La Cour de cassation a reconnu pour la première fois qu’un livreur de repas à domicile pour le compte de la société Take Eat Easy exerçait une activité en tant que salarié (Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 28 novembre 2018, n° 17-20.079, Inédit).
Dans de telles situations, difficile de dire si un employeur dispose d'un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction sur un livreur exerçant en tant qu’auto-entrepreneur.
Habituellement, ces trois éléments permettent aux juges de décomposer les tâches effectuées par les travailleurs au profit de leurs donneurs d’ordres. En réalité, ces indices doivent être appréciés de façon globale de sorte à pouvoir caractériser un lien de subordination juridique.
A ce jour, c’est désormais chose faite.
En premier lieu, il n’est pas anodin que plusieurs décisions antérieures relèvent que les plateformes numériques - comme tout autre client – soient libres d’imposer certaines contraintes dans leur cahier des charges (Cour d’appel de Paris, 30 janvier 2014, n° 13/05587 ; Cour d’appel de Paris, 19 mars 2014, n° 11/00949).
Dans le même courant d’idée, la Cour d’appel de Paris qui fut saisie dans le cadre de cette affaire, soulignait que le coursier restait libre de déterminer lui-même chaque semaine les plages horaires au cours desquelles il souhaitait travailler. Or en définissant ainsi des « shifts » (périodes durant lesquelles le coursier fixe ses horaires de travail) l’employeur n’imposait pas un planning aux salariés.
Cette analyse a pourtant été tenue en échec par le système de sanctions (« strikes ») instauré par Take Eat Easy, notamment en cas de :
- désinscription tardive d’un « shift » (inférieur à 48 heures) ;
- connexion partielle au « shift » (en-dessous de 80 % du « shift ») ;
- « No-show » (signifiant être inscrit à un « shift » mais non connecté à l'application) ;
- circulation sans casque (etc.),
Autrement dit, l’argument de la plateforme Take Eat Easy selon lequel aucun horaires n’avait été imposés n'a pu prospérer car en effet, d’une part ceux-ci étaient définis deux jours à l’avance et d’autre part, ils devaient être effectués en continu et à hauteur de 80% du temps représentant chaque « shift ».
En second lieu, l’employeur doit exercer un pouvoir de contrôle sur ses salariés dans l’exécution de leurs prestations de travail. Ainsi dans sa décision, la Cour de cassation accorde une place d’importance à ce fondement, en décidant que : « l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus ».
Gardant à l'esprit que l’activité concernée est celle de la livraison à domicile : suivre un livreur dans ses déplacements est en effet un moyen de contrôle privilégié.
Enfin, en troisième lieu, l’existence du pouvoir de sanction dont disposait l’employeur en l’espèce est sans équivoque pour les magistrats de la plus haute juridiction française.
Le pouvoir de sanction de la société Take Eat Easy est affirmé au regard du système de « strikes » (v. ci-dessus) mis en place par la plateforme numérique, pouvant aller jusqu’à priver ses salariés de l’accès aux courses ou livraisons disponibles.
Pire encore, le salarié était convoqué dans les bureaux de Take Eat Easy, par exemple en cas :
- d’insultes, de conservation des coordonnées, ou de tout autre comportement grave à l’égard d’un client ou d’un « support » (restaurateur la plupart du temps) ;
- de cumul de retards importants sur livraisons ;
- de circulation avec un véhicule à moteur ;
D’autant plus que le système de sanction Take Eat Easy allait jusqu’à l’exclusion du coursier dès lors qu’il cumulait un motif de convocation disciplinaire avec l’une des sanctions exposées plus haut (un strike) au cours d’une période d’un mois consécutif.
S’accaparant d’une approche plus compatible avec la flexibilité du marché du travail la Cour de cassation se montre innovante dans l’appréciation qu’elle fait du pouvoir de sanction de l’employeur, se détachant ainsi des sanctions classiquement retenues en droit du travail.
Finalement, la requalification du travail des livreurs de plateformes numérique va permettre aux livreurs de bénéficier d’une durée légale du travail et par voie de conséquence, être rémunérés au titre des heures supplémentaires qu’ils effectuent. Idéalement, ils devront percevoir également des indemnités de congés payés et de licenciement, en plus de l’indemnisation chômage lors de la rupture du contrat avec la plateforme numérique qui les embauche.
To be continued …