Tout d’abord, sur la signification d’une obligation erga omnes, la Cour internationale de justice a donné une définition dans son célèbre obiter dictum (arrêt Barcelona Traction rendu en 1970) en ces termes : « Une distinction essentielle doit [...] être établie entre les obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à leur respect ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes. Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont
intégrés au droit international général [...] ; d’autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel ». Ainsi, le cercle des créanciers peut être constitué par une catégorie plus restreinte d’Etats, par exemple par le groupe que forme les Etats parties à un traité dans le cas d’une obligation erga omnes de caractère conventionnel (obligation erga omnes partes). D’autre part, le cercle des créanciers ne se limite pas nécessairement aux seuls Etats. En l’espèce, un commerce illicite qui fait de la personne humaine un objet de vente ne doit pas être seulement considéré comme une affaire arabo noire ou comme une affaire purement africaine. C’est une question de protection de la personne humaine dans son essence, une négation de sa dignité qui est en cause. Les autres Etats de la communauté internationale, les peuples du monde, les associations, les ONG, ont tous un intérêt juridique à ce que cette violation cesse et que les auteurs de ce crime puissent être poursuivis et condamnés.
Concernant la norme de jus cogens, ce concept est défini par l’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 selon laquelle une règle de jus cogens (ou règle impérative) est une norme découlant du droit international général et qui est « acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». De nos jours, on remarque qu'une littérature juridique importante reconnaît les règles relevant des jus cogens suivantes : « l'interdiction du recours à la force, le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, la piraterie, l'esclavage et les pratiques analogues à l'esclavage, la torture, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les droits fondamentaux de l'homme ». Ces normes impératives sont des obligations erga omnes. Dans l’affaire de la Barcelona Traction citée, la Cour distingue les obligations des États envers la communauté internationale dans son ensemble, (jus cogens), des obligations vis-à-vis d’un autre État dans le cadre de la protection diplomatique. Tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que le jus cogens soit respecté.
Ensuite, en droit international, un crime international est un crime qui touche l’ensemble de la communauté internationale. Quand on parle de crime international on fait souvent allusion aux trois types de crimes internationaux définis par les articles 6 ,7 et 8 du Statut de Rome à savoir le crime de génocide (art.6), les crimes contre l’humanité (art.7) et le crime de guerre (art.8).
En effet, ce qui nous intéresse dans cette étude n’est pas l’étude de ces trois crimes. De plus, notre analyse n’est pas non plus une étude sur le crime d’esclavage qui est un des actes de crime contre l’humanité. Il s’agit pour nous d’essayer de démontrer que lorsqu’un crime touche l’ensemble de la communauté internationale comme le crime d’esclavage a été commis, tout Etat et la communauté internationale ont un intérêt juridique pour agir afin tout d’abord de faire cesser le fait illicite, ensuite poursuivre les auteurs du crime et enfin octroyer des réparations en faveur des victimes. Le crime de réduction en esclave est réprimé par les juridictions internationales et est prévu par les textes internationaux notamment le Statut de la Cour pénale internationale, qui définit dans son article 7 le crime contre l’humanité en ces termes : « Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un des actes ci-après commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque : meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; (…) ». L’esclavage est défini comme étant « le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de la propriété ». Le crime étant commis, la responsabilité pénale des auteurs doit être établie sur le plan national par les juridictions
domestiques ou régionales, ou bien à défaut sur le plan international par la Cour pénale
internationale. Cette question de la responsabilité pénale des auteurs n’est pas l’objet non plus de notre analyse. Il s’agit dans les lignes qui suivent de démontrer que les violations dont subissent ces personnes en Libye doivent être considérées comme un crime international qui touche l’ensemble des Etats de la communauté internationale. Nous sommes en présence d’une violation d’une obligation internationale à savoir l’interdiction de l’esclavage. Cependant, définissant la violation d’une obligation internationale, la Commission du droit internationale a établi une distinction entre les crimes internationaux et les délits internationaux. Le crime international était défini par le célèbre article 19 comme un fait internationalement illicite résultant « d’une violation par un Etat d’une obligation si essentielle pour la sauvegarde d’intérêts fondamentaux de la communauté internationale que sa violation est reconnue comme un crime par cette communauté dans son ensemble ». Entre dans cette catégorie notamment les violations graves d’une obligation internationale d’importance essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales,
pour la sauvegarde du droit des peuples à disposer d’eux- même et pour la sauvegarde et la
préservation de l’environnement humain et, en ce qui concerne plus précisément la présente étude,« une violation grave et à une large échelle d’une obligation internationale d’importance essentielle pour la sauvegarde de l’être humain, comme celles interdisant l’esclavage, le génocide, l’apartheid ». Constitue un délit international, tout fait internationalement illicite qui n’est pas un crime international. L’interdiction d’esclavage fait partie des normes de jus cogens et les Etats sont liés par des obligations erga omnes c’est-à-dire à l’égard de tous. C’est dans ce sens que la Cour internationale de justice dans l’affaire de la Barcelona Traction a décidé que : « Vu l’importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ».
En résumé, cette situation Libyenne témoigne des violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international général. Tous les Etats ont un intérêt juridique à agir et protéger les droits qui sont violés. Il ne s’agit pas en l’espèce de perdre du temps sur des débats inutiles notamment sur la question de l’effectivité ou pas du gouvernement libyen, l’incapacité ou l’inaction des Etats africains sur la question, ou encore sur la théorie de races ou des origines. Tout ceci est une perte de temps. Nous vivons dans un monde où les relations humaines sont de plus en plus mercantilisées (les groupes et les individus qui sont dans ce commerce illicite doivent être poursuivis et condamnés). Pour aboutir à des résultats, il faut des réactions concrètes et efficaces.
Les Etats africains et l’UA ne sont pas les seuls concernés, les autres Etats de la communauté internationale doivent agir car ils ont tous un intérêt juridique à interdire la pratique de l’esclavage partout dans le monde. Nous sommes en présence d’une situation d’urgence dans laquelle une personne humaine est l’objet d’un commerce illicite. Il faut la réaction des autres Etats de la communauté internationale, pas uniquement les Etats africains et l’Union africaine.