Les Faits
En l'espèce, La Régie autonome des transports parisiens (RATP), alors représentée par Mme T , directrice du département gestion et innovations sociales, en vertu d'un pouvoir délivré le 17 septembre 2002 par le président directeur général de cet établissement, a conclu avec des syndicats, les 3 octobre 2002 et 26 juin 2003, des accords collectifs instituant un régime de protection sociale d'entreprise et une mutuelle de groupe, à adhésion obligatoire.
Des cotisations à ce régime ayant été opérées à partir du 1er janvier 2004 sur la rémunération des agents, un salarié, employé comme machiniste depuis 1985, a demandé au juge prud'homal qu'il soit mis fin à ces prélèvements et que le remboursement des cotisations prélevées soit ordonné.
Pour faire droit à cette demande, la cour d'appel a retenu que la délégation de pouvoirs donnée le 17 septembre 2002 à la directrice du département gestion et innovations sociales, par le président directeur général de la RATP alors en fonction, était devenue caduque à la suite de la désignation d'un nouveau président-directeur général le 25 septembre 2002.
Selon la cour d'appel, le nouveau président-directeur général n'ayant délivré une nouvelle délégation de pouvoir remplaçant la précédente que le 20 septembre 2004, il en résultait que la directrice du département gestion et innovations sociales n'avait pas le pouvoir de conclure l'accord du 26 juin 2003 et qu'en conséquence, cet accord ne pouvait être opposé au salarié.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 17 octobre 2006 ainsi prononcé au motif, d'une part, que la délégation impersonnelle donnée le 17 septembre 2002 au directeur du département gestion et innovations sociales, afin notamment "de mener le dialogue social et conclure des accords collectifs", constituait une délégation de pouvoir, d'autre part, que les effets d'une délégation de pouvoir sont indépendants de la personne du délégant et du délégataire.
3-L'originalité du visa retenu par la Cour de Cassation:
A première vue, cette arrêt n'a rien d'étonnant. Il ne fait, en effet , que rappeler le mécanisme de la délégation de pouvoir, connu de tous et chacun.
Pourtant, à y voir de plus près, on est enclin à s'arrêter sur le visa retenu par la Cour de cassation. En effet, on reste perplexe quant à la référence « aux principes généraux du droit applicables en matière de délégation de pouvoir » retenu par les Hauts magistrats.
C'est à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation vise de tels principes généraux qui semblent venir s'ajouter à la liste déjà fournie des principes généraux du droit (Droit de mener une vie familiale normale, Interdiction de licencier une salariée en état de grossesse...).
Restons tout de même vigilants et attendons que cette jurisprudence fasse l'objet d'une confirmation afin qu'il nous soit permis de tracer les contours de ces nouveaux principes généraux du droit qui demeurent flous pour le moment.
Toutefois, si cette référence aux « principes généraux du droit applicables en matière de délégation de pouvoir » n'emporte pas notre entière conviction, on est plus séduit par la seconde partie dudit visa .En effet, sont mentionnés les articles 1984 et 2003 du code civil, dont on sait qu'ils ont trait au contrat de mandat. Aux termes de l'article 1984 dudit code, le mandat est un contrat par lequel un mandant confie à un mandataire, représentant le mandant, le soin d'accomplir , en son nom et pour son compte des actes juridiques.
On ne peut évidemment s'empêcher de le rapprocher de la délégation de pouvoir à la différence que le contrat de mandat ne requiert aucune relation hiérarchique.
Partant de ce fait, on pourrait considérer la délégation de pouvoir comme une forme particulière de mandat et cette assertion est confirmée par le présent arrêt.
Le maintien d'une solution classique
La permanence de la délégation de pouvoir n'est pas affectée par un changement dans la personne du délégant dès lors qu'un tel changement n'a pas eu pour effet de modifier la portée des pouvoirs initialement consentis.( Cass.Crim, 25 juin 1991, n° 90-83846, Corvée).
La présente solution n'est donc pas nouvelle et ne nous surprend pas. On pourrait l'expliquer de la manière suivante : La délégation de pouvoir unit le délégataire à la personne morale, de fait le nouveau délégant n'a pas à consentir à une délégation qui s'impose déjà à la personne morale.
De plus, notons que la Cour prend le soin de préciser que la délégation était « impersonnelle » , ce qui semble signifier qu'elle était plus attachée à la fonction en cause qu'à la personne qui en était investi.
La solution aurait été différente si la délégation était « personnelle » et ainsi désignait une personne en particulier. Tel n'est pas le cas en l'espèce.
Pour terminer , une question demeure : faut-il comprendre à travers la formule utilisée par les Hauts magistrats, à savoir « les effets d'une délégation de pouvoirs sont indépendants de la personne du délégant et du délégataire » qu'un changement dans la personne du délégataire n'aurait pas non plus affecté la validité de la délégation ?
Bien que cela semble être l'avis des Hauts magistrats, nous pouvons émettre un petit bémol .
Ainsi que l'ont relevé certains auteurs, « s'il n'est pas douteux qu'en matière sociale, ces changements n'affectent pas en principe, l'efficacité du mécanisme de délégation, il en va autrement sur le plan pénal, dans la mesure où le transfert de la responsabilité pénale est lié à l'acceptation de celle -ci par le délégataire. Dans cette mesure, la délégation est forcément personnalisée » (Selon l'expression des professeurs A.Coeuret et E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec,3ème éd.)
Ainsi, le changement de délégataire entraînerait ipso facto la caducité de la délégation ce qui nous semble logique d'autant plus que ce dernier aura aussi été choisi pour des qualités propres à sa personne et aura suivi des actions de formation afin de mener à bien sa mission.
Espérons que les Hauts magistrats nous entendent et précisent la formule utilisée dans le présent arrêt, formule qui laisse la porte ouverte à certaines interrogations...