La scission partielle consacrée par le Code de commerce : un outil stratégique de restructuration.
L’ordonnance n° 2023-393 du 24 mai 2023, prise en application de la directive (UE) 2019/2121 relative aux transformations, fusions et scissions transfrontalières, introduit officiellement dans le Code de commerce la scission partielle, jusque-là non encadrée par les textes, bien que pratiquée sur la base des règles fiscales.
Cette reconnaissance législative offre désormais un cadre juridique harmonisé aux entreprises souhaitant procéder à des restructurations, qu’elles soient domestiques ou transfrontalières.
Un cadre juridique clarifié
La scission partielle est définie comme l’opération par laquelle une société apporte une partie de son actif (et le cas échéant de son passif) à une ou plusieurs sociétés bénéficiaires, sans cesser d’exister. En contrepartie, les titres émis par la société bénéficiaire sont attribués directement aux associés de la société apporteuse, selon des modalités qui peuvent varier.
Cette opération se distingue de la scission classique, qui entraîne la disparition de la société scindée, et de l’apport partiel d’actifs, où la rémunération de l’apport est perçue par la société apporteuse elle-même.
Jusqu’à présent, la scission partielle était principalement encadrée par l’article 115, 2° du Code général des impôts (CGI), qui fixe les conditions permettant de bénéficier d’une neutralité fiscale, notamment l’exigence de transférer une branche complète d’activité et de respecter des modalités spécifiques d’attribution des titres.
Désormais intégrée au livre II du Code de commerce, la scission partielle bénéficie d’une assise juridique renforcée et d’une procédure alignée sur celle des scissions et des apports partiels d’actifs, avec certaines spécificités.
Un régime aligné sur celui des scissions, avec des particularités notables
L’ordonnance et le décret du 2 juin 2023 précisent que la scission partielle est soumise aux règles générales applicables aux scissions, mais avec des ajustements adaptés à sa nature hybride :
- Transmission universelle de patrimoine (TUP) : la scission partielle entraîne un transfert global des actifs et passifs concernés, facilitant la continuité des contrats et engagements.
- Attribution directe des titres aux associés : contrairement à l’apport partiel d’actifs, où la rémunération de l’apport revient à la société apporteuse, la scission partielle implique que les titres de la société bénéficiaire soient distribués aux associés de la société scindée.
- Procédure simplifiée possible : sous certaines conditions, l’opération peut bénéficier d’un régime allégé, notamment en matière d’évaluation des apports et de contrôle des commissaires aux apports.
- Droit de retrait en cas de scission transfrontalière : les associés minoritaires opposés à l’opération peuvent exercer un droit de retrait avec rachat de leurs titres, conformément à l’article L. 236-40 du Code de commerce.
Les trois configurations possibles de scission partielle
L’ordonnance consacre trois formes distinctes de scission partielle, offrant aux entreprises une flexibilité accrue dans l’organisation de leurs restructurations :
1. La scission partielle "égalitaire"
Tous les associés de la société apporteuse reçoivent proportionnellement des titres de la société bénéficiaire. Ce schéma, déjà admis sous le régime fiscal de l’article 115, 2° du CGI, est désormais pleinement reconnu en droit commercial.
2. La scission partielle "asymétrique"
Certains associés reçoivent une part plus importante des titres de la société bénéficiaire, tandis que d’autres conservent une proportion plus élevée des titres de la société apporteuse. Ce schéma, potentiellement imposé par une majorité en assemblée générale, pose des questions sur le consentement des associés minoritaires et la protection de leurs droits.
3. La scission partielle "séparative" ou "scission-partage"
Un ou plusieurs associés quittent totalement la société apporteuse et deviennent exclusivement associés de la société bénéficiaire. Cette configuration, bien que suggérée par la directive européenne, n’est pas expressément consacrée par l’ordonnance et pourrait poser des risques de requalification fiscale en échange de titres..
Quels bénéfices pour les entreprises ?
Un cadre juridique sécurisé pour les restructurations
Les entreprises peuvent désormais recourir à la scission partielle en toute sécurité, sans crainte d’une requalification juridique ou fiscale de l’opération.
Une simplification des transferts d’activités
Grâce à la transmission universelle de patrimoine, les entreprises bénéficient d’un mécanisme fluide pour transférer une activité vers une filiale ou une entité distincte, sans rupture de continuité juridique.
Une flexibilité accrue dans l’organisation du capital
La scission partielle permet d’ajuster la répartition des titres entre associés, en fonction de la structure capitalistique recherchée, tout en évitant une dissolution de la société apporteuse.
Un impact fiscal maîtrisé sous conditions
Si les conditions de l’article 115, 2° du CGI sont respectées, l’opération reste exonérée d’imposition immédiate sur les plus-values latentes, offrant un avantage significatif en matière de gestion fiscale.
Points de vigilance et accompagnement juridique
Encadrement des droits des associés minoritaires
La scission partielle asymétrique soulève des questions quant au respect du principe d’égalité entre associés. Si une majorité peut imposer une répartition différenciée des titres, les minoritaires doivent pouvoir bénéficier de garanties adaptées.
Interaction avec le régime fiscal
Les modalités précises de mise en œuvre doivent être alignées avec les critères fiscaux pour sécuriser l’application du régime de faveur de l’article 115, 2° du CGI. Toute ambiguïté pourrait entraîner des requalifications fiscales défavorables.
Gestion des créanciers et des obligations contractuelles
Bien que bénéficiant du mécanisme de transmission universelle de patrimoine, la scission partielle peut entraîner des obligations spécifiques en matière d’information et d’opposition des créanciers.
Conclusion : une avancée structurante sous réserve de précautions
L’intégration de la scission partielle dans le Code de commerce constitue une évolution majeure pour les entreprises françaises et européennes. Elle leur permet d’adopter des stratégies de restructuration plus flexibles, tout en bénéficiant d’un cadre juridique et fiscal sécurisé.
Toutefois, la diversité des configurations possibles et les implications associées requièrent une approche rigoureuse et anticipée, notamment pour éviter tout risque de contentieux entre associés ou d’incertitude fiscale.
Cabinet KEYSINGTON
www.keysington.com