La révision de la Constitution : quelle procédure pour le constituant guinée ?
Rappelons tout d’abord que le droit constitutionnel a connu une véritable révolution du fait du changement de la notion de Constitution : alors que la Constitution n’était qu’une « idée », en étant assimilée au régime politique, elle est devenue une « norme », c’est-à-dire « une règle juridiquement obligatoire sanctionnée »[1]. En effet, la Constitution est le socle de l’Etat, le bien le plus précieux. C’est la norme juridique fondamentale, le fondement même de toute société, de tout Etat. Cette norme représente une valeur ayant deux (2) fonctions majeures : c’est elle qui permet la limitation de l’exercice du pouvoir en organisant la séparation des pouvoirs. C’est aussi cette norme qui permet une garantie des droits fondamentaux des individus contre les abus potentiels du pouvoir. Ces deux caractères de la Constitution apparaissent dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et de citoyens de 1789 : « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ». Au demeurant, il nous plait de préciser la définition des termes de notre problématique. En effet, la Constitution se définit selon deux sens : matériel et formel. Au sens matériel, la Constitution renvoie au contenu, à la matière : c’est la norme juridique relative à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions ainsi que des droits fondamentaux. De ce postulat, il existe un droit constitutionnel institutionnel qui définit les règles relatives à l’organisation et le fonctionnement des institutions politiques, un droit constitutionnel normatif plaçant la Constitution au sommet de l’ordre juridique et le droit constitutionnel substantiel assurant la protection des droits et libertés[2]. Le droit constitutionnel moderne a donc trois objets qui sont étroitement liés et ne forment qu’un même ensemble : les institutions, les normes et les libertés. Cette inflexion de la notion de Constitution n’est pas propre à la France[3] : dans presque tous les pays, la Constitution apparaît comme la norme juridique suprême, dont le respect est assuré par l’existence d’un juge constitutionnel et la mondialisation du système de l’État de droit[4] a assuré le triomphe de cette conception. Au sens formel, la Constitution se définie comme étant une norme écrite (à la différence de la constitution coutumière) dont la révision se fait selon une procédure spéciale par un organe spécial[5]. C’est ce que l’on appelle la rigidité constitutionnelle, principe qui s’applique à toute Constitution écrite[6]. Ce principe permet la stabilité et de la pérennité de la constitution. Toutefois, cette stabilité de la norme suprême ne signifie pas l’intouchabilité, la norme peut être amendée ou révisée afin de répondre aux besoins de la société. La Constitution n’est donc pas intangible, elle est évolutive comme le souligne cet auteur : « une constitution est vivante : elle reproduit le cycle biologique. Elle naît, se développe et meurt. Son existence est rythmée par l'exercice du pouvoir constituant, appelé successivement originaire au moment de son élaboration et dérivé lors de sa révision»[7]. Les faits justifiants la modification des constitutions sont appelés des vicissitudes constitutionnelles. Ces vicissitudes sont variées, elles peuvent être totales comme les modifications suite à une révolution ou en cas de transition constitutionnelle. Elles peuvent aussi concernées des modifications qui ne remettent pas en cause des principes constitutionnels, c’est ce que l’on appelle de la « rupture non -révolutionnaire ». En ce qui concerne la révision, retenons qu’elle est communément définie comme l’acte qui consiste à procéder à une modification d’une Constitution selon le régime que cette constitution a elle-même prévu[8]. On admet généralement que l’objectif poursuivi à travers la révision d’une Constitution est de l’améliorer sans aller jusqu’à sa transformation[9].
Par ailleurs, l’histoire constitutionnelle de la Guinée montre que ce pays a connu quatre (4) Constitutions[10]. Nous n’allons ni revenir sur l’ensemble de ces Constitutions ni faire une étude sur les différents régimes politiques de la Guinée. Bref, notre réflexion sera orientée sur l’analyse de la procédure de révision prévue par la Constitution actuelle, celle du 07 mai 2010. Dans cette démonstration, nous resterons fidèles à l’esprit de la norme fondamentale, car c’est elle-même qui définit sa propre procédure de révision. Aussi, sera exclue de cette présentation, toute considération politique politicienne, toute question liée à la nature du régime politique ou à la question de savoir si ce régime est adapté à la réalité sociologique de la Guinée[11]. Une fois cette délimitation faite, la Constitution du 07 mai 2010, objet de notre raisonnement, sera analysée comme suit : la présentation de cette constitution (I) et la procédure prévue pour sa révision (II).
I. Présentation de la Constitution guinéenne du 07 mai 2010
Le 23 décembre 2008, suite à un nouveau coup d’État militaire[12], le peuple de guinée plonge de nouveau dans un régime d’exception. La loi fondamentale de 1990 est suspendue au lendemain du décès du président Lansana Conté, le 22 décembre 2008 et les institutions sont dissoutes par un groupe de jeunes officiers dirigé par le capitaine Moussa Dadis Camara qui prend le pouvoir et forme un Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD). Mais, après une année de crise, le Président Camara est blessé, lors d'un attentat et doit se faire soigner au Maroc. Le général Sékouba Konaté devient Président de la République par intérim et un Conseil national de la transition est mis en place et adopte un projet de Constitution le 19 avril afin d'organiser rapidement une élection présidentielle et de permettre une bonne transition démocratique. Ainsi, cette Constitution du 07 mai 2010 est celle qui définit les pouvoirs publics et les institutions de la nouvelle république[13]. Elle a été adoptée dans cette crise politique et institutionnelle majeure décrit plus haut et qui a profondément affecté le fonctionnement du régime et le peuple de guinée. La Constitution adoptée, créée une rupture profonde avec celle de 1990 ; elle a été établie sans referendum à la différence de la loi fondamentale du 23 décembre 1990. La procédure d’élaboration de la nouvelle Constitution se rapproche de la méthode – classique du pacte ou du contrat : la Constitution a été élaboré sous les auspices du Conseil National de la Transition (CNT), une sorte d’assemblée de représentants cooptés de la société civile et de la classe politique[14]. La Constitution a été adoptée par ce Conseil le 19 avril 2010 et promulguée[15] par le Général Sekouba Konaté, Président de la République par intérim. La Constitution met en place un régime présidentiel avec un premier ministre responsable devant le Président de la république.
Quelles sont les innovations de cette Constitution par rapport à la Loi fondamentale de 1990 ?
D’abord, la nouvelle norme fondamentale s’intitulera « Constitution » et non « Loi fondamentale ». Dans son préambule, la Constitution mentionne la notion de « bonne gouvernance » et « les crimes économiques » qui deviennent imprescriptibles. Ensuite, concernant l’exécutif, on a un Président de la République élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois[16] alors que le mandat était de sept ans renouvelable dans la Loi fondamentale de 1990 dans sa version révisée. Aussi, dans la nouvelle Constitution, le Président ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels. La Constitution ne prévoit pas de candidatures indépendantes en ce sens qu’aucune candidature n’est recevable si elle n’est pas présentée par un parti politique légalement constitué. Le poste du premier ministre, chef du gouvernement est désormais constitutionalisé. Il est nommé et révoqué par le Président de la République. Il dirige et contrôle l’action du gouvernement et dispose du pouvoir réglementaire. De plus, la Constitution pose des limites à la révision notamment la durée et le nombre du mandat du Président de la République. On reviendra sur ces limites dans la deuxième partie de notre démonstration relative à la procédure de révision. L’autre évolution majeure de cette norme fondamentale est la constitutionnalisation de la déclaration du patrimoine des élus. Enfin, la Constitution crée des nouvelles institutions[17] indispensables pour le bon fonctionnement de l’Etat et pour la garantie des droits fondamentaux. Il s’agit de la Cour constitutionnelle dont le président n’est pas nommé par le Président de la République mais plutôt élu par ses pairs, le médiateur de la République, l’institution nationale indépendante des droits de l’homme et le Haut conseil des collectivités locales. En plus de ces innovations, la Constitution a-t-elle aussi innové en matière de procédure de révision ? Quelle est cette procédure prévue par cette constitution ?
II. Une procédure de révision théoriquement rigide
La Constitution du 07 mai 2010 est une Constitution rigide qui, comme toute Constitution rigide met en place une procédure spéciale et un organe spécial pour sa révision. Chaque Constitution prévoit sa propre procédure de révision[18]. Ce principe de rigidité constitutionnelle, est-il vraiment significatif pour le cas guinéen ? Cette procédure est-elle vraiment rigoureuse ? Telles sont les questions au centre de cette analyse. Notre analyse portera successivement sur la procédure de révision et sur la question des limites à la révision constitutionnelle dans le cas guinéen.
Tout d’abord, précisons que réviser la Constitution d’un État, c’est revoir le contenu de cette norme. Tout peuple peut librement organiser la modification de sa Loi fondamentale. C’est ainsi que l’article 1er du titre VII de la Constitution française de 1791 dispose en effet que « la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution ». En effet, la Constitution du 07 mai 2010 même si elle ne pose pas exactement la même formule du constituant français de 1791, elle prévoit dans son article 152 une procédure de révision qui se présente en trois phases. Sur la première phase, l’initiative de la révision appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Dans cette phase, la procédure prévue par le constituant guinéen est moins rigoureuse que celle de l’article 89 de la constitution française qui ouvre ce droit aussi à une concurrence entre le Président de la République et aux membres du parlement, sauf que la différence avec le système guinéen est le partage de ce droit de l’initiative dont dispose le Président avec le Premier ministre en ce sens que le Président ne peut prendre l’initiative que sur proposition du Premier ministre. Il n’est pas totalement libre car il est obligé de s’entendre avec le gouvernement de sa volonté de prendre l’initiative de réviser la Constitution. Ce qui pourrait être difficile pour lui et pourrait limiter son rôle en cas de cohabitation ou lorsqu’il ne dispose pas ou plus de concordance majoritaire. La Constitution guinéenne confère un droit propre du Président de la république qu’il ne partage pas avec son premier ministre, l’initiative n’est pas partagée, il est donc le seul maitre du jeu. Sur ce point, la procédure prévue par le constituant guinéen est moins rigoureuse que celle prévu par le constituant français. Concernant la deuxième phase de la révision qu’est l’adoption du texte par le parlement. Ici encore, le constituant guinéen est moins rigoureux car une majorité simple des membres de l’assemblée nationale suffit pour adopter le projet ou la proposition de révision alors que selon la procédure prévue par l’article 89 de la Constitution française, en plus de poser une condition de délai pour examiner le projet ou la proposition de révision, le texte doit être voté en termes identique par les deux chambres du parlement. C’est ce que l’on appelle le bicaméralisme égalitaire qui rend la procédure complexe et rigoureuse : c’est ce que j’appelle de l’adoption rigoureuse à la française. Le système guinéen doté d’une seule chambre (parlement monocaméral) est beaucoup plus souple que le système du bicaméral égalitaire qui pourrait constituer aussi un frein à l’action du Président lorsqu’il ne dispose pas de majorité dans l’une des chambres par exemple. En fin, sur la troisième phase (la ratification définitive), il faut souligner que la procédure prévue par le constituant français est presque la même que celle du constituant guinéen. La seule nuance est l’exigence d’une ratification du texte par le parlement réuni en congrès à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour le cas français, alors que pour le cas guinéen, c’est une chambre unique qui se réunie pour ratifier le texte à la majorité des tiers des membres composant l’assemblée nationale. Le projet peut être facilement ratifier surtout en période de concordance majoritaire. L’autre alternative pour la procédure de révision, est le référendum[19].
En effet, le referendum ne correspond pas à un modèle unique[20] : selon la procédure, il peut être d’initiative populaire (Italie, Suisse), d’initiative parlementaire (France, art. 11 de la Constitution du 4 octobre 1958), ou d’initiative gouvernementale, le Président de la République ayant l’exclusivité de la décision d’organisation. Selon l’objet, il peut être constituant ou législatif. Selon le caractère du recours au référendum, il peut être obligatoire (art.121 de la constitution Suisse et art. 53 alinéa 3 de la Constitution française de 1958) ou facultatif (art. 89 de la Constitution française de 1958 et 152 de la Constitution guinéenne de 2010). Enfin, selon la portée du vote, il peut être national ou local, décisionnel ou consultatif.
Dans le cas français et guinéen, la procédure référendaire est la même ; mais, il me plait d’apporter une précision sur cette question. Rappelons que le referendum est bien un procédé démocratique très avantageux mais il est aussi un instrument politique qui a des inconvénients. Ce procédé pourrait faire l’objet d’une instrumentalisation par les élus afin d’amener les électeurs (citoyens) de se prononcer sur une question dont ils ne sont pas toujours en mesure ou n’ont pas toujours l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée, surtout en ce qui concerne le cas des référendums qui portent sur des enjeux complexes que les électeurs connaissent peu, tels que les changements constitutionnels. Ceci étant rappelé, nous affirmons aisément que dans les démocraties africaines en génale, le peuple ne maitrise pas parfaitement le referendum et même s’il le maitrisait, les résultats issus de ces procédés sont souvent remis en cause pour défaut de crédibilité et de transparence. Aussi, beaucoup d’autres facteurs entrent dans la cadence notamment le taux élevé d’analphabétisme, l’ethnocentrisme, le non accès à l’information et la méconnaissance des règles et des institutions.
Au demeurant, cette souplesse ou rigueur de la procédure de révision ne veut pas dire forcement que la Constitution peut être modifiée à tout prix. Il existe un deuxième degré de protection de la Constitution qu’on peut appeler des limites à la révision. De quoi s’agit-il ? Est-il possible de changer les normes relatives aux limites matérielles de révision ? La doctrine est divisée sur la question. Certains soutiennent que les limites matérielles sont obligatoires mais qu’il est possible de réviser les clauses explicites de révision. D’ailleurs, certains auteurs admettent la suprématie du pouvoir constituant qui peut librement réviser sa Constitution. Il s’agit notamment du constitutionnaliste Guy Carcassone, qui souligne que « de toute façon, l'article 89 n'interdisant pas une révision des limites qu'il pose, le pouvoir constituant pourrait parfaitement les supprimer et retrouver ainsi une totale liberté de décision, y compris pour modifier la forme républicaine du gouvernement »[21]. D’autres, par contre ont une position mitigée car, ces auteurs font la distinction entre ce qui relève des principes fondamentaux constitutionnellement garantis (les limites du 1er degré) de ce qui ne relève pas de ces principes (les limites du 2e degré). Selon cette doctrine, ce qui est fondamental dans une Constitution est ce qui découle des principes fondamentaux de celle-ci et non à ce que le constituant à déclarer être des limites matérielles de révision.
Ce raisonnement est-il applicable au cas guinéen ? quelles sont les limites matérielles de révision posées par le constituant guinéen de 2010 ?
En effet, la Constitution guinéenne a évolué dans ce sens, elle prévoit des interdictions de révision. Tout d’abord l’article 153 dispose qu’ « aucune procédure de révision ne peut être entreprise en cas d'occupation d'une partie ou de la totalité du territoire national, en cas d'état d'urgence ou d'état de siège ». Ensuite, l’article 154, prévoit une autre limite en ces termes « la forme républicaine de l'État, le principe de la laïcité, le principe de l'unicité de l'État, le principe de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l'objet d'une révision ». On remarque ici que le constituant guinéen à déclarer expressément des limites à la révision de la Constitution. Ces limites posées par le constituant guinéen rentrent dans le cadre des principes fondamentaux qui peuvent d’ailleurs exister même tacitement sans aucune déclaration expresse et le pouvoir de révision ne peut en aucun cas modifier ces principes. Mais cette rigidité constitutionnelle est atténuée lorsque le pouvoir constituant manifeste sa volonté de faire évoluer la règle juridique pour l’adapter à la réalité sociale.
Toutefois, une révision constitutionnelle peut parfaitement s’effectuer dans la droite ligne de la légalité la plus pure et se révéler illégitime[22]. La légitimité doit être prise ici dans le sens de
la conscience du moment[23]. Il semble bien que les dernières révisions constitutionnelles en
Afrique soient perçues comme telles c’est-à-dire purement conjoncturelles, destinées à porter
atteinte à l’alternance et surtout de nature à modifier l’équilibre politique[24]. De tels procédés
sont constitutifs de ce que la doctrine désigne par « la fraude à la Constitution »[25]. Sur ce
point, un risque supposé ou réel de retour à l’autoritarisme existe et ces révisions apparaissent
désormais comme illégitimes[26].
En conclusion, nous terminons cette démonstration sur la question de savoir qu’en cas de violation de la procédure de révision prévue par la Constitution, existe-t-il un contrôle, un organe capable de prononcer la sanction de cette violation. Quel est l’office du juge constitutionnel, peut-il se prononcer sur des révisions constitutionnelles ?
En effet, le Conseil constitutionnel français tout en rejetant l’intangibilité de la Constitution a exprimé l’état du droit positif en considérant que « le pouvoir constituant est souverain, il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée »[27]. Le juge constitutionnel sénégalais raisonne dans le même sens[28]. En l’espèce, comme pour le cas français, il existe un juge constitutionnel guinéen en matière de contrôle de constitutionnalité mais dans le texte de la Constitution. La Cour constitutionnelle guinéenne tout comme la plupart des juges constitutionnels n’a pas de compétence pour exercer un contrôle de constitutionnalité des révisions de la Constitution. La Cour juge de la constitutionnalité des lois[29]. Un contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles est rare dans la plupart des Constitutions car difficile à exercer dans la pratique. Néanmoins, il existe une compétence du juge lorsque que des telles révisions interviennent dans le cadre d’une procédure référendaire[30]. Sur cette question, le juge français à déclarer qu’il est incompétent pour se prononcer sur la question de la constitutionnalité d’une loi référendaire[31]. Le juge guinéen, pourrait-il appliquer cette jurisprudence au cas où une telle question se poserait un jour ? Pourrait-il se distinguer de son homologue français ? Pour l’instant, on ne peut répondre à ces questions.
En fin, sur la question de l’opportunité ou pas de réviser l’actuelle Constitution guinéenne de 2010. Nous pensons que les révisions doivent permettre des évolutions, des améliorations dans l’objectif du perfectionnement. Les politiques doivent éviter les fraudes à la Constitution, ils doivent tout simplement préserver les principes fondamentaux de la Constitution, notamment celui de la durée du mandat prévu par les articles 27 et 154 de la Constitution guinéenne de 2010. En matière de limitation du mandat, il s’agit d’un principe fondamental permettant l’alternance démocratique et la Guinée a fait preuve d’une évolution en ce sens si elle restait dans le statut quo[32] ; comme l’a décrit d’ailleurs un ami lors d’une conversation privée : « en 1990[33], mandat limité, c’était un progrès, comparé à d’autres Etats africains. En 2001[34], mandat illimité, on recule. En 2010[35], mandat limité à nouveau, on retrouve le progrès de 1990. On devrait en rester là et continuer à écrire les plus de pages de l’histoire de la Guinée en s’intéressant aux questions de développement économique et social. Mais non, en 2019[36], on veut reculer à nouveau comme en 2001. C’est ce que j’appelle de la malédiction historique ».
Auteur :
Bissiriou Kandjoura, Doctorant Chargé d'enseignement en droit, Université Paris Sud, Université Paris 13, Université d'Evry.
[1] Louis Favoreu, « Le droit constitutionnel : droit de la Constitution et constitution du droit », cette Revue, 1990, n° 1, p. 71 et s.
[2] Jacques Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d’un couple fusionnel », in Mélanges Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 183-199, p. 193 et L. Favoreu et autres, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1998, préface, p. 1.
[3] V. Dominique Rousseau, « Les transformations du droit constitutionnel sous la Ve République », RDP, 1998, p. 1781-1793.
[4] J. Chevallier, « La mondialisation de l’État de droit », in Mélanges Philippe Ardant, Paris, LGDJ, 1999, p. 325.
[5] Il s’agit du pouvoir constituant dérivé qu’est un pouvoir prévu par la Constitution elle-même (art. 89 de la constitution française du 04 octobre 1958 et art. 152 de la constitution guinéenne du 07 mai 2010), qui lui confère une compétence de révision constitutionnelle. Il tire donc sa légitimité et son fondement du pouvoir constituant originaire, par le biais de la Constitution.
[6] La constitution coutumière n’est pas concernée par ce principe. Elle est plutôt définie comme une constitution souple dont la révision se fait selon une procédure ordinaire comme celle prévue à l’adoption d’une loi. Ex : la Constitution Britannique
[7] J. GIQUEL et J. E. GIQUEL, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Paris, Montchrestien, 25e édition, 2011, p.189.
[8] P. ARDANT, « La révision constitutionnelle en France : problématique générale » in La révision de la Constitution, journées d’études des 20 mars et 16 décembre 1992, Association française des constitutionnalistes, Economica, 1993, p. 80.
[9] P. M SY., « Le développement de la justice constitutionnelle en Afrique noire francophone : les exemples du Bénin, du Gabon et du Sénégal », Thèse de doctorat 1998.
[10] La Constitution du 10 novembre 1958, adoptée suite au référendum du 28 septembre 1958 ayant rejeté la domination coloniale et permis à la Guinée d’avoir son indépendance le 02 octobre 1958. La Constitution du 14 mai 1982, se caractérise par la constitutionnalisation du pouvoir révolutionnaire avec un Président de la République, responsable suprême de la révolution et qui dispose des pouvoirs considérables (art. 49). La Loi Fondamentale du 23 décembre 1990, adoptée par référendum et promulguée le 23 décembre 1991. Cette Constitution créée une rupture : les partis politiques sont autorisés, le multipartisme est constitutionalisé et remplace le parti unique. La première élection présidentielle a lieu le 23 décembre 1993. En fin la Constitution du 07 mai 2010 est celle qui est l’objet ici de notre commentaire.
[11] Sur cette question, voir Dr A. Amadou Bano Barry dans son article « Constitution : quel régime pour la guinée » ? Consultable sur le lien ci-dessous :
[12] Le premier est celui du coup d’État militaire du 3 avril 1984 organisé et dirigé par le Comité Militaire pour le Redressement National qui règne dans un État d’exception jusqu’à l’adoption par referendum d’une nouvelle Constitution proclamant le multipartisme, et l’organisation des premières élections pluralistes et présidentielles en décembre 1993.
[13] La première République de 1958 à 1984 été régie par la constitution du 10 novembre 1958 et celle du 14 mai 1982. La deuxième République de 1984 à 2008 fonctionnait avec la Loi fondamentale du 23 décembre 1990, révisée et adoptée par un référendum du 11 novembre 2001.
[15] Voir le Décret D/ 068/PRG/CNDD/SGPRG/2010 promulguant la Constitution adoptée par le Conseil National de la Transition le 19 avril 2010.
[16] Constitution guinéenne du 07 mai 2010, art.27.
[17] Idem ; voir les titres VI, XI, XIV et XVI.
[18] Voir respectivement les art. 49, 91, 91 et 152 des Constitutions guinéennes de 1958, 1982, 1990 et 2010. Voir également l’art.89 de la Constitution française de 1958.
[19] Constitution Française de 1958, art. 89 et 11. Voir également, Constitution guinéenne de 2010, art. 152 et 51.
[20] De Villiers, M., « Référendum », dans Dictionnaire de droit constitutionnel, Armand Colin, 1998, pp.170-171.
[21] Guy Carcassonne, La Constitution, 10e édition, 2011, p.388.
[22] A. KPODAR., Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone, afrilex 2013
[23] Ibrahima Diallo, « Pour un examen minutieux de la question des révisions de la Constitution dans les Etats africains francophones », Revue d’étude et de recherche sur le droit et l’administration dans les pays d’Afrique, afrilex, 2015.
[24] S.BOLLE, « Le contrôle prétorien de la révision au Mali et au Tchad : un mirage ? », RBSJA, 2006, n°17, pp.
7-8.
[25]G.LIET-VEAUX, « La fraude à la constitution: essai d’une analyse juridique des révolutions
communautaires récentes : Italie, Allemagne, France », RDP, 1943.
[26] I.Salami, La protection de l’Etat de droit par les cours constitutionnelles africaines. Analyse comparative des
cas béninois, ivoirien, sénégalais et togolais, Thèse de droit public, Université de Tours, 2005
[27] CC, DC 91-298 du 24 juillet 1991.
[28] Conseil constitutionnel sénégalais, Décision du 18 janvier 2006, considérant 3.
[29] Constitution guinéenne de 2010, art. 93 et svts.
[30] Idem., art. 51. Voir également Constitution française de 1958, art. 11.
[31] Conseil Constitutionnel français, Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962 dans son considérant 2: « ( ..) il résulte de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale ».
[32] Constitution guinéenne de 2010, art. 27 « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
[33] Constitution guinéenne du 23 décembre 1990, art. 24 : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une seule fois ».
[34] Idem. Voir l’art. 24 version consolidée.
[35] Constitution guinéenne de 2010, Op. Cit. art. 27.
[36] Même si l’intention de modifier la Constitution guinéenne pour un 3e mandat n’est pas officielle, cette question est au centre du débat politique et intellectuel et préoccupe l’esprit actuel du peuple de guinée. Des mouvements de contestations sont nées comme le Front National pour la Défense de la Constitution composé des acteurs de la société civile, hommes politiques, citoyens.