Le président d’une société par actions simplifiée (SAS) a été révoqué de ses fonctions pour faute lourde par l’associé unique sans avoir été préalablement informé ni mis en mesure de présenter ses observations. La Cour de cassation (Com. 11 oct. 2023, n°22-12361) a jugé que cette révocation était abusive et a condamné la société à verser des dommages-intérêts au dirigeant révoqué.
Le contexte de l’affaire
Le dirigeant révoqué était le fondateur et le dirigeant d’une SAS spécialisée dans le développement de produits innovants. Il avait cédé la totalité des actions de la SAS à une société anonyme, qui avait accepté de le maintenir en fonction et de lui verser une indemnité de rupture en cas de révocation, sauf en cas de faute grave ou lourde.
Quelques mois après la cession, la société anonyme a décidé de révoquer le dirigeant de la SAS pour faute lourde, en invoquant la menace d’une déperdition des données essentielles au développement des produits de la SAS. Le dirigeant n’a pas été informé de la révocation envisagée ni mis en demeure de présenter ses observations préalablement à la décision prise.
Le dirigeant révoqué a saisi la justice pour contester la révocation et demander des dommages-intérêts pour rupture abusive ainsi que le paiement de l’indemnité de rupture prévue contractuellement. La cour d’appel de Montpellier a rejeté sa demande, en estimant que la révocation était justifiée par la faute lourde du dirigeant et que le non-respect du principe du contradictoire était sans incidence.
La décision de la Cour de cassation
Le dirigeant révoqué a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, qui a cassé l’arrêt de la cour d’appel. La Cour de cassation a rappelé que, selon l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer”. Elle a jugé que la révocation du président d’une SAS, fût-ce pour faute lourde, est abusive si elle est décidée sans que celui-ci ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations.
La Cour de cassation a considéré que la menace d’une déperdition des données essentielles au développement des produits de la SAS ne justifiait pas que la révocation du dirigeant soit intervenue immédiatement sans respecter le principe du contradictoire. Elle a donc renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel, qui devra statuer sur le montant des dommages-intérêts dus au dirigeant révoqué.
Les conséquences de la décision
Cette décision confirme la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui impose le respect du principe du contradictoire dans l’exercice du droit de révocation du dirigeant d’une SAS. Ce principe implique que le dirigeant soit convoqué par l’organe qui décide de sa révocation pour en entendre les justifications et présenter ses observations. A défaut, la révocation est abusive, même si elle repose sur un juste motif.
Cette jurisprudence vise à protéger le dirigeant d’une SAS contre les révocations arbitraires ou vexatoires, qui portent atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle. Elle permet au dirigeant révoqué abusivement d’obtenir réparation du préjudice subi, qui peut être évalué en tenant compte de l’indemnité de rupture prévue contractuellement ou des usages de la profession.
Cette jurisprudence s’applique à tous les dirigeants de SAS, qu’ils soient nommés par les statuts ou par une décision des associés, et qu’ils soient ou non associés de la SAS. Elle s’impose même si les statuts de la SAS prévoient que la révocation du dirigeant peut intervenir sans motif ou sans formalité. Elle ne s’oppose pas à ce que la révocation du dirigeant soit prononcée avec effet immédiat, à condition que le dirigeant ait été préalablement entendu ou mis en demeure de s’expliquer.
Guillaume Lasmoles
Avocat en droit des Affaires