En droit de la mer, il existe une interaction entre d'une part, la loi du pavillon d'un navire (assimilable à sa nationalité) qui a vocation à régir son statut ou de façon plus générale, définie la règlementation applicable, puis d'autre part, la loi des Etats côtiers aux abords desquels voguent les navires.
Selon les termes d'Emile Jarmache, chargé de mission au secrétaire général de la mer : "Quelle que soit l’avancée de la puissance riveraine, celle-ci doit être bornée par les nécessités de la liberté de la navigation ; le navire reste attaché à l’Etat dont il porte le pavillon"1. La citation résume l'esprit qui anime la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM ou UNCLOS pour United Nations Convention on the Law of the Sea) entrée en vigueur le 16 novembre 1994.
Dans le même ordre d'idée en matière de la pollution marine, l’article 228 de ladite Convention instaure un mécanisme de suspension des poursuites de l'Etat Côtier au profit de l'Etat du pavillon. Ce texte dispose que :
"lorsque des poursuites ont été engagées par un Etat en vue de réprimer une infraction aux lois et règlements applicables ou aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution par les navires, commise au-delà de sa mer territoriale par un navire étranger, ces poursuites sont suspendues dès lors que l’Etat du pavillon a lui-même engagé des poursuites du chef de la même infraction, dans les six mois suivant l’introduction de la première action, à moins que celle-ci ne porte sur un cas de dommage grave causé à l’Etat côtier ou que l’Etat du pavillon en question ait à plusieurs reprises manqué à son obligation d’assurer l’application effective des règles et normes internationales en vigueur à la suite d’infractions commises par ses navires."
Dans l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 septembre 2019 (pourvoi n° 18-85.846, Publié), un contentieux portait non pas sur le potentiel conflit entre les juridictions compétentes, mais plutôt, était relatif à un principe connu en droit français de dualité des ordres administratif et judiciare.
Il convient de revenir tout d'abord sur les faits de l'affaire en cause.
Brièvement, un navire battant pavillon du Libéria déverse une nappe d'hydrocarbures proche des côtes françaises. Des poursuites sont engagées contre la société exploitant le navire, puis l'Etat du Liberia sollicite une suspension des poursuites de la part des autorité françaises, invoquant l'article 228 précité. Le litige s'éleve jusqu'en cassation du fait du refus des autorités françaises de suspendre les poursuites judiciaires intentées contre ce navire polluant.
La Cour de cassation devait ainsi se prononcer, au plan procédural, sur la coopération entre les autorités de l'Etat côtier et celles de l'Etat du pavillon en cas de refus de suspension des poursuites, tel que c'était le cas en l'espèce. Les dispositions non reproduites de l'article 228 (cf. l'article in fine) confèrent en effet au Premier ministre, le soin d'adresser un refus motivé aux autorités (défaillantes) de l'Etat du pavillon.
Le premier écueil rencontré dans cet arrêt n'échappera donc pas aux lecteurs avertis, qui constateront que la juridiction judiciaire est a priori incompétente pour statuer sur la décision du Premier Ministre, dont le contrôle revient au juge naturel des actes de la puissance publique, c'est-à-dire au Conseil d'Etat.
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire relève en ses termes les constatations faites par les juges du fond :
"les juges relèvent que, dans la note du 2 novembre 2016 notifiée au Liberia, le Premier ministre français n'a pas fait valoir l'une des clauses de sauvegarde aux termes desquelles l'État côtier n'est pas tenu de déférer à la demande de suspension des poursuites présentée par l'Etat du pavillon ;"
Or la décision de la Cour d'appel de Rennes est censurée au premier chef car celle-ci avait porté une appréciation sur la validité de la décision du Premier ministre, outrepassant son domaine de compétence juridictionnelle.
Pour autant, le Code pénal prévoit en son article 111-5 du Code pénal que le juge répressif peut : "interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et (...) en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis." Selon cette dernière approche, la solution retenue par la Cour de cassation peine donc à nous convaincre.
En dépit de cela, le raisonnement de la Cour de cassation repose sur la notion d'actes indissociables de la conduite de la politique étrangère de la France. Les décisions ne sont alors plus justiciables et échappent de ce fait au contrôle du juge répressif, comme le rappelle la Cour, mais également au contrôle du juge administratif.
Concrètement, il faut comprendre de cet arrêt que le refus de suspendre les poursuites initiées par l'Etat côtier - nonobstant les conditions substantielles citées par le texte de la Convention, notamment à raison d'un dommage grave causé à l'Etat côtier ou bien dans l'hypothèse d'une législation étrangère jugée défaillante par celui-ci - échappe tout simplement à un contrôle de la part du juge.
La Cour de cassation livre une analyse fidèle aux conceptions défendues par les internationalistes, qui réfutent l'effet direct des dispositions de la Convention de Montego Bay devant les tribunaux. Effectivement, il revient strictement au même de dire que les décisions administratives ne peuvent pas faire l'objet d'un recours d'une part, que de dire que les dispositions à l'appui desquels la décision est prise n'est pas applicable ou ne peut être invoquée devant un juge, d'autre part.
Par un attendu final ainsi rédigé : "Mais attendu qu'en portant ainsi une appréciation sur la validité de la décision du Premier ministre, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;" la censure est rendue au double visa de l'article 228 (dépourvu d'effet direct) et du principe de non-justiciabilité des actes indétachables de la condute des relations internationales de la France.
Sans pour autant abandonner ses fameux "attendus", la Cour de cassation entend subtilement réformer la motivation des arrêts qu'elle rend pour en faciliter la compréhension. Et ce n'est pas un leurre.
1. Compte-rendu de Patrick Chaumette Institut du Droit Economique de la Mer (INDEMER), Monaco, 5 février 2015