La conciliation est une procédure amiable qui permet à une entreprise en difficulté de négocier avec ses créanciers un accord visant à rétablir sa situation financière. Elle est ouverte à toute entreprise qui n’est pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours, et qui souhaite bénéficier de l’assistance d’un conciliateur désigné par le tribunal de commerce. Le conciliateur a pour mission de faciliter les discussions entre le débiteur et ses principaux créanciers, et de proposer des solutions adaptées à la situation de l’entreprise. L’accord de conciliation, s’il est conclu, peut être homologué par le tribunal, ce qui lui confère une force exécutoire et une opposabilité à tous les créanciers.
La conciliation présente plusieurs avantages pour l’entreprise en difficulté. Elle est confidentielle, ce qui évite de nuire à son image et à sa crédibilité auprès de ses partenaires. Elle est rapide, puisque la durée maximale de la procédure est de quatre mois, renouvelable une fois. Elle est souple, puisque l’accord de conciliation peut porter sur tout type de mesures, telles que des remises de dettes, des étalements de paiements, des apports de fonds, des restructurations, etc. Elle est efficace, puisqu’elle permet de préserver l’activité et l’emploi de l’entreprise, et d’éviter le recours à une procédure collective plus contraignante.
Toutefois, la conciliation pose aussi certaines difficultés, notamment en ce qui concerne les droits des créanciers. En effet, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de faire application de l’article 1343-5 du code civil, qui permet d’imposer des délais de paiement à un créancier qui met en demeure ou poursuit le débiteur, ou qui refuse de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la conciliation. Cette mesure vise à éviter qu’un créancier récalcitrant ne fasse échouer les négociations, mais elle peut aussi porter atteinte aux droits du créancier concerné, qui se voit privé de la possibilité de recouvrer sa créance dans les conditions initiales.
La question qui se pose alors est de savoir si le créancier qui se voit imposer des délais de paiement par le juge peut former un appel contre cette décision. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 octobre 2023 (Com. 25 octobre 2023, n°22-15776), a tranché cette question en répondant par l’affirmative.
La Cour a considéré qu’en l’absence de disposition contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du code de commerce, qui concerne les entreprises en difficulté. Or, selon l’article 481-1 du code de procédure civile, la décision du juge qui statue selon la procédure accélérée au fond, ce qui est le cas pour les délais de paiement en conciliation, peut être frappée d’appel, à moins qu’elle n’émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle n’ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. Ainsi, le créancier qui conteste les délais de paiement qui lui sont imposés peut exercer un recours devant la cour d’appel, et son pourvoi en cassation est irrecevable.
Cette solution de la Cour de cassation est conforme au droit commun. Elle permet de garantir le respect des droits du créancier, qui peut contester la décision du juge s’il estime qu’elle est injustifiée ou disproportionnée. Elle ne remet pas en cause l’efficacité de la conciliation, puisque l’appel est une procédure accélérée, et que le juge peut toujours refuser de modifier les délais de paiement s’il les juge nécessaires à la réussite de l’accord. Elle incite également le créancier à participer à la conciliation, et à accepter de suspendre l’exigibilité de sa créance, pour éviter de se voir imposer des délais de paiement.
En conclusion, l’arrêt du 25 octobre 2023 de la Cour de cassation apporte une clarification utile sur la question des délais de paiement en conciliation, qui était jusqu’alors incertaine. Il confirme la possibilité pour le créancier de former un appel contre la décision du juge qui lui impose des délais, ce qui renforce le respect de ses droits, sans nuire à l’efficacité de la conciliation. Il contribue ainsi à la promotion de la conciliation, qui est un outil efficace pour prévenir les difficultés des entreprises, et qui doit être encouragé par les acteurs économiques.
Guillaume Lasmoles
Avocat en droit des Affaires