Les associés d’une société civile sont liés par un contrat d’intuitu personae, qui leur impose des règles strictes pour céder leurs parts sociales. Mais que se passe-t-il si un associé veut quitter la société sans trouver de cessionnaire agréé ? Peut-il se retirer de la société et obtenir le rachat de ses parts ? Et si la société tarde à racheter ses parts, peut-il changer d’avis et céder ses parts à un tiers ? La Cour de cassation a récemment tranché cette question dans un arrêt du 25 mai 2023 (Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-17.246).
Le retrait, une procédure délicate
Le retrait est une procédure prévue par l’article 1869 du Code civil, qui permet à un associé de se retirer de la société et de se faire racheter ses parts par la société ou par les autres associés. Le retrait peut être judiciaire, à l’unanimité des associés ou selon les prévisions des statuts. Le retrait est une sorte d’échappatoire pour l’associé qui ne veut plus rester prisonnier de la société, mais il présente des inconvénients.
Tout d’abord, le retrait n’est pas un droit absolu. Il faut que la société ou les autres associés acceptent le retrait, sauf si les statuts le prévoient expressément ou si le juge l’autorise. Ensuite, le retrait n’est pas immédiat. Il faut attendre que la société ou les autres associés rachètent les parts sociales, ce qui peut prendre du temps. En effet, la loi ne fixe pas de délai pour le rachat des parts, et la société peut invoquer des difficultés financières ou des motifs légitimes pour différer le paiement. Enfin, le retrait n’est pas irrévocable. L’associé qui se retire peut changer d’avis et demander à revenir dans la société, à condition que le rachat de ses parts n’ait pas encore eu lieu.
La cession, une procédure alternative
La cession est une procédure prévue par l’article 1861 du Code civil, qui permet à un associé de céder ses parts sociales à un tiers, sous réserve d’obtenir l’agrément de la société ou des autres associés. La cession est un mode de sortie classique, qui présente des avantages par rapport au retrait.
D’une part, la cession est plus rapide. L’associé qui veut céder ses parts doit notifier sa demande d’agrément à la société, qui dispose du délai prévu par les statuts pour répondre. Passé ce délai, l’agrément est généralement réputé acquis et l’associé peut céder ses parts au tiers de son choix. D’autre part, la cession est plus sûre. L’associé qui cède ses parts se libère définitivement de ses obligations envers la société et les autres associés, et reçoit le prix de ses parts directement du cessionnaire.
L’incompatibilité entre le retrait et la cession
Mais que se passe-t-il si un associé engage simultanément ou successivement les deux procédures de retrait et de cession ? Peut-il se prévaloir de la plus avantageuse selon les circonstances ? C’est la question que la Cour de cassation a dû trancher dans un arrêt du 25 mai 2023.
Dans cette affaire, un associé d’une société civile avait obtenu l’autorisation unanime de se retirer de la société et de se faire racheter ses parts. Quatre ans plus tard, alors que le prix de rachat n’avait toujours pas été fixé, il avait sollicité la société pour une demande d’agrément en vue de céder ses parts à un tiers. Devant le refus d’agrément, il avait mis en demeure la société de lui racheter ses parts au prix indiqué par un expert. Six mois plus tard, il avait cédé ses parts au tiers non agréé, en invoquant l’expiration du refus d’agrément. La société avait alors demandé l’annulation de la cession, en arguant que l’associé était engagé dans une procédure de retrait.
La Cour de cassation a donné raison à la société, en affirmant que « un associé engagé dans une procédure de retrait dont l’échec n’a pas été constaté, ne peut céder ses titres ». Elle a ainsi considéré que le retrait et la cession sont incompatibles, et que l’associé qui se retire ne peut pas céder ses parts tant que le rachat n’a pas eu lieu. Elle a également estimé que l’associé qui se retire s’engage à mener à terme la procédure de retrait, et qu’il ne peut pas revenir sur son engagement sans l’accord de la société ou des autres associés.
La conclusion
L’arrêt du 25 mai 2023 apporte une clarification importante sur les modalités de sortie d’une société civile. Il rappelle que le retrait et la cession sont deux procédures distinctes et exclusives, qui impliquent des engagements réciproques entre l’associé qui sort et la société ou les autres associés. Il invite donc les associés à bien réfléchir avant de choisir entre le retrait et la cession, et à respecter leur choix jusqu’au bout. Il souligne également l’intérêt de prévoir dans les statuts les conditions et les délais du retrait et de l’agrément, afin d’éviter les conflits et les incertitudes.
Guillaume Lasmoles
Avocat en droit des Affaires