DE L’ART OU DE LA CHANCE DE SE REVEILLER A TEMPS EN MATIERE DE BAUX COMMERCIAUX
La signature d’un bail est parfois, notamment pour les preneurs même professionnels mais cela peut également le devenir pour les bailleurs, une aventure dans un monde que l’on pourrait qualifier de jungle organisée car reposant sur des rapports de force que la loi doit corriger mais à la condition qu’elle ne soit pas volontairement ou involontairement détournée.
Ainsi à titre d’exemple caractéristique, un esprit simple mais non dénué d’une certaine logique pourrait considérer qu’un commerçant qui a signé « par erreur » ou que l’on a « enduit en erreur » un contrat de bail civil ou de location gérance peut demander la requalification de son contrat en bail commercial protégé par le statut des baux commerciaux car il s’agit en dehors de cas strictement encadrés par la loi ou la jurisprudence de dispositions relevant de l’ordre public.
Un arrêt rendu par la Cour de Cassation 22 janvier 2013 sur une question préalable dite de constitutionalité, confirmant deux arrêts précédents de la cour de cassation, précise que:
« La demande tendant à la reconnaissance du statut des baux commerciaux a été soumise à la prescription biennale et que le délai de prescription courait à compter de la conclusion du contrat, la Cour d’Appel qui a relevé que le contrat de location gérance dont la requalification était demandée avait été conclu le 13 décembre 1999 et que l’existence d’un contrat postérieur entre les parties n’était pas établi en a exactement déduit que l’action de la société … était prescrite ».
La société locataire avait effectivement revendiqué le bénéfice du statut des baux commerciaux le 17 mai 2004, soit plus de quatre ans après la conclusion du bail initial.
Sur le plan de la logique juridique interne qui est parfois assez éloignée de la logique commune comme l’apprennent non parfois sans étonnement les étudiants de droit civil, cette décision se justifie puisqu’il ressort des dispositions de l’article L 145-60 du code de commerce que toutes les actions résultant du statut des baux commerciaux se prescrivent de manière biennale au nom probablement de ce qu’il est convenu d’intituler le principe de sécurité juridique qui ne fait pas toujours bon ménage avec celui d’équité.
Il n’en reste pas moins que cette solution, lorsque l’on applique à des cas d’espèce où le preneur, victime d’un rapport de force économique ou tout simplement culturel défavorable, se réveille trop tard et cela est très souvent le cas, est particulièrement injuste.
Il est à cet égard regrettable que par analogie aux règles de prescription en matière d’abus de bien social qui ont fait l’objet d’une âpre bataille en son temps tant sur le plan juridique que purement politique, la prescription devrait démarrer à partir du moment où le preneur a conscience que son bail aurait dû être régi par le statut des baux commerciaux.
En effet, la question de la requalification du contrat de bail se pose avant tout lorsqu’une difficulté sérieuse survient, ce qui n’a pas empêché la Cour de Cassation dans un nouvel arrêt en date du 11 juin 2013 de confirmer sa jurisprudence de principe en la matière.
Cependant, nous rappellerons qu’a priori la prescription ne peut être opposée lorsque la requalification est demandée reconventionnellement par voie d’exception (CA Paris 29 novembre 2006 : AJDI 2007 page 199).
Il n’en reste pas moins qu’il existe à notre sens une contradiction évidente entre le principe légal selon lequel un bail commercial est assujetti de plein droit au statut dit de la propriété commerciale et le fait que le preneur serait contraint d’agir dans un délai de deux ans pour se voir reconnaître des droits locatifs qui découlent des dispositions d’ordre public de la loi.
Ne serait-il pas opportun de faire coïncider pleinement et simplement les principes du droit et ceux de l’équité au nom de l’unité de la justice ?
Jean-Jacques Dulong
avocat à la cour de Paris
spécialiste en droit immobilier