La mosquée Sainte Sophie ou la fin du rêve d'un patrimoine universel

Publié le 14/07/2020 Vu 1 377 fois 0
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La récente décision du Président Erdogan de rouvrir Sainte-Sophie au culte musulman est incompatible avec sa classification au patrimoine mondial de l'UNESCO, de même qu'elle semble battre en brèche le principe de laïcité.

La récente décision du Président Erdogan de rouvrir Sainte-Sophie au culte musulman est incompatible avec s

La mosquée Sainte Sophie ou la fin du rêve d'un patrimoine universel

En rétablissant le statut de mosquée de l’ex-basilique Sainte-Sophie, Erdogan poursuit le dessein de sa campagne électorale (ce qui rappelle l'engouement d'un autre chef d'Etat) et parvient à déstabiliser une fois de plus les relations entre son pays avec l'Union Européenne.

La mosquée Sainte-Sophie d'aujourd'hui, fut érigée au VIè siècle par Justinien et constitue un symbole de l'art byzantin. Il faudra attendre 1453 pour que cet héritage chrétien passe aux mains des musulmans lors de la conquête de Constantinople, tout en ayant été préservée au fil des siècles (la même qui fut Byzance et maintenant Istanbul).

Quelques années après la chute de l'Empire Ottoman, en 1934, le Président Atatürk a fait don de la mosquée Sainte-Sophie, en la transformant en musée attirant jusqu'alors plusieurs millions de visiteurs chaque année.

De plus, Sainte-Sophie est classée comme « composante des Zones historiques d’Istanbul » et fait l'objet d'une inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Minimisant ainsi la portée des actes du Président turc, son porte parole, Ibrahim Kalin, assure que « l’ouverture au culte ne fera rien perdre de son identité d’héritage culturel mondial ».

Il faut rappeler que la Turquie est  signataire de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel 1972. A cet égard, la Directrice générale de l'UNESCO, Audrey Azoulay, a déclaré en ce sens que :

"La décision annoncée aujourd’hui soulève la question de l’impact du changement de statut sur la valeur universelle du bien. Ainsi, un État doit veiller à ce qu’aucune modification ne porte atteinte à la valeur exceptionnelle universelle d’un bien inscrit sur son territoire. Toute modification en ce sens doit faire l’objet d’une notification préalable à l’UNESCO et, le cas échéant, d’un examen par le Comité du Patrimoine mondial."

La décision d'Erdogan prise par Décret du 10 juillet, abrogeant la décisions de son prédecesseur, le Président Atatürk, confie l'administration de Sainte-Sophie à la Diyanet (l'Autorité des affaires religieuses en Turquie). Le Président a également annoncé la réouverture prochainement pour accueillir la pratique du culte musulman. 

Cette décision politique, qui figurait déjà parmi les promesse de la campagne des municipales à Istanbul en 2019, fait suite à l'arrêt du Conseil d'Etat Turque sur saisine d'associations visant à empêcher les pratiques religieuses aux abords et dans ce lieux de culte extra-ordinaire.

Les arguments à la fauveur de cette décision unilatérale florissent :

  • Recep Tayyip Ergogan affirme, pour sa part, que la transformation de Sainte-Sophie en mosquée relevait des « droits souverains » de son pays. L'argument est pourtant tout à fait vide de sens car l'essence d'un traité est la souveraineté d'un Etat, qui consent à un engagement international.

 

  • L'appartenance de la mosquée - en tant qu'héritage de l'Empire Ottoman - aux musulmans. Reprenant le fil de l'histoire, la conquête musulmane du XIXè siècle a en effet pu opérer un transfert de la propriété de l'ex-basilique Sainte-Sophie au profit de l'Empire ottoman.

 

  • Plus précisément, le Conseil d'Etat Turque a entériné l'argument selon lequel depuis la conquête ottomane, la mosquée Sainte-Sophie était la propriété de la Fondation Faith - Sultant - Mehmet - Han, dont les statuts prrvoyaient la destination de mosquée, à l'exclusion de tout autre usage.

 

Or si l'on met de côté l'impact au plan international, notamment le fait que la Convention de l'UNESCO de 1972 ne soit pas dotée d'un effet juridiquement contraingnant pour les justiciables, ni d'un mécanisme de résolution des différends, il n'en demeure pas moins que la règle de droit subit une atteinte d'une gravité exceptionnelle.

En effet, sous couvert de la géopolitique et de sa prochaîne réelection, le pouvoir Turque vient d'affaiblir - par un acte sans précédent - la laïcité dans son Etat de droit.(1)

Car si Sainte-Sophie a été présentée avant tout comme la "propriété de l'Etat turc" et que le respect de sa destination en tant que lieux de culte ne peut être démentie, le pouvoir politique, en d'autres termes le sommet de l'Etat, n'aurait jamais dû s'immiscer dans les affaires religieuses de son pays.

L'aborgation du Décret d'Atatürk remet « en cause l’un des actes les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque » tel qu'à pu déplorer le Ministre des affaires étrangères français, J.-Y. Le Drian.

Toutefois, il serait vain d'assimiler le Diyanet au pouvoir Etatique turc (selon une vision centrée sur l'Europe) malgré que l'acte de grouvernement du Président Turque soit questionnable pour au moins trois raisons :

  • la Cour Constitutionnelle a désigné l'Etat turc pour limiter ou interdire les cas de mauvaise utilisation ou d'exploitation de la religion dans une perspective de protection de l'ordre public ;

Or ceci ne recouvre que des actes de contrôle ou de restriction et non pas des actes positifs pouvant être assimilés à une ingérance de l'Etat dans les affaires religieuses.

  • De même que l'expression : "une religion qui ne gouverne ni n'influe sur les affaires de l'Etat" ne signifie-t-il pas que par la réciproque, l'Etat n'a pas à influer sur les affaires de la religion.
  • D'autant plus que l'Etat se voit confier expressement le rôle de : "garant de l'ordre public" lui permettant de disposer d'un droit de regard sur les affaires religieuses.

A ce niveau là, ce n'est plus géopolitique, ni électoraliste, de la part du Président Ergogan ,mais simplement contraire aux valeurs les plus essentielles garanties par la Constitution (article 2 , inscrit par la loi n° 3115 du 5 février 1937 inscrivant le principe de laïcité dans la Constitution).

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(1) La laïcité en Turquie ne s'entend pas tout à fait au sens de la laïcité par la loi de 1905  sur la séparation entre l'église et l'Etat. L'avènement de la République Turque s'en suit d'un processus de laïcisation de l'Etat qui a par la suite infusé la société turque.

Plus précisément, un arrêt de la Cour Constitutionnelle turque du 21 octobre 1971 détaille les rapports entre l'Etat et la religion :

"La Cour revient sur ce que doit la laïcité à l'héritage de l'institution ecclésiale en Europe, et sur ses différences avec l'islam où il n'existe pas de clergé (...) le principe de laïcité présent dans la Constitution de la République de Turquie signifie précisément :a) l'adoption de principe que la religion ne gouverne ni n'influe sur les affaires de l'Etat ;b) la garantie constitutionnelle de la religion par la reconnaissance d'une liberté illimitée de la religion en ce qui concerne la convition religieuse, en rappport avec la vie spirituelle des individus ;c) l'adoption de limitations et l'interdiction d'une mauvaise utilisaition et d'une exploitation de la religion, dans le but de protéger l'ordre public, la sécurité et les intérêts publics liés au domaine dela religion, contre ce qui sortirair du domaine de la vie spirituelle des individus et influencerait l'activité et le comportement de la vie sociale;d) la reconnaissance d'un droit de regard de l'Etat, en tant que garant de l'ordre public et des droits publics sur les libertés et drotis religieux" 
Citation : É. MASSICARD, « L’organisation des rapports entre État et religion en Turquie », CNRS / CERAPS,‎ 2004
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