I – LE PRONONCÉ DE L’ASTREINTE COMMINATOIRE PAR LE JUGE.
Par Roméo A. BABO
Le prononcé de l’astreinte comminatoire par le juge intervient pour sanctionner le débiteur en cas d’inexécution volontaire d’une obligation (A) en vue de faire une pression énergétique sur ce dernier et l’amener à s’exécuter (B).
A – La sanction de l’inexécution volontaire d’une obligation
- L’astreinte est un moyen de sanction de la résistance abusive du débiteur
Le but ultime de l’astreinte est de vaincre la résistance du débiteur ou son laxisme. Il s’en suit que le juge doit, de prime abord, constater la résistance abusive du débiteur avant le prononcé de l'astreinte.
Le champ d’application de l’astreinte apparaît très étendu en ce que, en droit ivoirien comme en droit français, tous les cas de résistance à l’exécution d’obligations peuvent faire l'objet d’une mesure d’astreinte, notamment la résistance à l’exécution d’obligations résultant d’une condamnation judiciaire de donner, de faire ou de s’abstenir de faire quelque chose. (Cf. :« Les astreintes en droit ivoirien », Centre International pour le Développement du Droit (CIDD), mercredi 28 mai 2008, http://www.cidd.ci/presentation.php?id=43, consulté le 12/06/2013)).
Le prononcé de l’astreinte relève de la compétence du juge. En France tout comme en Côte d’Ivoire, tout juge peut prononcer l’astreinte. En France, la compétence du juge en matière d’astreinte résulte de la loi, à savoir celle du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, tandis qu'en Côte d’Ivoire cette compétence résulte de la pratique judiciaire.
Face à la gravité de la mesure d’astreinte, le créancier doit être en mesure de prouver devant le juge, le fondement de sa créance et la résistance abusive du débiteur.
La créance, pour être incontestable doit résulter, en règle générale, d’un titre exécutoire. A cet effet, l’article 33 de l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’exécution (AUPSRVE) du Traité de l’HOADA dispose que : « constituent des titres exécutoires :
1) les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute ;
2) les actes et décisions juridictionnelles étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision juridictionnelle, non susceptibles de recours suspensif d'exécution, de l'État dans lequel ce titre est invoqué ;
3) les procès verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
4) les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
5) les décisions auxquelles la loi nationale de chaque État partie attache les effets d'une décision judiciaire. ».
C’est le lieu de préciser qu’en ce qui concerne les décisions juridictionnelles, l’article 34 de l’acte Uniforme précité précise qu’il doit être produit un certificat de non appel et de non opposition, mentionnant la date de la signification de la décision à la partie condamnée, lorsqu’une telle décision est invoquée à l’égard d’un tiers.
La résistance à l’exécution d’une obligation résultant d’un titre exécutoire constitue un abus et peut donner lieu à une condamnation sous astreinte comminatoire. En tout état de cause, le caractère abusif de la résistance doit être prouvé. C’est ainsi que la Cour d’Appel d’Abidjan dans un arrêt n°92 en date du 31 janvier 2003 à estimée que si aucune preuve n’est rapportée de ce que le refus de la restitution d’un bien saisi n’est entaché d’abus, il échet de rejeter la demande d’astreinte comme mal fondée. (Arrêt n° 92 du 31 Janvier 2003, CA d’Abidjan, Affaire : Dame Ghussein Fadika Malik contre Société Alliance Auto, Penant n°872, p. 379, Ohadata-J-10-248).
La résistance abusive peut parfaitement donner lieu à paiement de dommages et intérêts indépendamment de l’astreinte. Il n’est pas exclu que la décision de justice assortie d’astreinte comminatoire, soit motivée par d’autres facteurs outre la résistance abusive du débiteur, notamment l’urgence. Ainsi, dans l’affaire TAPE Baroan contre BNI, la Cour d’Appel d’Abidjan a ordonné à la BNI de créditer le compte de Monsieur TAPE Baroan de la somme de 26.904.758 F CFA sur astreinte comminatoire de 300.000 F CFA par jour de retard, au motif que, outre la résistance abuse de la BNI, il y avait urgence que le demandeur appelant dispose de ses fonds. (Arrêt civil contradictoire n°413 CIV/D du 05 juin 2007, CA d’Abidjan, Affaire : TAPE Baroan contre BNI, Archives Cabinet MENTENON, Avocats à la Cour).
Dans l’affaire N.Y.N. contre A.H., le juge des référés a souhaité faire cesser une situation irrégulière dans les plus brefs délais, en grevant la condamnation « d’un agent non qualifié ayant pratiqué la saisi d’un véhicule » d’une astreinte comminatoire. Le dispositif de sa décision est ainsi libellé : « Attendu qu’en l’espèce la saisie querellé pratiquée par un agent non qualifié à le faire, suivi de l’enlèvement immédiat du véhicule saisi, a été fait au mépris des dispositions légales en vigueur ; Qu’il échet de l’annuler et d’ordonner la restitution du véhicule saisi sous astreinte comminatoire de 1000 F CFA par jour de retard ». (Ordonnance de référé n° 12 du 28 avril 2005, TPI de Bouaké, Affaire : N.Y.N. contre A.H., Le Juris-Ohada n°3/2006, p. 36).
Au demeurant, l’Administration publique n’est pas exemptée de la mesure d’astreinte. En effet il résulte de l’ordonnance de référé n° 4833 datée du 6 août 2004, les dispositions suivantes : « (…) Ordonnons à la Direction Générale des Douanes de Côte d’Ivoire (DGDCI) d’honorer son engagement contenu dans l’attestation par elle délivrée le 16/09/2003 sous astreinte comminatoire de 50.000.000 F CFA par jour de retard (…) ». Cette décision n’est elle pas susceptible de confirmer l’idée selon laquelle l’astreinte n’est pas une mesure d’exécution forcée ? Si tel était le cas, elle ne saurait donc préjudicier au principe de l’immunité d’exécution dont bénéficie l’Administration publique.