans la procuration (si elle est notariée).
Exemple : Dans l’acte notarié de vente d’immeuble dont le prix est payable à terme, le mandataire de l’acquéreur déclarera : « M.…, mandataire de l’acquéreur, indique qu’aux termes de la procuration sous seing privé en date à… du… demeurée annexée aux présentes, M.… (acquéreur) a déclaré qu’il paierait le solde du prix de la présente vente sans l’aide d’un prêt. Par suite, M.… (acquéreur) a apposé de sa main dans cette procuration la mention suivante : (recopier exactement la mention manuscrite. Par exemple : « Je déclare être informé que si je recours néanmoins à un prêt, je ne pourrai me prévaloir de la non-obtention de ce prêt pour mettre fin à l’acquisition de l’appartement… et ne pas payer le solde du prix de vente. ») En conséquence, la présente vente n’est pas subordonnée à la condition suspensive d’obtention d’un prêt par l’acquéreur. »
12.
Bien entendu, mais cela va mieux en le disant, le nouvel article 1317-1 du Code civil n’apporte aucun changement aux mentions manuscrites que le client pourrait porter seul dans un document isolé :
- la renonciation à la condition suspensive de prêt (C. consom. art. L 312-17) rédigée par le client hors de tout acte, le cas échéant par courrier, entre l’avant-contrat et l’acte authentique de vente d’immeuble ;
- les mentions exigées dans un cautionnement sous seing privé ; le fait que celui-ci garantisse un engagement principal pris dans un acte notarié est indifférent ;
- le testament olographe - document sous seing privé - dont les règles de rédaction (C. civ. art. 970) ne sont nullement concernées ici ;
- les mentions manuscrites exigées dans le cadre du droit de rétractation ou de réflexion de l’acquéreur immobilier en cas de remise en main propre de l’avant-contrat ou du projet d’acte authentique (CCH art. D 271-6 et D 271-7). Ces mentions ne peuvent être évitées car elles ne sont pas apposées au sein de l’acte et dans le cadre de sa signature mais ultérieurement (antérieurement, dans le cas du droit de réflexion) à l’occasion de l’accomplissement d’une formalité de notification de celui-ci. En tout état de cause, lorsque l’avant-contrat est notarié (seul cas où l’on aurait pu envisager une dispense), c’est une copie de celui-ci qui doit supporter la mention manuscrite d’après l’article D 271-6 du CCH, signe que l’article 1317-1 du Code civil ne peut pas trouver application en la matière (pour plus de précisions sur cette question, voir M. Suquet-Cozic, Droit de rétractation de l’acquéreur immobilier : les modalités de remise de l’acte en main propre précisées par décret… Tout ça pour ça ! : BPIM 1/09 inf. 1.
Conclusion
13.
La dispense de mentions manuscrites, véritable consécration du devoir d’information et de conseil, est une mesure dont on ne peut que se féliciter. Sa mise en œuvre requiert toutefois un peu d’attention afin que la responsabilité du rédacteur ne puisse être engagée pour manquement à ce devoir fondamental.
Le nouvel article 1317-1 du Code civil devrait ainsi logiquement amener les notaires à rédiger plus d’actes authentiques, en particulier pour les avant-contrats de vente d’immeuble. Mais le notaire n’est-il pas le professionnel de l’acte authentique ?
Source: Editions Francis Lefebvre