« L’article 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que, afin que le préjudice subi du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive et proportionnée, cet article impose aux États membres qui choisissent la forme pécuniaire d’introduire dans leur ordre juridique interne, selon des modalités qu’ils fixent, des mesures prévoyant le versement à la personne lésée de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi ».
Le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le domaine du travail est depuis longtemps consacré dans notre histoire. Sur le plan interne, de nombreuses dispositions prohibent les discriminations entre les hommes et les femmes. Ainsi il est expressément prévu une interdiction de toutes formes discriminations basées sur le sexe à l'article L1132-1 du Code de travail. De plus, un comportement discriminatoire constitue un délit et est punissable de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende au sens de l'article 225-2 du Code pénal.
Sur le plan européen, le droit de l'Union européenne consacre lui-aussi à de multiples reprises ce principe. Ainsi l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne exige que « chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur » ou encore l'article 23 de la charte européenne des droits fondamentaux dispose que « l'égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération ». Outre le droit primaire, le droit dérivé de l'union est également intervenu par l'intermédiaire d'une directive n° 2006/54 CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail remplaçant diverses directives antérieures.
Le considérant 2 de cette directive parle de « principe fondamental du droit communautaire » pour évoquer l'égalité entre les hommes et les femme interdisant toutes formes de discrimination fondées sur le sexe. En outre cette égalité engendre un droit d'égalité de rémunérations entre les hommes et les femmes ou encore une égalité d'accès aux régimes de sécurité sociale. L'article 9 du règlement liste toute une série de cas où une discrimination fondée sur le sexe pourra être retenue et donc sanctionnée. Enfin l'article 14 prohibe toutes formes de discrimination fondée sur le sexe en matière d'accès à l'emploi, de conditions de travail ou encore sur les conditions de licenciement, peu importe le secteur d'activité considéré, privé ou public.
Toutefois, les États peuvent tout à fait prévoir des différences de traitement fondées sur le sexe « en raison de la nature des activités professionnelles particulières concernées ou du cadre dans lequel elles se déroulent, une telle caractéristique constitue une exigence professionnelle véritable et déterminante, pour autant que son objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée » conformément au paragraphe 2 de l'article 14. Comme le prévoit le considérant 22, ce genre d'hypothèses peut être justifié dans le but de « faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté » ou encore à protéger certaines personnes tel que les femmes lors de leur période grossesse.
En présence d'une discrimination fondée sur le sexe, les États membres de l'Union doivent prévoir une sanction réparatrice du préjudice subi par le salarié comme le dispose l'article 18. Les sanctions sont librement fixées par les États mais doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ». Ces mesures peuvent prendre la forme d'indemnité versée au salarié comme l'indique l'article 25.
La question, qui amène l'intervention de la Cour de Justice, concerne justement la forme de la sanction sur le fait de savoir comment celle-ci a-t-elle un caractère dissuasif ?
L'affaire traite d'une salariée qui a été recrutée par une entreprise espagnole en qualité d'agent de sécurité le 1er juillet 2012 afin de travailler au sein d'un établissement pénitencier. Deux ans plus tard, cette salariée est licenciée. Celle-ci s'oppose à son licenciement et engage alors une procédure devant les tribunaux suite à l'échec d'une conciliation avec son employeur. Elle invoque le caractère discriminatoire de son licenciement en sollicitant des dommages et intérêts. Le Tribunal espagnol retient le licenciement abusif caractérisé par une discrimination fondée sur le sexe et entend bien accorder une indemnité à cette salariée. Cependant, elle se pose la question de la nature dissuasive de cette indemnisation conformément à l'article 18 de la directive.
En effet, cet article dispose que « les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d'une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu'ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi ». Le droit espagnol a transposé en des termes similaire cette disposition en mettant en avant le caractère dissuasif de la sanction. La juridiction se demande donc si l'indemnité accordée à une salarié, du fait d'une discrimination fondée sur le sexe, doit-elle réparer intégralement le préjudice subi par le salarié mais prévoir également des dommages et intérêts punitifs pour que cette sanction soit dissuasive alors même que le droit espagnol ne connaît pas ce type de sanction.
Pour y répondre, la Cour de Justice rappelle sa jurisprudence établie sous l'ancienne directive n° 76/207 du 9 février 1976. En effet, dans son arrêt Marshall du 2 août 1993, la Cour avait fait obligation aux États membres « de prendre toutes les mesures nécessaires en vue d'assurer le plein effet de ces dispositions, conformément à l'objectif qu'elle poursuit, tout en laissant le choix des voies et des moyens pour y parvenir ». Dans le cadre d'un licenciement discriminatoire, deux types de sanctions peuvent être envisageable ; la réintégration du salarié dans l'entreprise ou alors « une réparation pécuniaire du préjudice subi ». Dans la seconde hypothèse, l'indemnisation devra être adéquate pour permettre de compenser l'ensemble des préjudices subis. C'est pourquoi elle juge au final dans cet arrêt à l'interdiction de prévoir légalement un plafond au montant de l'indemnisation prévue pour licenciement discriminatoire.
Concernant les moyens mis en place par les États pour sanctionner les comportements discriminatoires, ceux-ci « doivent assurer une protection juridictionnelle effective et efficace et avoir à l’égard de l’employeur un effet dissuasif réel ». Il suffit que l'indemnité octroyée au salarié répare intégralement le préjudice qu'il a subit. Elle en conclue au considérant 34 de l'arrêt que l'effet dissuasif réel n'implique pas « l’attribution à la personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe de dommages et intérêts punitifs, lesquels vont au-delà de la réparation intégrale des préjudices effectivement subis et constituent une mesure de sanction ». Cette analyse sur le fondement de la directive de 1972 et de sa jurisprudence est tout à fait applicable à la directive de 2006 qui n'a en aucun cas changé la conception de ces sanctions.
Cependant, elle considère qu'il est possible pour un État membre de prévoir des dommages et intérêts punitifs à partir du moment où ils ont une totale liberté dans le soin de fixer le type de sanctions applicables à ce genre de comportement en vertu de l'article 25 de la directive.
Par conséquent, comme l'indique la Cour de justice au considérant 40: « l’article 25 de la directive 2006/54 permet, mais n’impose pas, aux États membres de prendre des mesures prévoyant le versement de dommages et intérêts punitifs à la victime d’une discrimination fondée sur le sexe ». Dans le cas où un État membre prévoirait ce type de sanction, il devrait alors respecter les principes d'équivalence et d’effectivité du droit de l'Union c'est à dire que ces règles ne soient pas moins favorable que celles équivalentes en droit interne et qu'elles ne rendent pas « pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union » (CJCE, 6 juin 2013, C-536/11, Donau Chemie).
Du point de vue du respect des ordres juridiques nationaux, cette décision est justifiée. En effet, il n'a jamais été question par cette législation d'imposer aux États membres de mettre en place un système de dommages et intérêts punitifs alors que ce système est minoritaire en Europe comme le constate l'avocat général dans ces conclusions. En effet, dans ces pays dont la France, l'octroi de dommages et intérêts n'est en rien un moyen d'enrichissement de la part du demandeur. Ainsi il est fait application de l'adage : « Tout le préjudice, mais rien que le préjudice ». Cette analyse est donc tout fait adéquate avec le système français.
D'un autre côté, l'avocat général identifie bien le rôle des dommages et intérêts punitifs : celui de sanction répressive à la manière de sanctions pénales pour dissuader « non seulement l’auteur du préjudice de renouveler, en l’occurrence, son comportement discriminatoire, mais également les autres acteurs d’agir de la sorte » (point 49 des conclusions). Il fait bien le constat qu'il ne peut pas y avoir d'harmonisation actuellement entre les États sur ce point même si cela peut paraître regrettable. Mais, le simple fait que la directive parle de mesures dissuasives n'implique-t-il pas à priori de sanctions répressives du comportement litigieux, sinon pourquoi parler de sanctions dissuasives et non pas simplement de sanctions réparatrices ?