Pour lutter contre l’effondrement du chiffre d’affaires des industries culturelles – et notamment de celui de l’industrie musicale[1] – imputable au téléchargement sauvage sur Internet[2], un accord signé à l’Elysée le 23 novembre 2007 prévoyait un certain nombre d’engagements des pouvoirs publics d’une part, des ayants droit de l’audiovisuel, du cinéma et de la musique ainsi que des chaînes de télévision d’autre part et, enfin, des prestataires techniques (fournisseurs d’accès à Internet et plates-formes d’hébergement et de partage de contenus).
Les pouvoirs publics s’engageaient principalement à prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre d’un mécanisme d’avertissement des internautes portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur les réseaux numériques, et ce, dans le but de les en dissuader en leur rappelant les sanctions encourues. L’accord prévoyait que le mécanisme serait placé sous la responsabilité d’une « autorité publique spécialisée, placée sous le contrôle du juge, en sorte de garantir les droits et libertés individuels ». De leur côté, les ayants droit s’engageaient à promouvoir les technologies de marquage et de reconnaissance des œuvres circulant sur Internet, à développer les services de vidéo à la demande (VoD), à discuter de la chronologie des médias dans le but d’assurer une disponibilité plus rapide des œuvres sur Internet[3]. Quant aux prestataires techniques, ils s’engageaient notamment à diffuser les messages d’avertissement émis par l’autorité publique, à collaborer avec les ayants droits aux réflexions à venir sur les nouvelles technologies de filtrage et d’empreinte et à participer aux accords nécessaires à une utilisation licite des contenus protégés.
Il n’est pas inutile de rappeler que cet accord était intervenu après l’annulation par le Conseil constitutionnel de l’article 24 de la loi sur le Droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) du 1er août 2006. Cet article contraventionnalisait le téléchargement et la mise à disposition d’œuvres sur les réseaux ; concrètement, il mettait en place des sanctions beaucoup plus légères que les 3 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende normalement encourus pour tout délit de contrefaçon puisque les peines prévues allaient de 37 à 150 euros d’amende seulement – on parla de « riposte graduée » pour bien montrer que la sanction variait en fonction de l’intensité de l’atteinte. Hélas pour les tenants de cette idée, le 12 juillet 2006 le Conseil constitutionnel annula la disposition qui lui paraissait contraire au principe de l’égalité devant la loi pénale[4]. Les internautes pratiquant des téléchargements illictes encourrent donc toujours 3 ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende!
C'est pourquoi un nouveau projet de loi, sobrement intitulé « Création et Internet », vient d'être dévoilé, le 18 juin 2008, par Mme Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication. Il tente d'endiguer les téléchargements illicites en reprenant, mais sous une autre forme, l'idée de la riposte graduée.
Pour cela, le gouvernement propose de modifier la composition, le fonctionnement et les missions de l’actuelle Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), qui devient au passage la « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet » (HADOPDI) – tout en conservant son statut d’autorité administrative indépendante. Celle-ci reçoit la mission de notifier les avertissements aux internautes surpris à télécharger illégalement des fichiers protégés par la propriété intellectuelle (premier avertissement par courriel, second avertissement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception).
Les avertissements sont de simples rappels à la loi. Envoyés à la demande des ayants droit ou de leurs représentants, et non à l’initiative de l’HADOPDI qui ne reçoit donc aucune mission de surveillance générale des réseaux numériques – la CNIL ayant jugé qu’une telle surveillance serait disproportionnée par rapport à l'objectif visé –, les avertissements seront insusceptibles de recours. Enfin, au cas où l’internaute averti renouvellerait son manquement, le projet propose qu’il encourre une suspension de son abonnement pour une durée de trois mois à un an, peine pouvant être réduite en cas de transaction.
Ainsi donc, le mécanisme de la riposte graduée, condamné par le Conseil constitutionnel dans la loi DADVSI, semble reprendre vie grâce au nouveau dispositif proposé dans l'actuel projet. S'il était voté tel quel, ce mécanisme pourrait, cette fois-ci, être validé par le Conseil. En effet, dans l'actuel projet de loi, ce n’est pas la contrefaçon qui est officiellement sanctionnée, mais le manquement de l’internaute à son obligation de surveillance de son accès à Internet – obligation introduite à l’article L.335-12 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) par l’article 25 de la loi DADVSI, qui était demeurée sans sanction spécifique depuis l’entrée en vigueur du texte!
Autrement dit, devant la difficulté d'introduire un mécanisme de riposte graduée pour les droits d'auteur sur internet, le gouvernement propose aujourd'hui, non sans malice, d'introduire le même mécanisme pour sanctionner l'absence de surveillance des internautes de leur accès à Internet. Tous les internautes étant placés sous le coup de la même obligation, et tous encourrant la même sanction, le principe d'égalité devant la loi pose a priori moins de difficultés.
Ecrire les lois relève aujourd'hui d'un art et d'une science bien subtils...
A suivre!
CA
[1] Chute de 50% du chiffre d’affaires de l’industrie musicale en 5 ans ; moins 34% de nouveaux artistes signés chaque année selon l’Exposé des motifs du projet de loi « Créations et Internet » : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-dossiers.htm
[2] Un milliard de fichiers piratés d’œuvres musicales et audiovisuelles échangés en France en 2006 : ibid.
[3] Pour se rapprocher de la moyenne européenne, qui est de 3 à 4 mois.
[4] Décision 2006-540 DC, considérant n°65 : « (…) les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d'objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu'elles utilisent un logiciel d'échange de pair à pair ou d'autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l'article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l'égalité devant la loi pénale (…) ».